Souvent considéré comme un non-sujet, parfois comme un sujet qui concerne surtout les sociétés occidentales, et même peut-être comme l'un des tabous de notre société, le vieillissement est pourtant un sujet dont nous devons nous emparer ! Compte tenu de ses incidences sur la santé et sur l'économie des Algériens, la prise en charge de nos aînés constitue l'un des virages que le pays doit négocier sans attendre. La prise en charge des aînés devient un impératif sociétal pour permettre de faire face à cette autre transition démographique. Des chiffres préoccupants Quelques chiffres suffisent pour prendre la mesure de la problématique du vieillissement et de ses conséquences. Selon une étude de l'ONU, mise à jour tous les deux ans, sur l'évaluation des tendances démographiques de chaque pays, la population algérienne va vieillir et être davantage confrontée à des défis en matière de santé et d'aide aux personnes âgées, notamment celles qui sont dépendantes ou à mobilité réduite(1). Plus précisément, il en ressort que la part de la population âgée de 60 à 79 ans sera en hausse continue, passant de 7,4% de la population globale en 2013 (soit 2 812 000 individus), à près de 7 millions en 2030 (14% de la population totale)(2). Une tendance similaire concernera les personnes âgées de 80 ans et plus qui représentent 0,8% de la population en 2013, mais qui augmenteront à 2,2% en 2050 avant de plus que tripler pour atteindre 7,4% en 2100. Parmi les presque 3 millions de personnes âgées de plus de 65 ans recensées en 2013, une part non comptabilisée a perdu de sa mobilité ou n'est plus autonome. Si on retient une estimation basse de 10%, cela représenterait près de 300 000 personnes. Autre indicateur qui doit nous faire réfléchir : le coût de la non prise en charge du vieillissement est évaluée à la perte de 1 à 1,5 points de croissance à partir de la décennie à venir dans les pays du Maghreb par un rapport de Moody's publié en juin 2014. Toutes les familles algériennes sont concernées Les personnes âgées, surtout lorsqu'elles sont à mobilité réduite ou en perte d'autonomie, sont pour l'essentiel prises en charge par des aidants familiaux, plus rarement de façon organisée par la collectivité. Dans notre pays, plusieurs générations cohabitent ou vivent ensemble dans des habitations dont les infrastructures et parfois la promiscuité sont incompatibles avec l'état de santé des aînés vieillissants et parfois dépendants. A cela s'ajoute la charge que représentent les personnes âgées pour leurs proches : les ménages, avec leur occupation professionnelle, ne sont peut-être pas tous suffisamment disponibles, équipés et formés pour se consacrer à leur(s) parent(s) âgé(s), notamment s'ils sont en perte d'autonomie ou en situation de handicap. Il en va également de leurs capacités financières (souvent limitées) pour assurer ces prises en charge. Ne pas relever ce défi de la prise en charge des personnes âgées, surtout lorsqu'elles sont fragiles ou en perte d'autonomie, pourrait, dans les prochaines années, conduire à distendre les liens familiaux et sociaux, et surtout à alourdir la charge de l'Etat qui serait alors confronté à une véritable crise sanitaire et sociale. Où en sommes-nous concrètement ? Quelles initiatives peut-on observer en Algérie ? Les chiffres permettant un diagnostic fiable et complet manquent, faute d'un recensement et d'une évaluation réguliers des dispositifs d'accompagnement et d'accueil des personnes âgées. Certes, des initiatives existent. Déjà en 1992, la solidarité nationale, grâce à un téléthon, a permis la création de trois maisons d'accueil pour personnes indigentes ou sans abris, à Oran, Alger et Constantine. On peut également relever la thèse réalisée par une doctorante de l'université d'Oran en juin 2012 sur «La prise en charge des personnes âgées de 65 ans et plus en institution dans la région de l'Ouest»(3). Ce travail a le mérite de poser la question de la prise en charge des aînés dans l'un des territoires du pays. Parmi les initiatives recensées, citons la Journée nationale des personnes âgées célébrée le 27 avril de chaque année, qui a le mérite de faire des propositions concrètes sur l'accompagnement des aînés. La dernière édition a eu lieu à Bouira il y a quelques semaines. Par ailleurs, d'après nos observations à travers le pays, plusieurs types de dispositifs co-existent pour prendre en charge les personnes âgées. Services hospitaliers de médecine polyvalente (où elles sont parfois reléguées à défaut de services de gériatrie, cette spécialité n'existant pas en Algérie), services de soins de suite et de réadaptation, maisons d'accueil (Dar El âjaza ou Dar Errahma), associations locales ou initiatives particulières telles que la basilique Lalla Bona et Saint Augustin à Annaba, gérée par les pères blancs et les sœurs, grâce aux dons des citoyens. Dans que mesure ces dispositifs répondent-ils à l'exigence de prise en charge sécurisée et au respect de la dignité de nos aînés ? L'exemple d'un établissement visité, qui accueille des personnes âgées isolées, pour la plupart, sans famille, est interpellant. Le directeur de cette institution témoigne de ses difficultés au quotidien : «Manque de personnel médical et soignant formés à la gériatrie», «gestion grâce aux dons qui viennent en complément de subventions insuffisantes de l'Etat». Il a accepté de partager cette anecdote révélatrice : «Ce vieux monsieur a été déposé devant Dar El âjaza très tôt un matin, avec dans sa poche sa carte d'identité et un mot : «Occupez-vous de lui s'il vous plaît.» Cela traduit bien le désarroi de certaines familles algériennes sur la charge leurs aînés.» Au quotidien, dans nos villes, on constate l'action dynamique et discrète d'associations d'aide aux personnes âgées. Réparties à travers le pays, elles œuvrent à donner un peu de confort et de dignité aux personnes qu'elles accueillent ou recueillent