– Manque d'indépendance, problèmes de gestion… Quels sont les maux de la justice à traiter en urgence? Vous me demandez en quelques mots de décrire un polytraumatisme dans un milieu pathogène. Toutes les institutions du pays sont gagnées par l'inefficacité, l'incapacité, l'incompétence et le manque d'engagement. La justice subit d'abord les contrecoups des défaillances des autres fonctions des appareils de l'Etat. La justice est malade d'abord de ses lois qui lui sont transmises par un ministre de la Justice qui est un élément de l'Exécutif. Elle est aussi malade des hommes et des femmes issus d'un système éducatif défaillant. Elle doit réguler et régler toutes les défaillances en traitant tous les problèmes de la société. Elle doit suppléer aux démissions sociales, à l'affaiblissement des structures familiales. Elle est confrontée à des problématiques nouvelles et variées. Elle traite aussi bien du divorce, du crime, des problèmes de voisinage, des erreurs médicales et de cybercriminalité. Ses missions sont complexes, étendues, multiples et évolutives. Chaque jour qui vient apporte son lot de nouvelles criminalités. La justice souffre des maux de la société, du peuple profond et du pays. – Aujourd'hui, plusieurs avocats sont suspendus ou radiés du barreau. Est-ce un nouveau phénomène ? Et pourquoi est-il national ? Les sanctions disciplinaires des avocats sont le signe d'un déficit éthique des structures d'encadrement des barreaux. La sanction doit constituer un cas limité et exceptionnel. La recrudescence des sanctions est un événement préoccupant qui pourrait remettre en cause la confiance dans une profession qui jouit d'une grande respectabilité. Afin de traiter ces nouveaux phénomènes, la profession devrait faire son examen de conscience en organisant de véritables assises où nous pourrions débattre des nouvelles problématiques, d'éthique et de déontologie. Il est nécessaire de réfléchir à la création de nouvelles structures protectrices des avocats contre d'éventuels abus des corporations. La première formule serait un syndicat des avocats qui les défendrait contre les dérives et les abus des structures de l'organisation. La seconde serait une sorte de conclave des anciens bâtonniers ou autres avocats non structurés dans l'organisation, connus pour leur probité, leur compétence, leurs travaux ou l'esprit d'équité qui pondéreraient par leur autorité morale, les tentations d'abus auxquelles succombe toute personne au pouvoir incontesté. – Quelles sont les prérogatives du bâtonnier ? On m'a informé que des avocats réhabilités par la commission de recours devant la Cour suprême ont les pires difficultés à reprendre leur activité normale en raison du refus d'exécution des décisions par les bâtonniers. La situation est très grave et tragique, car il est quand même troublant que ces avocats n'aient pas été protégés par la solidarité confraternelle. Le refus d'exécution d'une décision de la commission de recours qui, notamment, réhabilite un avocat, est une situation gravissime. Il s'agit d'une consécration du fait du prince. Cet état de fait interpelle tous les confrères, notamment les anciens bâtonniers qui constituent une autorité éthique morale très appréciable et qui devraient s'exprimer à chaque fois qu'un avocat se trouve isolé face à un abus de pouvoir d'où qu'il émane. Un contre-pouvoir doit être instauré afin d'éviter les abus. Le bâtonnier est une autorité morale et non hiérarchique. Il doit veiller au respect de tous les avocats, même ceux qui ont eu des sanctions fondées. – Qu'en est-il du droit à la défense quand on constate que même les avocats ne sont pas défendus lorsqu'ils sont en litige avec leur bâtonnier ? Un avocat ne peut rien faire face (et non contre) à un juge, un procureur ou un greffier s'il n'est pas protégé par les siens. Les défenseurs ont droit et doivent être défendus. Leur affaiblissement au sein même de leur organisation est une véritable tragédie qui les affaiblit dans leurs missions.