-Lors de votre enquête sociologique sur le site AADL de Ouled Yaïch, quelle était la première impression des sondés ? Les premiers mots émanant des enquêtés étaient «retard» et «abandon». Retard par rapport au délai de réalisation, et abandon qui résume la situation dans laquelle étaient les riverains une fois les logements occupés (et ils le sont toujours). Les enquêtés nous ont raconté l'angoisse et le stress vécus avant la livraison, en 2005, de leur logement. Les promesses émanant de la direction AADL, qui consistaient à livrer les logements à temps, n'ont pas été tenues. Finalement, il y a eu plus de deux ans de retard. Les allers et retours quotidiens des enquêtés au niveau de la direction de l'AADL de Blida pour s'informer sur les raisons des retards traduisaient bien leurs inquiétude et impatience à l'époque. Les enquêtés se rappellent parfaitement du manque d'information de la part des responsables de l'AADL. Chaque jour les bénéficiaires se rassemblaient devant le siège de l'organisme chargé d'attribuer ces logements pour avoir des nouvelles concernant la date de livraison. Les bénéficiaires étaient donc livrés à eux-mêmes pendant ce temps-là. Heureusement, il y avait la presse pour les informer. Après le retard, il y a eu l'abandon. Nos sondés, une fois leurs appartements occupés, devaient faire face à d'innombrables problèmes. -En tant que sociologue, êtes-vous pour ou contre ce type de construction ? Il ne suffit pas de construire des cités ou des tours, il faut qu'il y ait un accompagnement d'infrastructures et des équipements, c'est-à-dire des écoles maternelles, des aires de jeux, des bibliothèques, des loisirs, des espaces verts… Nous avons déjà une idée sur les anciennes cités construites dans l'urgence. Ces dernières sont devenues des cités-dortoirs qui favorisent la délinquance. Ces dernières années, l'Etat n'attribue plus de logements sans commodités. Dans chaque nouvelle cité on voit des écoles, des aires de jeux, mais cela reste insuffisant. Puis, l'Etat livre les logements et démissionne… En tant que sociologue, je dirais aussi que l'Algérien n'est pas bien préparé pour gérer les espaces communs. Quelque part, il est égoïste. Il ne pense qu'à l'intérieur de son chez-soi, mais le reste ce n'est pas une priorité pour lui. J'ai l'impression que la société algérienne n'arrive pas à accéder à ce qu'on appelle la citadinité. Il faut rappeler que depuis plus de 40 ans, nous n'avons pas encore vu de changements au niveau des comportements des individus. Les habitants gèrent leur espace avec une mentalité rurale. La preuve, l'état des quartiers construits à partir des années 1970 recèle les mêmes caractéristiques que ceux construits récemment : manque d'hygiène, dégradation du cadre de vie, changement de l'esthétique des immeubles après leur occupation, délinquance, drogue et non-implication des comités de quartier pour contribuer à l'éradication de ces fléaux… -Lors de votre enquête sur le site AADL de Ouled Yaïch, quelles ont été les anomalies qui vous ont le plus frappée ? Pour le cas des bâtiments des 1652 logements AADL de Ouled Yaïch, hormis leur aspect architectural plus ou moins moderniste, la sécurité des habitants reste aléatoire, sinon insuffisante. Les générateurs de secours en cas de panne électrique, les systèmes de sécurité et d'alarme, mais aussi de circulation verticale sont pourtant incontournables dans la plupart des bâtiments à usage collectif, mais ils manquent à l'AADL de Ouled Yaïch. J'ai remarqué que certains appartements étaient loués, alors que cela est formellement interdit par la loi, dans la mesure où celui qui postule pour un logement AADL est dans le besoin. Officiellement, l'Etat essaie d'être ferme vis-à-vis des «contrevenants» et veille à contrôler tout dépassement. Mais la réalité est pourtant tout autre. Autre anomalie remarquée : la maîtrise de l'urbain reste insuffisamment contrôlée dans cette cité. En effet, la société civile et les autorités locales ne sont pas encore organisées pour créer des milieux urbains adéquats. Par conséquent, beaucoup d'insuffisances existent au niveau de la cité en question. D'ailleurs, le jour où les riverains ont eu leur logement, c'était, d'après leurs dires, l'euphorie totale pour