L'usage du terme «université», accolé à «algérienne», est en soi une entorse tragique à la sémantique élémentaire, Tant les mots université et Algérie sont inadaptés. Incompatibles, inconciliables voire antithétiques. Cela n'a strictement rien à voir avec un quelconque classement planétaire, cyclique, où cette «structure étatique statique» est immanquablement en queue de peloton. Il s'agit plutôt de ces pratiques bureaucratiques intrinsèques, générées par elle-même et durablement maintenues pour un grotesque contrôle d'une police de la pensée incongrue. Une police de la pensée étrangère à tout ce qui peut se penser ou se réfléchir. Se conceptualiser ou s'intellectualiser. Le cas de Samir Bellal, de l'université de Boumerdès, à qui on refuse une participation à une manifestation scientifique, pour raison de contribution «politiquement incorrecte» n'est pas un cas isolé. Ils sont fort nombreux ceux qui ont subi le même arbitraire. Et qui ont eu la lâcheté de se taire. Par peur des félonies et des forfaitures de cet arbitraire. Un arbitraire symptomatique, au sens clinique du terme. Symptomatique d'un triomphalisme de l'insignifiance à l'université au profit des nervis et de toutes sortes de picorateurs. Tous ces barboteurs dans les râteliers, sous contrôle de la «tutelle» qui festoient au rituel de la prébende. Ces abonnés de la rente de la honte. Exiger «une lettre d'accueil», selon la formule consacrée, à un professeur titulaire, ayant plusieurs publications, qui doit souvent s'adresser à moins diplômé ou moins expérimenté que lui, est une honte. Un déshonneur. Une humiliation qui n'existe dans aucun pays du monde. Au prétexte de lui donner une minuscule miette de la rente. C'est ce qu'on peut appeler, sans colère, une ignominie. Demander à un administratif d'agréer un travail scientifique est un scandale. Favoriser l'accession à ces postes de contrôle aux médiocres assujettis qui n'ont jamais rien produit est une injure au savoir. Il suffit de savoir qui se trouve à la tête des facultés et des universités. Il existe des présidents de conseils scientifiques qui n'ont jamais écrit une ligne. Mais qui disposent d'un cachet officiel qui les autorise à «aimer», les copains et les proches. Et surtout à détester. A détester les Samir Bellal. Tous les Samir Bellal. Sauf si les Samir Bellal veulent aller aux Emirats, au Qatar ou en Arabie Saoudite. Dans ce cas, les fameuses lettres d'accueil, les «congés scientifiques et les «omras scientifiques» passent comme une lettre à la poste. Comme une lettre à la honte. Les Fondements de la risée La configuration actuelle de l'Université algérienne donne, d'emblée, à lire les velléités de sa laborieuse et introuvable «recherchabilité». Elle s'illustre principalement dans l'ensemble de l'imaginaire sociétal par sa triple négativité : I – La séparation de corps de l'enseignement et de la recherche au sein de l'Université elle-même. Alors qu'en toute logique ils sont supposés se sustenter mutuellement, s'enrichir et se complémentariser, la réalité des faits montre qu'enseignement et recherche évoluent, depuis plusieurs années, en forme de ciseaux, rendant l'écart entre les deux lames de plus en plus ouvert. Ce qui est fort préjudiciable à la cohérence et à la cohésion d'un enseignement universitaire se nourrissant de découvertes et d'avancées épistémologiques. II – La pléthore, exponentielle, de structures institutionnelles qui se juxtaposent ou se côtoient sans se fréquenter. Un agrégat d'isolats budgétiphages, où très souvent les programmes, les thématiques, les sujets et les problématiques se chevauchent, se télescopent, se répètent avant de s'évanouir, sans produire la moindre connaissance à laquelle ils sont censés devoir leur existence. Des structures de recherche séparées de la moindre volonté de rechercher un renouvellement de la connaissance dans le monde d'appréhension du réel. III- la séparation de l'univers de la recherche dite scientifique en Algérie avec l'observance d'un code déontologique minimal. Cette séparation, qui ne relève pas forcément du registre moral, revêt la forme d'un déficit éthique drastique, habitant la plupart des institutions ou structures, dites de recherche. Des institutions qui ont pour préoccupation focale, voire pour mission principale, d'apporter une caution, d'apparence académique, à des orientations officielles. Une caution de complaisance qui se fait au détriment d'une recherche scientifique dissonante participant à l'objectivation de la conscience critique de la société et du savoir sociétal. Cette triple séparation, entre enseignement et recherche, entre éthique et pratique scientifique, et enfin entre recherche dite scientifique et absence de volonté de renouvellement dans le mode d'appréhension du réel socétal est une triple infirmité majeure, contrariant fortement l'émergence d'une Université algérienne conforme aux exigences universelles. Cette triple absence, conjuguée aux pratiques rémanentes du bureaucratisme imbécile des lettres d'accueil et autres autorisations administratives pour toute avancée scientifique, assure la pérennité de l'insignifiance triomphante.