Le programme du gouvernement multiplie les énoncés sans détailler le contenu des décisions qui seront prises dans ce cadre. Que cache cette volonté d'acter la réconciliation dans la Constitution en tant que constante nationale au même titre que l'hymne national, le régime républicain, l'islam, les langues arabe et amazighe ? Certainement une série de mesures dont les familles de victimes du terrorisme craignent qu'elles ne consacrent une amnistie qui élude les atrocités subies par la population durant la décennie noire. Il faut dire que, pour elles, les dernières nouvelles ne sont pas du tout rassurantes parce qu'elles constituent les prémices de l'orientation politique de cette démarche, en branle depuis quelque temps. On a appris, par le Premier ministre Abdelmalek Sellal, lors de la présentation de son programme devant l'Assemblée nationale, que dans le cadre de l'approfondissement de la réconciliation nationale, le chef de l'Etat a décidé de lever l'interdiction de sortie du territoire national au profit de certaines personnes. On devine que les personnes concernées par cette interdiction sont essentiellement des cadres de l'ex-Fis dissous, considérés, ironie du sort, comme responsables politiques de la tragédie nationale, en vertu des dispositions du texte portant cette même réconciliation nationale qu'on souhaite constitutionnalisée. Cette décision touchera forcement aussi des "émirs" qui ont assumé publiquement des assassinats dont Madani Mezrag qui a été invité officiellement aux consultations politiques en cours, autour de la révision de la loi fondamentale. Si cette mesure vient d'être généralisée, on sait désormais qu'il y a eu par le passé des exceptions. Il y a quelques jours, Abdelkader Boukhamkham, l'un des anciens dirigeants de l'ex-FIS, a révélé dans un entretien publié par le quotidien Al-Hadath-dz.com qu'il avait voyagé, à deux reprises à l'étranger, une fois en 2000 et une autre en 2010 avec l'autorisation du ministère de la Défense nationale alors qu'il était sans passeport, sous contrôle judiciaire et interdit de sortie du territoire national. La réconciliation nationale acte II est déjà en train de renier certains principes édictés dans la version de 2005. Que nous réserve encore cette éventuelle consécration de la réconciliation nationale dans la loi fondamentale ? Le programme du gouvernement multiplie les énoncés sans détailler le contenu des décisions qui seront prises dans ce cadre. Récemment, le Premier ministre a soutenu, lors d'une conférence de presse, qu'il n'y aura ni amnistie générale ni retour du Fis dissous. Les cadres du parti dissous qui s'expriment quotidiennement sur la chaîne Magharibia ont divulgué ce que Abdelmalek Sellal élude à travers une gymnastique rhétorique. Il y a un accord de principe entre eux et le pouvoir pour créer un Fis relooké sous un autre sigle. L'avocat et président de la Ligue algérienne des droits de l'Homme, Nourredine Benissad, est perplexe : "J'avoue que je n'arrive pas à saisir l'inclusion de la réconciliation nationale d'abord comme principe et ensuite comme contenu en sachant qu'on a eu recours à maintes reprises à des amendements de la Constitution. Autrement dit et compte tenu de la culture politique et de la nature du système politique, on peut bien énoncer des principes constitutionnels et les amender par la suite ou carrément les ignorer dans leur application, voire les transgresser en l'absence d'un système politique démuni d'une séparation effective des pouvoirs. Il y a comme une arrière-pensée d'aller vers une amnistie qui ne dit pas son nom." L'ex-magistrat Zineddine Sekfali s'interroge justement à ce propos : "En quoi , la réconciliation nationale renforcerait-elle la justice ou permettrait de faire triompher la vérité, d'accélérer les enquêtes, de finaliser les procédures de déclarations de décès, de retrouver — morts ou vifs — les disparus, d'identifier les enterrés sous X ?." Pour conclure : "La clémence c'est bien ; la justice c'est mieux !" Le bilan de la charte pour la paix et la réconciliation est, en effet, très controversé. Adoptée par référendum en septembre 2005, cette charte n'a fait qu'occulter la justice au profit des bourreaux et imposer les règles de l'oubli à tout un peuple dans une tentative d'effacer sa mémoire. C'est là que réside l'échec de la politique de réconciliation que les familles de victimes ont toujours assimilé à une amnistie générale déguisée. Le droit de savoir et la réhabilitation physique, psychologique et juridique sont les oubliés de la réconciliation nationale qui devait expirer le 31 août 2006, soit six mois après sa promulgation, sans jamais prendre fin dans les faits. Le besoin de justice exprimé par les victimes et leurs familles a été, pendant tout ce processus, bafoué et il y a de fortes chances que la réconciliation nationale, acte II annoncée, ne s'oriente pas dans ce sens. Zineddine Sekfali estime qu'il aurait fallu "procéder comme en Afrique du Sud, et dès l'année 1999 : dévoiler toute la vérité sur les crimes commis, favoriser les confessions publiques, encourager les repentances, puis réparer les préjudices physiques et moraux subis, avant de passer à la phase ultime des opérations consistant à amnistier certains faits et gracier certains condamnés, voire, dans certains cas, réhabiliter quelques-uns d'entre eux". L'avocat Benissad renchérit : "Pour donner un sens à ce principe de réconciliation, il faut forcément des textes législatifs qui vont le matérialiser par une loi ou par ordonnance." Mais avant, tient-il à souligner, il faut "d'abord préciser ce que l'on entend par réconciliation nationale. Quelle est, dans l'absolu, la personne sensée qui peut être contre la réconciliation et la paix ? Il s'agit d'analyser le contenu de ce concept et qu'il ne soit pas contraire aux principes de justice et de libertés fondamentales, telles que la liberté d'expression, le droit d'ester en justice et le droit à la réparation d'ailleurs contenus dans la Constitution. En fait, c'est de permettre aux victimes des violations des droits de l'Homme, mais aussi à la société entière de se pencher sereinement sur son passé douloureux et mettre des garde-fous pour que pareilles tragédies ne se reproduisent plus notamment par la démocratisation de notre société et le respect des droits et la dignité de la personne humaine". Pour Merouane Azzi président de la Commission nationale pour l'application de la charte pour la paix et la réconciliation nationale, l'élargissement de la réconciliation nationale signifie la prise en charge de tous les dossiers restés en suspens comme celui des patriotes, l'indemnisation des détenus des camps du Sud et les dégâts matériels causés à certains industriels par le terrorisme. Merouane Azzi fait remarquer que ce processus s'est déjà enclenché avec la promulgation, en avril dernier, d'un décret prenant en charge les femmes violées par les terroristes et s'est poursuivi, il y a quelques jours, par la levée d'interdiction de voyage au profit de certaines catégories. "Je ne peux pas dire jusqu'où on peut aller dans la réconciliation nationale, c'est au Président et au peuple qu'il revient de décider d'une amnistie générale. À mon avis, on va vers une réconciliation globale. Il est tout à fait normal que l'idée de la réconciliation soit constitutionnalisée. Après la révision de la loi fondamentale dans ce sens, il y aura certainement des procédures et des instances qui vont être installées pour que les gens sachent que l'Algérie a passé une mauvaise période et qu'elle se redresse.".. "Réconciliation nationale globale", un terme galvaudé, mais qui pourrait bien réserver de nombreuses mauvaises surprises, au train où vont les choses. N. H. Nom Adresse email