L'Egypte vient de vivre une élection présidentielle sans enjeu majeur. Le candidat issu de l'armée, à la fois soutenu par l'appareil d'Etat et les médias, l'a emporté avec 96,1% des voix. Son unique concurrent, le nassériste Hamdeen Sabahi, a difficilement récolté 3,9% des suffrages. Si l'issue du scrutin ne faisait aucun doute, les mois qui vont suivre, eux, soulèvent déjà de nombreuses questions. Comment Al Sissi relancera-t-il une économie dont le taux de croissance est atone depuis plusieurs années, ou lutter contre le chômage des jeunes ? 39% des Egyptiens âgés de 20 à 24 ans sont à la recherche d'un emploi, selon un rapport publié en 2012 par l'Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques (CAPMAS). La plupart sortent d'école ou d'université mais ne parviennent pas à intégrer le marché de l'emploi. «Le fait que près de 90% des chômeurs soient à la recherche de leur premier emploi signifie que le problème du chômage est essentiellement lié à l'insertion des jeunes sur le marché du travail», explique l'économiste du travail, Mona Amer. Donner des perspectives d'avenir à cette jeunesse sera incontestablement l'un des principaux défis du président Al Sissi. Représentant près de la moitié de la population, les jeunes ont été les grands absents des deux scrutins organisés ces dix derniers mois. Par rejet du politique ou opposition à l'actuel pouvoir, ils ont massivement boudé les urnes. La précarité de la jeunesse s'explique par leur difficulté à trouver du travail, mais également par le développement des «sous-emplois». Dans un article consacré au «bad job», Ghada Barsoum, professeur à l'université américaine, démontre que les mauvais emplois nourrissent autant de frustration que l'absence d'activité. Elle poursuit : «Il est utile de garder à l'esprit que Mohamed Bouazizi, le jeune Tunisien qui a contribué à enflammer les révoltes du Printemps arabe avec son immolation dans la ville tunisienne de Sidi Bouzid, n'était pas sans emploi, mais un vendeur de rue (…).» «Bad job» Ahmed Sélim, 29 ans et jeune père de famille, rêvait de devenir professeur d'université. Mais comme beaucoup de diplômés, qui se destinaient à un autre métier, il a dû revoir ses exigences à la baisse. Aujourd'hui, il travaille dans un call center sous-traité par la grande société informatique Microsoft. «Ce sont les seuls à nous offrir un emploi correctement rémunéré, confie Ahmed, les poches sous les yeux noires à cause d'une semaine de travail de nuit. J'ai essayé de chercher autre chose, mais les salaires sont bas. Comme professeur dans une école publique, je gagnerais 500 livres égyptiennes (50 euros), alors que mon loyer s'élève à 1500.» Ses collègues ont tous moins de 30 ans. C'est l'une des principales conditions pour être recruté, en plus de la maîtrise d'une langue étrangère. Les call center très présents en Afrique du Nord s'implantent dans des économies en développement pourvoyeuses d'une main-d'œuvre bon marché et jeune. Avec un salaire de base de 1500 à 2500 livres (150 à 250 euros) auquel s'ajoutent des bonus en fonction des langues étrangères, les centres d'appels proposent une rémunération supérieure au salaire moyen estimé à environ 750 livres (75 euros) dans le secteur public, mais bien en deçà des salaires en vigueur en Europe. «Pour eux, c'est une chance, pour nous, une exploitation, résume Ahmed. Aucun de mes collègues n'aspire à rester dans l'entreprise. Mais nous n'avons pas le choix.» La pénibilité du travail pèse aussi sur le moral de ces jeunes travailleurs. Neuf heures par jour, parfois sans pause, le téléopérateur doit répondre aux exigences des clients appelant du monde entier. S'il n'atteint pas ses objectifs pendant trois mois consécutifs, l'employé est remercié. A cela, s'ajoute une protection quasi nulle. Ahmed a appris, du jour au lendemain, que Microsoft avait décidé, sans concertation, de se retirer d'Egypte dans deux mois : «Un jour, nous recevons un mail de la direction nous félicitant de notre travail. Le lendemain, elle nous annonce qu'elle fermera le centre d'appels le 31 juillet prochain. Même les managers ne connaissent pas les raisons de ce départ.» Asma Rahman, 22 ans, termine sa cinquième année à la faculté de littérature française. Comme Ahmed, elle n'a jamais rêvé de courir derrière une «target», mais c'était le seul moyen d'accéder à son indépendance financière. Aujourd'hui, elle dit toujours espérer trouver un emploi lié à la protection des droits des femmes. Une vocation née à Basma, un collectif de bénévoles qui lutte contre le harcèlement sexuel. «Dans les bureaux du mouvement, nous sommes nombreux à vouloir peser sur la société. Malheureusement, nos emplois correspondent rarement à nos aspirations», confie-t-elle.