eux. Mais une fois installés, l'euphorie s'est transformée en déception. A ce jour, et presque dix ans après la livraison des logements AADL Ouled Yaïch (2005), les mêmes problèmes sont toujours d'actualité. Problème d'ascenseur, d'eau, d'hygiène et de sécurité… Les cages d'escalier sont sinistrées et sales. Plusieurs vitres sont cassées et les lampes grillées, mais presque jamais réparées ou remplacées. La peinture extérieure et intérieure et le soubassement est dans un état lamentable. Des pans de plâtre tombent des plafonds. Les infiltrations d'eau sont inquiétantes. Les boîtes aux lettres sont dans un piteux état. Les marches d'escalier sont cassées et la liste est longue… -Et pourtant, il y a Gest-immo qui doit gérer les cités AADL une fois livrées… Pour parer aux insuffisances constatées en matière de gestion immobilière, l'AADL avait décidé, en mai 2009, la création officielle de sa filiale Gest-immo. Cette dernière visait, en outre, à améliorer progressivement le cadre de vie des locataires acquéreurs au niveau des cités réalisées par l'AADL. Elle avait été créée pour décharger l'Agence de l'amélioration et du développement du logement de la gestion immobilière qui n'était pas dans ses prérogatives. Le rôle de cette filiale est d'assurer la sécurité, l'hygiène, l'éclairage, la réparation des ascenseurs, la gestion des espaces verts et de loisirs… En principe, cette décision devrait mettre un terme à des lacunes enregistrées dans l'administration des logements AADL. Toutefois, malgré la création de Gest-immo, les lacunes et les insuffisances sont toujours signalées par les habitants. Ces derniers ne cessent de dénoncer cette filiale pour son incapacité de régler les problèmes de la cité (problème d'hygiène, sécurité…). Des mouvements de protestation ont été enregistrés à maintes reprises devant la cité AADL Ouled Yaïch afin de pousser les autorités locales à réagir. Mais, finalement, chaque partie renvoie la balle à l'autre. D'un côté, vous avez les locataires qui accusent les responsables de l'AADL de ne pas assumer leur rôle de gestionnaires et de ne pas répondre aux questions liées à leur bien-être, et de l'autre, vous avez les gestionnaires qui fustigent les locataires d'incivisme. Gest-immo reconnaît que les pannes d'ascenseur constituent l'un des problèmes les plus fréquents. Mais cette filiale accuse les habitants d'incivisme et de sur-utiliser ce matériel, ce qui explique, d'après cette filiale de l'AADL, les pannes fréquentes des ascenseurs. Un responsable de Gest-immo nous explique que ces pannes demandent des semaines de réparation, parce que la pièce à changer vient de l'étranger, donc cela peut prendre un certain temps pour qu'elle soit disponible. Mais les riverains se demandent où va l'argent des charges qu'ils payent régulièrement à Gest-immo. -La conclusion de votre travail… Il est vrai que les habitants de la cité AADL Ouled Yaïch, baptisée cité Ben Khedda, ne sont pas organisés pour assurer la gestion des parties communes, comme cela se passe dans les pays où la copropriété est soumise à un cadre juridique et à des règles de gestion précises, mais la dégradation de l'espace urbain et des cités n'a pas forcément pour seule origine le manque de civisme du citoyen, quand bien même ce dernier aurait une part de responsabilité indéniable dans cette atteinte à l'âme-même de la cité. Mais ce qui est flagrant, c'est que l'Etat reste absent. En dépit de nombreuses requêtes envoyées à qui de droit et des mouvements de protestation afin de pousser les autorités compétentes à réagir, la situation à la cité AADL de Ouled Yaïch n'a pas changé d'un iota, selon de nombreux témoignages de riverains. Les habitants locataires ne peuvent pas prendre en charge eux-mêmes certaines lourdes tâches, comme garantir leur sécurité, nettoyer les rues et ramasser les déchets, faire fonctionner les équipements publics, améliorer les services, tels que la gestion de l'eau potable, d'autant que certaines tours sont des R+14… Pis encore, de nombreux locaux commerciaux relevant de cette cité sont abandonnés et demeurent des coins favorisant la délinquance et la consommation de drogue. Voilà une preuve que l'Etat est lourdement responsable de ce qui se passe dans nos cités.