Une vague de scissions sans précédent parmi les grands groupes de médias «donne certainement l'impression que (les journaux) sont des enfants chassés de la maison par leurs parents», estime Mark Jurkowitz, directeur associé du centre de recherche sur le journalisme Pew. Un nombre croissant d'acteurs importants du secteur séparent en effet leur branche de presse écrite de leurs activités audiovisuelles. Cela a commencé l'été dernier avec l'empire du magnat Rupert Murdoch (Wall Street Journal, New York Post), suivi cette année par Time Warner (Time, People, Fortune et Sports Illustrated), Tribune Co. (Los Angeles Times, Chicago Tribune, Baltimore Sun) et bientôt Gannett (USA Today). Les grands groupes de médias avaient intégré les journaux à une époque où ces derniers étaient encore largement rentables. Mais ce sont aujourd'hui d'autres activités comme la télévision qui soutiennent leurs bénéfices, tandis que leurs actionnaires s'impatientent de la croissance morose dans la presse écrite, plombée par l'essor d'Internet. «Le marché ne pense pas grand bien du futur des journaux», reconnaît Mark Jurkowitz. «Ce n'est pas un secteur en croissance», ou du moins pas assez pour satisfaire les attentes de Wall Street, renchérit Dan Kennedy, professeur de journalisme à l'université Northeastern. Ce dernier note pourtant que «les marges des journaux sont encore assez bonnes», notamment ceux détenus par des sociétés non cotées et non endettées. Alan Mutter, un ancien éditeur de journaux devenu consultant pour le secteur des médias, fait également valoir sur son blog que les sociétés de presse écrite cotées en Bourse affichent toujours une marge bénéficiaire moyenne de 16%, plus élevée que celle du géant de la distribution en ligne Amazon. Redoubler d'efforts en ligne Les bénéfices et les effectifs des rédactions ont malgré tout beaucoup souffert ces dernières années, en particulier parce que les journaux n'en ont pas fait assez dans le domaine numérique, reconnaît Alan Mutter. «Au lieu d'avoir des lecteurs vraiment fidèles comme c'était le cas pour la presse imprimée, les données internes de chaque journal montrent une dépendance croissante vis-à-vis de Google, Facebook, Twitter et consorts pour générer de l'audience, un facteur vital pour n'importe quel groupe de médias», écrit le consultant. La séparation d'avec les grands groupes de médias pourrait d'ailleurs forcer les journaux à essayer de recréer des liens avec les internautes. Dan Kennedy estime que la presse écrite devra beaucoup investir dans les années à venir «pour faire une transition intelligente vers le numérique». «Le vrai problème avec les journaux (…) c'est l'échec à monétiser leurs lecteurs en ligne», explique Mark Jurkowitz. «Sans une augmentation des revenus numériques, il est difficile d'imaginer qu'ils puissent sortir de leur situation actuelle.» Le secteur regarde donc avec attention les expériences du New York Times, qui a gagné 32 000 abonnés en ligne au deuxième trimestre grâce à ses nouvelles formules d'accès payantes, et du Washington Post, qui vient de se vanter d'un «record» de fréquentation en juillet pour son site internet après son rachat par le patron d'Amazon, Jeff Bezos. Les scissions pourraient au final s'avérer positives pour la presse écrite, avance Peter Copeland, ancien journaliste et consultant. «C'est mieux pour les journaux et la télévision d'être séparés», juge-t-il. «Ils ne sont jamais allés ensemble. Ce sont des activités très différentes.» Il envisage un retour aux sources vers des propriétaires locaux et privés, qui «pourront se concentrer à 100% sur les journaux». Pour lui, «les journaux entrent dans une nouvelle phase. Ce n'est pas l'agonie, c'est juste une autre phase du cycle de la vie.»