le plus souvent. Parmi celles que nous avons rencontrées dans plusieurs villes du pays, on trouve des associations socio-culturelles ou encore une association de formation médicale continue : ces associations ont parfois dû évoluer au-delà de leur objet initial pour prendre en charge des aînés souvent démunis. Le constat est sans appel : face à l'absence de stratégie nationale volontariste, équilibrée et adaptée à notre culture et à nos territoires de santé, ces acteurs tentent de faire face à l'urgence, de façon isolée et avec des moyens limités. Comment ne pas s'interroger devant l'absence de projet planifié et concerté de prise en charge de nos concitoyens âgés, qu'ils soient en bonne santé, fragiles ou en perte d'autonomie, voire en situation de dépendance ? Quelles propositions formuler pour amorcer le virage du vieillissement ? Alors que le modèle occidental des établissements d'hébergement pour personnes âgées est régulièrement remis en cause, quelles sont les solutions de prise en charge proposées en Algérie ? La définition d'un modèle algérien de prise en charge du vieillissement requiert de répondre à un certain nombre de questions préliminaires. Tout d'abord, de qui les Algériens vieillissants et en perte d'autonomie doivent ils être la préoccupation ? Des familles, parfois démunies, ou plus largement de la société et de l'Etat algériens ? Si c'est là l'une des missions de l'Etat, à quand une véritable évaluation de l'ampleur du vieillissement et de ses conséquences ? Quelle offre de soins mettre en place à destination des aînés ? A quand des services de gériatrie en Algérie ? Et avec quelle politique de maintien à domicile des aînés ? Nous en sommes convaincus : le vieillissement et la perte d'autonomie doivent être pris en compte dans les choix stratégiques de l'Etat, en matière sociale et de santé, mais aussi d'urbanisme et de vivre ensemble. La politique nationale de santé doit aussi permettre aux citoyens d'accéder à des dispositifs adéquats pour garantir la sécurité des personnes âgées dépendantes (atteintes par exemple d'Alzheimer ou de démence). Si l'Etat doit être en première ligne pour assumer cette charge générationnelle et sociale, la question du financement du vieillissement et de la perte d'autonomie et de la dépendance se pose également : quelle part pour l'Etat, quelle part pour les ménages ? Et quel rôle pour des organismes d'assurance privés et mutualistes ? Par ailleurs, que le sujet du vieillissement devienne une préoccupation stratégique de nos gouvernants est certes nécessaire, mais cela n'est pas suffisant. Cela doit devenir également l'affaire de tous les entrepreneurs et investisseurs du pays. Comment faire prendre conscience que la prise en charge des aînés et des personnes dépendantes peut véritablement constituer un levier de développement économique ? En effet, l'«économie des seniors» (appelée communément «silver economy») désigne toutes les activités développées autour de la prise en charge et de l'accompagnement des personnes âgées («grisonnantes»). Elle est pourvoyeuse d'emplois et d'innovation, étant donné toutes les possibilités technologiques permises pour accompagner et prendre en charge les seniors, notamment pour développer le maintien à domicile qui correspond naturellement à notre culture. Dans les pays européens, le vieillissement de la population est considéré comme une véritable «lame de fond» qui va impacter de nombreux domaines (industrie et technologies, systèmes d'information, santé, services à domicile et domotique, loisirs, transports, alimentation, habitat collectif, assurances…). Ainsi, l'économie des seniors représentait un potentiel 92 milliards d'euros en 2013 et dépassera les 130 milliards en 2020 en France(4). «La révolution de l'âge», fera des plus de 60 ans des acteurs majeurs de l'économie européenne et mondiale. Et les enjeux ne se situent pas seulement dans la sphère du financement des systèmes d'assurance chômage, de retraite ou encore de santé. C'est l'ensemble de la société qui devra s'adapter à cette évolution démographique, notamment par des innovations sociales et organisationnelles(5). Enfin, alors que le modèle occidental des établissements d'hébergement pour personnes âgées est régulièrement remis en cause, nous considérons que ces établissements d'hébergement doivent être dédiés à des personnes âgées très dépendantes (Alzheimer, démence…) dont le maintien à domicile est strictement impossible. D'ailleurs, la construction et la gestion d'établissements dédiés à leur prise en charge pourraient constituer un axe complémentaire de création d'emplois avec, à la clé, le développement de nouveaux métiers. En définitive, il reviendra aux pouvoirs publics et à la société civile d'inventer des modalités de prise en charge de nos aînés qui nous correspondent. Ce modèle devra tenir compte de nos spécificités cultuelles, culturelles et sociologiques. Il faut, pour y arriver effectivement, en appeler à la mise en place d'une véritable stratégie nationale de prise en charge de nos concitoyens âgés, qui devra passer d'abord par une prise de conscience, puis par le lancement d'un véritable débat national sur ce sujet. Pour un débat national et des politiques publiques adaptées Nabni entend poursuivre ces premières investigations avec les acteurs de la santé et du social. Nous souhaitons nourrir le débat pour favoriser une prise de conscience collective sur l'impératif de la prise en compte du vieillissement dans le développement économique et social de notre pays. Poser des questions, dit-on, c'est aussi y répondre. Il s'agit désormais, comme dans de nombreux domaines, de tracer les contours d'une véritable stratégie nationale qui permette à notre pays d'anticiper les effets du vieillissement en matière de retraites, d'assurance maladie obligatoire et complémentaire, de santé publique, afin de mettre en place les réformes adéquates.