De plus, son emplacement lui a donné une configuration impressionnante, sans doute unique au monde et on ne peut en trouver un exemple rapprochant – et à moindre échelle – que dans la ville sicilienne de Raguza dont certaines images sont troublantes de ressemblance. Ce nid d'aigle aux ravins vertigineux a, de plus, l'avantage de condenser quasiment tous les éléments constitutifs de l'identité nationale. On y a trouvé des éléments de la période préhistorique. Elle a joué, en tant que Cirta, un rôle immense dans l'Antiquité, incarnant l'amazighité à travers les dynasties numides, entre le grand souverain Massinissa et le grand résistant Jugurtha. Elle a vécu, pas à pas, souvent dans sa chair, toutes les étapes de l'histoire algérienne, subissant les invasions vandale et byzantine, vivant pleinement l'avènement de l'Islam d'où elle fera jaillir plus tard le réformisme musulman, l'Islah, qui traversait alors l'ensemble du monde arabe et dont la formulation est restée souvent méconnue et simplifiée à l'extrême. Il suffit de dire, comme l'a montré le brillant chercheur, Abdelaali Merdaci, que le journal de l'Association des oulémas, El Baçaïr, accueillait dans ses colonnes des poètes qui écrivaient en arabe en se réclamant du surréalisme, ou de savoir que les écoles de l'association étaient mixtes quand celles de l'Etat français ne l'étaient pas, pour mesurer combien nous échappe, au-delà des clichés, l'apport d'un Ibn Badis et de ses compagnons. Constantine a été auparavant irriguée par la période ottomane, et elle a eu la chance d'avoir des beys aux fortes personnalités (ce qui n'a pas souvent été le cas à Constantine comme ailleurs), Salah Bey et Ahmed Bey, ce dernier étant devenu une icône de la résistance algérienne. Elle a été aussi aux premières loges du mouvement nationaliste et de la guerre d'indépendance, inscrivant des pages fortes du combat pour la patrie. Bref, on peut piocher dans n'importe quelle période de notre histoire pour constater que, d'une manière ou d'une autre, elle était présente et, qu'à ce titre, sa mémoire appartient à tous les Algériens et Algériennes. Et, tout cela, elle le doit, dès ses origines, à son site exceptionnel qui a attiré toutes les ambitions et les convoitises, si bien que sa géographie a en quelque sorte créé son histoire. D'ailleurs, comme vous pourrez le lire plus loin, ses habitants la nommaient «Bled el haoua», ce qui signifiait à la fois cité aérienne et cité des passions. Capitale de la culture arabe depuis deux jours, nous nous intéressons dans ce numéro spécial à son capital culturel à travers quelques symboles et repères forcément incomplets. Enfin, au contraire des fameuses piles, un capital culturel ne s'use que si l'on ne s'en sert pas. C'est tout l'enjeu d'un tel événement. Pourra-t-il susciter, au moins dans la ville et sa région, un déclic pour un mouvement culturel capable de durer ?