Je n'ai jamais voulu parler de moi. C'est égoïste... » Cette sentence est celle d'un immense poète algérien, torturé, écorché vif, humaniste ayant adopté toute sa vie un profil bas. C'est dire de la belle leçon d'humilité qu'il dispensait aux autres.Celle du trouvère Djamal Amrani qui vient de disparaître à l'âge de 70 ans. Décédé, mercredi, des suites d'une crise cardiaque, Djamal Amrani a été inhumé, hier après-midi, au cimetière de Sidi Yahia, à Alger. Aussi, pour l'accompagner à son ultime demeure, c'est une longue procession d'hommes de culture et de radio, des amis, des anonymes et des riverains qui sera sa haie d'honneur posthume. L'écrivain et directeur de la Bibliothèque nationale, Amine Zaoui, le chanteur Djamal Allam, le comédien Saïd Hilmi, le réalisateur Bachir Derrais, l'artiste peintre Arezki Larbi, le directeur de l'ENRS, Zouaoui Benamadi, et auparavant au siège de la Radio algérienne, la poétesse Samira Negrouche et Zehira Yahi, amies du défunt poète, le cinéaste Merzak Allouache, la militante Louiza Ighil Ahriz ou encore des amis du livre comme Hacène Bendif et Ali Bey sont venus révérer la mémoire de l'auteur du Témoin et Bivouac des incertitudes. Djamal Amrani est né le 19 août 1935 à Sour El Ghozlane. Issu d'une modeste famille de neuf enfants dont il était le benjamin. D'un père exerçant la profession de receveur des PTT et d'une mère n'ayant jamais été scolarisée. Suivant le père à travers des missions itinérantes, la famille Amrani séjournera dans plusieurs localités, notamment à Cherchell, avant de s'installer définitivement, en 1952, à Alger. Le jeune Djamal Amrani y fréquentera l'école communale de Bir Mourad Raïs. Et c'est en usant ses fonds de culotte sur les bancs d'écolier qu'il fera une découverte littéralement littéraire et capitale dans sa vie. La mort du loup d'Alfred de Vigny et Les Amours de Chopin de George Sand qu'il connaissait par cœur l'inspireront aux premiers jets poétiquement candides. Après l'obtention du bac, avec succès d'ailleurs, en 1956, il sera contacté par Amara Rachid pour monter au maquis aux côtés de leurs frères d'armes de l'Armée de libération nationale (ALN). Ayant participé activement à la réunion préparatoire et à la grève des étudiants du 19 mai 1956, il s'impliquera dans le mouvement national de résistance. Lors de la Bataille d'Alger, en 1957, il sera arrêté, torturé dans la villa Susini et incarcéré. En signe de représailles, les forces d'occupation françaises tueront les membres de la famille de Djamel Amrani. Le père, le frère et le beau-frère, Ali Boumendjel en un mois. « J'ai traversé cela comme un enfer de couleur de corbeau... », commentera-t-il. Il ne sortira de prison qu'une année après avant d'être expulsé en France. Et c'est Germaine Tillon qui l'accueillera pour dénoncer la torture en Algérie et dont il était la preuve vivante. Sa toute première oeuvre fut Le Témoin en 1960 aux éditions de Minuit. Suivront des pontes aux succès d'estime comme Soleil de notre nuit en 1964. Après un séjour à Cuba, de 1962 à 1964, Djamel Amrani officiera dans le cabinet du président Houari Boumediene, avec Abdelaziz Bouteflika, Medegheri et Chérif Belkacem. Et où il rencontrera un jour un certain... Nelson Mandela. Il sera aussi, juste avant, l'un des pionniers des médias algériens en éditant le journal Chaâb avec Salah Louanchi et Serge Michel et un autre intitulé Atlas avec Cheriet Lazhari. En 1966, il résidera en France où il s'essaiera à la production d'une émission maghrébine à la télévision française l'ORTF. De retour en Algérie, il intégrera l'équipe de la RTA pour des émissions littéraires. Ce fut la rencontre inespérée de son désormais alter ego, âme sœur et sœur d'armes, la voix féminine délicate des ondes de la Chaîne III, Leïla Boutaleb. Un tandem de chic et de choc d'émissions radiophoniques comme Psaumes dans la rafale, Poémérides, Rhizomes magnétiques ou encore la fameuse A cœur ouvert. Djamel Amrani animait sur cette même station radio une émission poétique Le temps de vivre. Le 13 juillet 2005, Djamal Amrani a été le récipiendaire de la médaille Pablo Neruda, son ami, son maître, son pair et père spirituel. Une haute distinction de la poésie décernée par le président du Chili, Ricardo Lagos Escobar. « Je n'ai jamais eu l'occasion de guérir. Ma plaie reste béante à jamais... » The show must go on ! Une veillée hommage est prévue demain à la Bibliothèque nationale à 19h.