Si les soubresauts du terrain politique occupent le devant de la scène, d'autres bouleversements tout aussi importants se manifestent dans le silence, loin des feux de la rampe. Ces bouleversements concernent cette étendue marine qui ne sépare pas mais rassemble l'Europe du Sud, l'Afrique du Nord et une partie de l'Orient. L'homme a cette faculté de crier et de manifester sa colère face aux atteintes qu'il peut subir, la nature, elle, subit dans le silence la dictature humaine. Heureusement que des hommes sont sensibles à son supplice et se font «les avocats» de Mère Nature. Les scientifiques prennent les devants pour plaider la préservation de ces vies plurielles, très riches et insoupçonnées, cachées dans cette immensité marine, dont nous apprécions l'étendue bleutée et le mouvement des vagues. Des scientifiques des deux rives se rencontrent régulièrement pour évaluer l'état de la recherche sur les profondeurs marines dont l'inventaire total n'a pas encore été établi, mais aussi pour se donner une voix commune appelant les pays à assumer plus de responsabilité dans la protection du patrimoine environnemental. C'est donc dans ce cadre que le Centre d'activités régionales pour les aires spécialement protégées (CAR/ASP), avec la collaboration du Plan d'action pour le Méditerranée et le Programme des Nations unies pour l'environnement, a organisé à Portoroz, en Slovénie, trois symposiums dédiés à la préservation des fonds marins. «Symposium méditerranéen sur la végétation marine», «Symposium méditerranéen sur la conservation du coralligène et autres bio-concrétions» et «Symposium méditerranéen sur la conservation des habitats obscurs» sont les trois thèmes de ces rencontres qui ont alerté d'une même voix sur la richesse de la diversité biologique en Méditerranée dont la santé est l'affaire de tous. «Sur l'état des lieux de la biodiversité marine, il ne faut pas être trop optimiste ni pessimiste. L'état n'est pas parfait, mais beaucoup d'efforts sont consentis pour préserver la Méditerranée. Le problème c'est que la Méditerranée se trouve au cœur de la planète. Lieu de passage de millions de bateaux par an, des tankers qui transportent du pétrole, des bateaux qui transportent des matières dangereuses et des produits chimiques nocifs à la mer et à la diversité biologique en Méditerranée», explique Khalil Attia, directeur du CAR/ASP dont le siège est à Tunis. M. Attia attire aussi l'attention sur un autre danger pour la mer que sont nos rejets déversés à partir de la terre. «D'après les recherches, 80% de la pollution en Méditerranée proviendrait des activités sur terre. Comme les eaux usées qui se déversent en mer, les déchets, l'effet de lessivage des champs agricoles produit par la pluie avec tout ce que cela charrie comme pesticides et autres produits fertilisants à base d'azotes et de phosphates.» Le phénomène de la surpêche est aussi l'autre et pas des moindres facteurs d'agression que subit grandement la faune et la flore marines. «La pêche non organisée et illicite, le non-respect des quotas de pêche, le chalutage, tout ceci fait que la mer Méditerranée aussi petite soit-elle, avec ses 22 pays riverains, est sous pression, chacun la sollicite. Le défi aujourd'hui est d'arriver à avoir une mer en bonne santé, qui soit productive et soutenant le développement économique de la région sans que l'on dépasse la capacité des ressources existantes», indique le même responsable. Quand l'Homme maltraite sa mer Ce dernier affirme que le niveau de pollution en Méditerranée ne prête pas à l'alarmisme, mais le risque existe et il est important d'y faire face. Les pays de la Méditerranée sont signataires de la Convention de Barcelone ainsi que d'autres protocoles pour la protection de la Méditerranée, mais les risques demeurent pour les zones appelées eaux internationales n'appartenant à aucun pays et qui sont des lieux de passage pour de nombreuses embarcations venant de pays non méditerranéens pas toujours respectueuses de la diversité biologique. «Il n'y a aucune loi qui interdit à ces bateaux venant de toutes les parties du monde de jeter des déchets, il existe la loi sur la pollution marine, mais la procédure est si complexe et si longue qu'il n'y a pratiquement pas de poursuite», explique M. Attia en notant que des études sont entreprises actuellement pour trouver un mécanisme afin de «mettre de l'ordre dans cette mer. La liberté de circuler est acquise mais pas la pollution». Outre cet aspect, la surexploitation du littoral avec l'emplacement d'industries touristiques notamment et l'urbanisation galopante dans ces zones côtières font que la mer est grandement pressée. Sous cette grande étendue marine, il n'y a pas de vide, un écosystème semblable à celui existant sur terre y est bien caché. Une immense forêt de végétaux et une population d'innombrables animaux marins vivent dans ces eaux qu'on gagnerait à protéger. Charles Boudouresque, enseignant chercheur au Mediterranean Institute of Oceanographie à Marseille, estime qu'il y a une exagération de la part des spécialistes de la pollution à trop incriminer cette même pollution. La surpêche est la principale cause de régression des espèces végétales et animales que renferme la mer Méditerranée. Des recommandations ont été émises par les chercheurs afin d'inciter les Etats à plus de sérieux dans le contrôle des activités de chalutage. «Non seulement il y a nécessité à renforcer les réseaux d'AMP (aire marines protégées) au niveau des deux rives de la Méditerranée, il est aussi important de renforcer le contrôle en mer afin de protéger les herbiers des chaluts», sont les recommandations du Symposium sur la végétation marine. Ceci et d'appeler à intensifier les recherches sur tout le pourtour méditerranéen, afin de mieux évaluer le potentiel marin et d'identifier l'origine de sa régression, et à faire un bilan des réglementations appliquées jusqu'alors, en soulignant les engagements de chacune des parties. Le renforcement des formations pour les pays du Sud en matière d'évaluation et de recherche a été aussi souligné.