Le Caire (Egypte) De notre correspondante Donné vainqueur de l'élection présidentielle qui se tiendra aujourd'hui et demain, le candidat issu de l'armée compte seulement un adversaire : le nassériste Hamdeen Sabahi. Héritier de Gamal Abdel Nasser et soutien des militaires jusqu'en novembre 2013, cet opposant apparaît désormais comme l'unique alternative au sempiternel candidat de l'armée. Une présence qu'une partie des révolutionnaires qualifie d'opportuniste. Ils reprochent notamment au candidat de gauche de cautionner une mascarade d'élection démocratique. Trois ans après le soulèvement populaire de 2011, qui s'était soldé par la démission de Hosni Moubarak, un nouveau militaire est en passe de prendre les rênes du pays.Un dénouement attendu et prophétisé depuis plusieurs mois : après l'éviction du président issu des Frères musulmans durant l'été 2013, s'est propagée l'idée que l'Egypte avait besoin d'un homme à poigne capable de sortir le pays de l'instabilité et lui éviter un scénario à la syrienne. Cet homme, chéri des médias, ex-ministre de la Défense, est le maréchal Abdelfettah Al Sissi. Comment expliquer l'absence d'alternatives crédibles au candidat de l'armée ? Où sont tous les partis nés au lendemain de la révolution ? Ce sont les grands absents de ce scrutin.La majorité a préféré se ranger derrière l'un des deux candidats. Le parti Destour fondé en 2012 par le prix Nobel de la paix, Mohamed El Baradei, et l'Alliance populaire et socialiste de Abdel Ghafar Shokr ont décidé de soutenir Hamdeen Sabahi. D'autres forces politiques, elles aussi nées après 2011, ont choisi le candidat de l'armée : les Egyptiens libres du milliardaire copte Naguib Sawiris, le parti salafiste Al Nour ou le parti de la Conférence de Amr Moussa. «La faiblesse des acteurs politiques permet de comprendre le nombre réduit de candidats», analyse Hassan Nafaa, professeur de sciences politiques à l'université du Caire. «Les partis politiques n'ont pas de stratégie» «Avant 2011, les partis n'étaient qu'un élément du décor. Si Hosni Moubarak permettait leur existence, c'était pour flatter les diplomaties occidentales. Mais, finalement, il n'a jamais encouragé leur essor.» Pour Hossama Al Din Ali, président des Jeunes libéraux, un parti créé début mai, les forces libérales auraient pu présenter un candidat avec un programme distinct. «Ils ont fait le choix de la facilité en soutenant le candidat fort de l'armée, indique-t-il dans ses bureaux installés dans le quartier cossu et verdoyant de Garden City. Nous ne voulons plus avoir à choisir entre le militaire et le Frère.» Dès 2005, cet ingénieur de profession occupe des fonctions importantes au sein du parti Al Ghad avant de rejoindre, après la révolution, le parti de la Conférence. Près de dix années plus tard, il est lassé d'un système dont il a cerné les limites. «Les partis politiques n'ont pas de stratégie, ils veulent seulement leur part du gâteau, poursuit-il. Ils se reposent traditionnellement sur des individus et non sur des équipes solides. C'est très dangereux.» Hossam Al Din Ali n'est pas le seul à observer cette élection avec scepticisme. Le candidat malheureux à la présidentielle de 2012, le docteur Abdel Moneim Aboul Fotouh, a annoncé il y a plus de trois mois que son parti Egypte forte ne participera pas au scrutin. Répression des voix critiques Dans son quartier général de Tagamu Al Khamiss, l'ancien cadre des Frères musulmans se remémore la précédente campagne présidentielle. Un scrutin qu'il décrit comme l'émanation de la révolution et de ses ambitions démocratiques. Deux ans plus tard, le Frère rebelle déchante. Replié dans ses appartements de la banlieue désertique du Caire, il dénonce la répression meurtrière des partisans des Frères musulmans, des activistes, mais aussi des avocats et des journalistes : «Pouvions-nous participer à cette élection alors que 25 000 activistes politiques croupissent dans les prisons ? Pouvions-nous faire campagne dans une République de la peur qui s'est construite sur les tortures pratiquées dans les prisons et les commissariats de police ?» Dans un récent communiqué, Amnesty International condamne la détention quasi quotidienne de «personnes critiques à l'égard du gouvernement». Ces milliers d'arrestations, la mort de 1300 Egyptiens, selon Human Rights Watch, ou l'usage de la torture dans les prisons ont progressivement dissuadé une partie des acteurs politiques de s'opposer frontalement à l'actuel pouvoir. Cette intimidation est également présente dans le discours médiatique, acquis à l'institution militaire. Il y a quelques jours, un responsable du parti Egypte forte a été traité de «chien» et son parti comparé à «une poubelle» sur le plateau de l'émission «Min Al Akhir» présentée par Tamer Amin.