La grève et les manifestations de rue des travailleurs de la zone industrielle de Rouiba se sont poursuivies hier avec la même mobilisation et la même détermination que ces derniers jours. Au 8e jour de grève et 6e journée de manifestation de rue, les 11 000 travailleurs grévistes de SNVI, Anabib, Cammo, Tammeg, Mobsco et autres entreprises n'ont pu que constater l'indifférence des pouvoirs publics. Plus d'une semaine de paralysie de la zone industrielle de Rouiba n'a pas fait réagir le gouvernement. « Le gouvernement méprise le peuple et les travailleurs. Ces gens n'ont aucun sens des responsabilités, ils sont prêts à sacrifier toute l'Algérie. Sous d'autres cieux, dans des pays où les décideurs émanent réellement du choix de la population, le gouvernement démissionne au bout d'une semaine de manifestations. Il faut que le peuple prenne conscience de ce mépris qu'ont envers lui les responsables », nous a déclaré hier sur les lieux de la manifestation un travailleur de la SNVI. Comme pendant ces six derniers jours, les travailleurs de la SNVI ont organisé une assemblée générale dans la matinée à l'intérieur de l'usine avant de sortir pour une marche vers la ville de Rouiba. Mais leur marche ne dépassera pas la limite tracée par les forces de sécurité : le carrefour situé devant la Cima Motors, à équidistance entre leur usine et l'entrée est de la ville de Rouiba. Depuis le troisième jour de la protestation, soit le 5 janvier courant, les travailleurs reproduisent la même action. Ils sortent, empruntent la RN5 en scandant des slogans exprimant leur rejet des conclusions de la dernière réunion tripartite et dénonçant « la complicité du secrétaire général de la centrale syndicale, Sidi Saïd » et se rassemblent là où les forces antiémeute, la matraque à la main, leur barrent la route. Intervention musclée des forces de police A cet endroit, le décor n'a pas changé : camions arroseurs et balayeurs, fourgons de transport des forces antiémeute et autres véhicules de gendarmerie occupent l'espace public. « Le pouvoir oppose la force et la répression aux cris de détresse de milliers de pères de famille qui n'arrivent pas à nourrir leurs enfants. Il ne nous manquait que la bastonnade », nous disait hier un autre travailleur. Les forces de l'ordre, de leur côté, reproduisent le même schéma : barrages dissuasifs dans les artères principales de la zone et présence intimidante devant les grandes entreprises. « Si la présence massive des forces de sécurité dissuade certains de marcher, cela ne les empêche pas pour autant de suivre le mouvement de grève. Toutes les entreprises publiques de la zone sont à l'arrêt », nous dit un groupe de manifestants. A rappeler qu'au premier et deuxième jours des manifestations de rue, des blessés légers ont été enregistrés parmi les manifestants suite à l'intervention musclée des forces de police et de gendarmerie. « Nous voulions marcher vers la ville de Rouiba pour attirer l'attention de tous les citoyens sur notre malheur et en même temps pour nous rassembler devant le siège de l'union locale de l'UGTA », soulignent les travailleurs. Car le mouvement s'est déclenché d'une manière spontanée et le syndicat a, dans un premier temps, essayé de contenir la contestation en jouant au modérateur. Plus tard, lorsqu'il s'est avéré que les travailleurs étaient déterminés à poursuivre leur mouvement, les syndicalistes ont rejoint la contestation, qu'ils encadrent d'une manière exemplaire. « Nous manifestons de manière pacifique pour dire que nous exigeons une augmentation immédiate des salaires et pour réclamer l'actuel dispositif de départ à la retraite. Nous réclamons aussi l'amélioration des conditions de travail », nous dit M. Ben Mouloud, membre du bureau du syndicat d'entreprise. Interrogé sur la position par rapport au communiqué diffusé avant-hier par la fédération de la métallurgie, de la mécanique et de l'électronique de l'UGTA, il répond : « Je suis le secrétaire général par intérim de la fédération. Ils ont tenu la réunion sans ma présence. Ceci pour vous dire que ces déclarations n'ont aucun effet ni aucune légitimité. » « Les travailleurs, de leur côté, estiment que cet autre document de l'UGTA, qui intervient après le communiqué signé Sidi Saïd diffusé jeudi dernier et qui loue les efforts des pouvoirs publics pour aider la SNVI, n'a aucune valeur. Cette déclaration, signée Salah Soum, sanctionne une réunion extraordinaire tenue avant-hier entre la fédération et Sidi Saïd dans le but de trouver des solutions aux revendications de la SNVI et d'autres entreprises. » Elle rapporte que ladite fédération « demande au patron de l'UGTA de donner rapidement son feu vert pour engager des négociations avec les sociétés de gestion des participations de l'Etat afin d'améliorer la situation des travailleurs ». La fédération « invite également la centrale à poursuivre sa contribution à la mise en place rapide d'un dispositif d'assainissement des entreprises », selon le document. Celui-ci rapporte aussi que « la fédération salue la décision des autorités supérieures du pays d'encourager les entreprises algériennes et qu'elle invite tous les syndicats d'entreprise à faire leurs propositions quant aux salaires et au départ à la retraite ». « Nous ne sommes pas dupes ; Sidi Saïd reçoit des ordres d'en haut et comme il ne peut pas récidiver avec un deuxième communiqué, vide d'ailleurs tout autant que le premier, il actionne la fédération de la métallurgie. Nous savons qu'il est otage de ses erreurs et qu'on lui dicte tout, surtout suite à sa citation dans l'affaire Khalifa. Il ne va pas nous faire avaler des couleuvres ; notre mouvement va se poursuivre jusqu'à satisfaction de nos revendications », nous disaient les travailleurs hier. Les syndicalistes rejoignent la constestation Face à la « barrière » constituée d'éléments des forces antiémeute, les manifestants scandaient : « Zidouna souma, arfaâ rassek ya baâ » (augmentez nos salaires pour que nous vivions dignement). La deuxième partie du slogan est reprise dans le répertoire discursif de Bouteflika, qui l'a prononcée lors de sa campagne électorale de 2004 en promettant aux Algériens une vie décente pour lui rappeler ses engagements. L'aigreur a même poussé les manifestants à scander : « One, two, three, viva Malawi », voyant dans la défaite de l'équipe nationale, hier, la déroute de toute une politique. Et de déclarer : « On débourse des milliards dans l'instrumentalisation du football à des fins politiques et on laisse mourir de faim les travailleurs. » En début d'après-midi, les travailleurs se sont dispersés calmement en promettant de revenir dans la rue aujourd'hui.