Le peuple algérien fait siens les principes de la politique de paix et de réconciliation nationale. Il demeure convaincu que le respect de ces principes contribue à la défense des valeurs communes et constitue la voie consensuelle pour la protection des intérêts de la communauté nationale. Les valeurs de paix et de réconciliation nationale font partie des constantes de la nation qui doit tout entreprendre pour leur défense dans le respect de la République et de l'Etat de droit.» Il s'agit là d'un paragraphe ajouté, à la faveur de ladite révision de la Loi fondamentale, dans son préambule et dans l'article 2 consacrant une constitutionnalisation de la réconciliation nationale. Plus encore, elle devient une «constante nationale» aux côtés de l'islam, de l'arabité et de l'amazighité. Quel sens donner à la transformation d'un outil juridique pour le règlement d'une crise donnée en un article dans le texte constitutionnel ? Un outil qui est pourtant décrié par les défenseurs des droits de l'homme ainsi que les victimes de la décennie dite noire (familles de disparus et victimes du terrorisme) qui réclament un processus de réconciliation garantissant justice et vérité et non pas une impunité et une consécration de l'oubli. La crainte de voir interdire toute remise en cause du texte et dispositions décrétées unilatéralement par le pouvoir pour le règlement des conséquences des événements tragiques de la décennie noire est entièrement posée. Les défenseurs des droits de l'homme n'hésitent pas à exprimer leur refus de voir une réconciliation tronquée devenir une constante. «La réconciliation est un des moyens de règlement d'une crise causée par les dictatures ou une violence politique survenus par le passé. Par conséquent, une réconciliation ne peut être une constante de la nation», estime l'avocat Me Mostefa Bouchachi. Ce défenseur des droits de l'homme souligne qu'il n'existe aucune Constitution dans le monde qui place la réconciliation nationale comme une constante nationale. «L'Etat est censé être le garant de la souveraineté des lois et le garant des droits et des libertés. La réconciliation intervient lorsque les institutions se trouvent dans l'incapacité de trouver des solutions par les moyens ‘‘traditionnels'' à une grande crise donnée. C'est là que la justice transitionnelle trouve tout son sens en garantissant une réparation juste. Mais la réconciliation telle qu'appliquée en Algérie n'en n'est pas une, c'est même une loi consacrant l'impunité», déclare Me Bouchachi pour qui une réconciliation sans implication des victimes est une non-réconciliation et elle n'a pas sa place dans la Constitution. «Du point de vue juridique, ça n'a aucun sens de constitutionnaliser un mécanisme juridique. On ne peut consacrer l'impunité et en faire une constante, il s'agit là d'une manœuvre malhonnête», assure-t-il en ne manquant pas de qualifier toute copie de la révision de la Constitution de preuve sur la volonté d'un régime de ne pas s'orienter vers la voie démocratique. «La copie en elle-même est plus une manœuvre de diversion du pouvoir pour gagner du temps», note Me Bouchachi. «La charte sur la réconciliation est en contradiction avec la Constitution» Maître Noureddine Benissad, président de la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme (LADDH), estime pour sa part qu'un processus ne peut trouver sa place dans le texte d'une Loi fondamentale. «Partout dans le monde où il y a eu des événements douloureux semblables à ceux que nous avons vécus en Algérie, il y a eu un processus qui a duré dans le temps pour faire en sorte que ça ne se reproduise plus. Tout homme censé ne peut être contre la réconciliation nationale et la paix, mais on ne peut pas être d'accord avec une constitutionnalisation du contenu qui a été donné à la réconciliation en Algérie». L'avocat et défenseur des droits humains estime que le contenu de la charte portant paix et réconciliation nationale est d'ailleurs en contradiction avec les principes énoncés dans la Constitution que sont la liberté d'expression, le libre recours à la justice et avec le concept de vérité et de droit à la réparation. «La charte portant paix et réconciliation nationale interdit formellement aux victimes du terrorisme du fait des groupes armés ou des victimes du fait des agents de l'Etat de parler de cette période. Pire, on considère le dossier clos et les victimes ne peuvent même pas recourir à la justice algérienne pour demander la vérité, la justice et la réparation. Il y a donc une contradiction flagrante entre les deux contenus : celui de la charte et celui de la Constitution», note Me Benissad en précisant qu'il n'y a aucun pays au monde qui soit passé par une période douloureuse comme une guerre civile ou une chute brutale d'un régime qui ne se soit arrêté un moment pour bien regarder son passé et essayer de panser les blessures. «Connaître ne veut pas dire animer l'esprit de vengeance mais permettre aux victimes de passer par une étape de catharsis», indique notre interlocuteur, se disant non rassuré par cette constitutionnalisation de la réconciliation qui a pour arrière-pensée de placer dans l'oubli la période douloureuse que nous avons vécue. «Seules les victimes peuvent pardonner et personne d'autre ne peut le faire à leur place», ajoute Benissad. Le même refus de cet amendement étrange est exprimé par le président de la Ligue algérienne des droits de l'homme (LADH), maître Mokhtar Bensaâd. «La réconciliation a été adoptée par référendum, je ne vois pas pourquoi l'introduire dans la Constitution comme constante nationale», dit-il. Me Bensaâd, qui accepte pour sa part de prendre part aux consultations qui seront menées par Ahmed Ouyahia autour de cette révision constitutionnelle, affirme qu'il ne manquera pas de dire son refus de voir la réconciliation prendre place dans la Loi fondamentale. «Un texte qui a concerné juste une période terrible de notre histoire ne peut trouver sa place dans la Constitution. C'est un non-sens ! Il y a d'autres valeurs à hisser au rang de constante nationale, ce n'est pas ce qui est arrivé durant une période terrible que nous allons léguer aux générations futures», conclut-il.