Plusieurs ouvrages désormais disponibles sur cette grande figure de la culture algérienne. Il avait dit : « Le livre comble en moi l'historien et en même temps, le bibliothécaire archiviste, mon métier de toujours ». Il était donc juste et nécessaire que le livre lui rende une partie de ce qu'il avait entrepris pour sa diffusion dans notre pays. Des générations entières de lycéens et d'étudiants, qui ont fréquenté l'ancien siège de la Bibliothèque nationale, Bd. Frantz Fanon, se souviennent encore de cet homme qui, paraissant sévère, s'était avéré être d'un naturel charmant, n'hésitant pas à passer dans les salles de lecture pour s'entretenir avec eux, les encourageant chaleureusement et, quelques fois même, partager avec eux un thé à la buvette de l'institution. Il était alors directeur de la B.N, poste qu'il a occupé durant 30 ans à partir de l'indépendance. Né en 1928 dans une famille de lettrés, il avait été marqué par son grand-père, dit « Bouayed Monsieur », l'un des tous premiers instituteurs algériens, attaché au patrimoine comme à la modernité et fondateur du Cercle des jeunes Algériens nationalistes au début du XXe siècle. Avec, en plus, un père interprète, attaché à la confrérie de la Qadirya, le jeune Mahmoud-Agha, bénéficia d'une éducation baignant dans la spiritualité et l'ouverture aux langues, aux lettres et au savoir. Parfait trilingue (arabe, français et espagnol), il entre en 1942 à la médersa franco-arabe et commence à fréquenter les associations culturelles nationalistes. Sa formation de base le propulse vers des études supérieures brillantes. Diplômé dans les années quarante des universités de Fès puis de Rabat, il obtiendra à l'Université d'Alger une licence en lettres (1953) et un diplôme de d'Institut d'études islamiques (1954). En 1953, à Paris, il est classé parmi les premiers au concours de bibliothècaires, spécialité manuscrits, et en 1959, l'Unesco l'envoie en stage de biblothéconomie à Beyrouth. Premier spécialiste algérien en la matière, il sera aussi le seul à exercer à la Bibliothèque nationale et ce, de 1953 à 1957 où ses activités nationalistes seront connues des services français. Membre permanent de l'OCFLN depuis 1955, il avait, en effet, assumé des missions importantes. Il est incarcéré pendant 6 mois puis relâché avant d'être recherché à nouveau, quand on se rendra compte de toutes ses activités. Il se réfugie alors au Maroc et devient, de 1958 à 1961, conservateur de la bibliothèque et maître de conférences à la faculté des lettres de Rabat. Il part ensuite enseigner l'arabe au Sénégal et en Maurétanie sous une fausse identité qui lui permet de poursuivre son soutien à la Révolution, marqué, entres autres, par son rôle de pionnier dans la naissance clandestine du journal El Moudjahid. En 1962, il est nommé à la tête de la B.N. Son combat se poursuit notamment avec la récupération quasi rocambolesque des manuscrits de la B.N. qui avaient été cachés dans une villa de Bouzaréah, en vue de leur expédition clandestine en France. De même, il présidera le Cirbua, chargé de la reconstruction de la Bibibliothèque de l'Université d'Alger, brûlée en 1962 par l'OAS qui avait intégré le savoir dans son action de « terre brûlée ». Il est également directeur des bibliothèques et archives d'Algérie qu'il organisera, parfois à partir de cendres ou de fonds évacués outre-mer. Il fut, à ces divers titres, un militant du livre dans notre pays. Il a affirmé notamment : « Construire une école dans un village ou un quartier n'est pas suffisant. Il faut qu'elle soit accompagnée d'une bibliothèque ou que le bibliobus fournisse régulièrement aux habitants, élèves ou anciens élèves, les moyens de compléter l'enseignement du maître ». Il avait imaginé des Maisons du Peuple qui seraient des centres de diffusion de la lecture et de la culture. Il a rédigé de nombreuses études sur la question de la lecture publique en Algérie, ainsi que des ouvrages de référence. Consultant de l'Unesco et de l'Alesco pour le livre et la lecture, son aura a dépassé les frontières du pays. Organisateur de formations et de séminaires, concepteur de programmes en Algérie, au Maghreb et dans tout le monde arabe, il a, par exemple, contribué à la création de la Fondation du Roi Faycal à Riadh. Il trouvera le temps de soutenir un doctorat de 3e cycle en histoire (Alger, 1975), discipline qui le passionnait. En 1999, le Président Bouteflika le nommera comme son conseiller aux affaires culturelles, lui confiant également plusieurs hautes missions de représentations dans le monde. Il est impossible ici de décrire toutes les contributions émérites et pertinentes de cet homme, décédé en 2006 et décrit, par tous ceux qui l'ont connu, comme érudit et attachant. Aussi, la publication de deux ouvrages est la bienvenue, autant pour lui rendre hommage que pour le faire connaître des générations actuelles. Sa distinguée veuve, Madame Fatima-Zohra Bouayed, a ainsi réuni et classé en deux tomes, bilingues comme il l'était, des textes importants du défunt sous le beau titre Réflexions d'un homme-livre (Ed. ENAG. Alger. 2009). On y découvre une pensée pratique tournée vers la générosité et une conscience stratégique des enjeux culturels en Algérie et notamment du livre. Ces livres devraient figurer dans toutes les bibliothèques d'Algérie et presque tous ses textes dans les programmes scolaires ou universitaires. Ce serait le meilleur hommage à la mémoire de cet homme de bien et d'intelligence. Signalons le livre que lui a consacré le Haut conseil islamique en 2007, soit un an après son décès, avec des témoignages et hommages instructifs. Disponible dans la bibliothèque du HCI qu'il avait lui-même créée…