Plus de 146 tonnes de résine de cannabis ont été saisies durant les six premiers mois de l'année en cours. En 2013, la quantité récupérée avoisinait les 211 tonnes. L'Office national de lutte contre la drogue et la toxicomanie (ONLDT) constate une hausse de 22% des saisies entre les premiers semestres de 2013 et 2014. La même évolution a été enregistrée en matière de drogue dure, puisque la quantité de cocaïne saisie durant les neuf premiers mois est passée de 587 grammes, en 2013, à 1,197 kg, en 2014. Si les drogues dures et la résine de cannabis sont importées, les psychotropes – dont la consommation a sensiblement augmenté, de même que les saisies (en 10 ans, les quantités ont accru de 105%) –, viennent des officines et de laboratoires algériens, via des réseaux de trafiquants très organisés. Moins coûteuses et plus faciles à se procurer, ces pilules font elles aussi des ravages. Aujourd'hui, la drogue n'a épargné aucune catégorie juvénile. Elle a pénétré dans les cercles les plus protégés, comme les écoles, les lycées, les universités, les mosquées ou encore les prisons. Ses adeptes se comptent aussi bien parmi les universitaires que les écoliers, les lycéens, les fonctionnaires, les chômeurs ou chefs de famille. Dépassés, les pouvoirs publics sont incapables de mettre en place une politique claire de prévention et de lutte contre la drogue ainsi qu'un plan d'actions pour la prise en charge des toxicomanes. Les quantités énormes de drogue saisies n'augurent rien de bon, parce qu'elles constituent l'appât que laissent les barons aux services de sécurité, afin de détourner leur attention au moment où ils font passer des volumes plus importants sur le territoire national. Tous les spécialistes s'accordent à dire que l'Algérie a tous les moyens pour extirper les jeunes de ce fléau, mais sur le terrain, le mal ne fait que se répandre. Pour le premier responsable de l'Office national de lutte contre la drogue et la toxicomanie, M. Benhalla, la situation «est très inquiétante». Il le dit, en marge du colloque national sur le rôle de la société civile dans la prévention de l'usage de la drogue, dont les travaux se sont ouverts hier à Alger. Le même responsable met l'accent sur «les efforts colossaux déployés par les services de lutte et les moyens mis en place par l'Etat pour éradiquer le fléau». Sur le thème «Communiquer et travailler ensemble pour la prévention», la rencontre réunira, durant deux jours, de nombreux représentants du mouvement associatif, de la santé, mais aussi d'anciens toxicomanes qui ont réussi à guérir de ce mal qui ronge la jeunesse. Au programme, quelques communications, ou plutôt de longues interventions, souvent plus philosophiques, ou théoriques, que pratiques, c'est-à-dire basées sur la réalité du terrain. Les organisateurs, en l'occurrence l'Office, espèrent qu'à travers ce colloque, ils vont «promouvoir la communication entre les acteurs de la lutte contre la drogue et la société civile qui représente le moteur de la prévention». Durant les deux jours, il est question de traiter des «Moyens de prévention et de lutte contre la toxicomanie», de «La prise en charge des conduites addictives : entre dispositions légales et pratiques sanitaires», du «Rôle des cellules d'écoute dans la prévention de l'usage des drogues», de «L'insertion sociale des toxicomanes», de «L'accompagnement thérapeutiques des jeunes toxicomanes» et de «La prise en charge juridique et sanitaire des toxicomanes». En dépit de l'importance des thèmes retenus, il n'en demeure pas moins que la réalité sur le terrain est tout aussi grave que dramatique. «Nous sommes face à un fléau catastrophique. La drogue est un problème de santé mentale très grave. Elle touche une population de plus en plus jeune», déclare le professeur Farid Kacha, chef de service de psychiatrie de l'hôpital de Chéraga, en marge des travaux du colloque. Selon lui, «la toxicomanie n'épargne aucune catégorie d'âge. Elle touche de plus en plus les écoliers. La prise en charge de ces maladies ne donnent pas l'effet escompté, parce qu'il n'y a pas de plan d'action ou de stratégie réelle de prise en charge des toxicomanes. Nous avons les lois qu'il faut, mais elles ne peuvent être exécutées faute de décrets d'application, nous avons créé 53 centres, dont 13 seulement sont fonctionnels et nous avons les compétences professionnelles qu'il faut, mais chacun travaille seul dans son coin. Il n'y a pas de réseaux proprement dits, où se rejoignent les efforts pour coordonner la prise en charge. La drogue est en train de faire des ravages dans nos écoles, nos universités et même nos prisons. Pourtant nous avons les moyens d'y faire face. Par rapport aux pays de la sous-région, l'Algérie forme le plus de psychologues et de médecins spécialisés, qui compte le plus de structures sanitaires et qui a les plus grands moyens financiers. Pourtant sur le terrain, la toxicomanie ne cesse de prendre de l'ampleur. Nous pouvons sauver ces jeunes, pour peu qu'une politique et un plan d'action avec des objectifs bien précis et bien définis soient mis en place». Le professeur estime que «cette maladie» qui menace la jeunesse «n'est pas une fatalité. Elle peut être soignée et nous avons tous les moyens nécessaires pour y arriver. Ce qui manque c'est la volonté politique… » Très jeune, le docteur Yahiaoui a appris, sur le tas, le métier de la prise en charge des toxicomanes, au centre de Fouka, à l'ouest d'Alger. Elle a eu à assister de nombreux jeunes accros à la drogue. «Personne ne peut dire que la drogue ne touchera pas sa famille. J'ai rencontré des adolescents qui affirment avoir connu la drogue avec leurs pères, qui fument devant eux ; des toxicomanes qui ont appris à fumer parce qu'ils ont eu le malheur d'habiter avec un dealer, qui leur a offert les premiers joints gratuitement… C'est pour vous dire que la drogue est partout. Il suffit d'un rien pour qu'un jeune devienne un toxicomane. Mais avec de la volonté et le soutien de sa famille, il peut s'en sortir», nous dit-elle, en marge des travaux du colloque. Elle met l'accent sur «les expériences douloureuses», que «bon nombre de familles ont vécues». Lors du débat qui a ponctué les interventions, les questions ont, dans leur majorité, été axées sur la provenance de la drogue et les réponses ont été aussi que claires que l'eau de roche. «La drogue vient du Maroc et les quantités énormes saisies durant ces dernières années démontrent qu'il y a une volonté avérée de détruire notre jeunesse. C'est une attaque, une offensive au sens propre du terme. Tous les responsables du pays sont conscients de la gravité de la situation», répond Aïssa Kasmi, membre de l'Association des retraités de la Sûreté nationale, précisant que ses propos n'engagent que sa personne. M. Benbraham, président de l'association des Scouts musulmans algériens, n'y va pas avec le dos de la cuillère : «Nous devons arrêter cette industrie criminelle qui tue notre jeunesse. Il faut saisir toutes les instances onusiennes qui luttent contre la drogue pour obliger le Maroc à cultiver autre chose que du cannabis. Il faut mettre en réseau tous les centres qui prennent en charge les toxicomanes. Par expérience, nous savons que beaucoup de jeunes veulent s'en sortir, mais ils ne savent pas à qui s'adresser.»