Il dissèque des dépouilles mortelles afin de déterminer les causes du décès. Mutatis mutandis, nous serions presque dans la même situation si nous voulions comprendre les raisons qui, dans le temps «froid» de l'histoire, nous ont embourbés et figés dans l'ornière évoquée hier. Le second, dans le bloc opératoire, opère in vivo. Et, il a à cœur de sauver son patient. Le chirurgien ne s'embarrasse nullement de considérations autres que celles qui maintiennent en vie le malade, dût-il consacrer tout son temps et y investir toute son énergie pour le succès de son opération. C'est le temps chaud de l'actualité brûlante. Il en est de même pour l'idée que nous nous faisons de notre nation. Si nous tenons à sa pérennité, à sa prospérité et à son avenir radieux et sain, nous devrons la soigner. Elle entrera enfin de plain-pied dans la modernité institutionnelle et intellectuelle. La médication commence par faire délivrer le peuple du piège de la religiosité sauvage – selon l'expression du cardinal Daniélou (1905-1974) et le traitement salvateur passe par la désaliénation des consciences de la bigoterie crétinisante. Surtout libérer l'esprit de toutes ses entraves. Parce qu'il ne saurait y avoir de modernité véritable sans la modernité intellectuelle fondée sur l'esprit critique et sur la promotion de l'intelligence. Or, s'il nous est arrivé ce qui nous est arrivé, c'est à cause de la démission de l'esprit, de l'abdication de la raison, de la défaite de la pensée et de l'abrasement de la réflexion. Aussi savons-nous, maintenant ce qu'il nous reste à faire : reconquérir cette liberté avec l'audace intellectuelle nécessaire et la hardiesse requise de la pensée et de l'action. Il est temps de mettre de l'ordre dans le fatras idéel que nous connaissons. Les maîtres-mots pour cette reconquête et cette mise en ordre sont éducation, instruction, acquisition du savoir, science et connaissance, ouverture sur le monde et sur l'altérité, notamment confessionnelle, avec l'amour de la beauté et l'inclination pour les valeurs esthétiques. Les Beaux-Arts, les belles lettres, la musique et la poésie contribuent grandement à élever les âmes, à flatter les sens, à polir les cœurs et à les assainir de tous les germes du ressentiment et de la haine. Je ne sais par quelle inversion des ordres de priorité dans la mission éducative du peuple ou peut-être en l'absence d'orientation claire et de volonté politique, le peuple est laissé comme une proie facile à des sermonnaires doctrinaires idéologues. Ceux-ci tiennent un discours le plus souvent abêtissant et culpabilisant. Et, nous voilà, ahuris, consternés devant tant de confusion mentale et tant de raidissement radical. Or, l'extrémisme est le culte sans la culture ; le fondamentalisme est la croyance sans la connaissance ; l'intégrisme est la religiosité sans la spiritualité. Savoir endiguer la déferlante obscurantiste, ravaler le délabrement moral, guérir du malaise existentiel, en finir avec l'indigence intellectuelle et la déshérence culturelle. Aller vers l'universel . Ne pas s'arc-bouter sur les particularismes irrédentistes. Telle est la vision programmatique que nous devons avoir pour sortir des fondrières ténébreuses dans lesquelles nous avons glissé et depuis lors nous nous y débattons. Comme l'optimisme est de volonté et le pessimisme est d'humeur – même si pour certains, il n'est que le paroxysme du réalisme – notre détermination est totale pour ne pas laisser flétrir définitivement un patrimoine moral et spirituel qui a sous-tendu une civilisation impériale. Ce n'est pas pour dire que nous fûmes grands, mais c'est pour enrayer la machine du désastre. C'est ce dont nous parlerons dans les éditions à venir. (*) Philosophe et théologien. Il préside la Conférence mondiale des religions pour la paix. Il anime l'émission «Islam» dans le cadre des émissions religieuses diffusées sur France 2 le dimanche matin. (**) Le titre est de la rédaction