En effet, pour être cru, il faut convaincre par une démonstration scientifique, sans plus. Pas de politique en science, surtout qu'il s'agit, ici, d'intelligence de l'enfant algérien. Cependant, bien que puisés des thèses universelles d'acquisition et de développement de l'intelligence chez l'enfant (universel aussi), mes arguments neuroscientifiques n'ont jamais été pris en considération alors que je suis le premier expert en la matière en Algérie. En effet, mon premier doctorat, qui date de 1979, est préfacé par Martinet, publié en ligne sur le site de l'Unité de recherches en neurosciences cognitives, orthophonie, phoniatrie (Urnop). L'apprentissage est le deuxième moment de la vie après l'acquisition et, en orthophonie (voir l'historique de la fondation en ligne), on soigne les troubles d'acquisition et d'apprentissage, ce qui veut dire que mon expérience dans le secteur ne relève pas de l'improvisation. Sans contingence extrascientifique aucune donc, je vais, objectivement, à ce propos, synthétiser la substance de mes idées à ce sujet car je me sens massivement interpellée par ce que je lis dans la presse, signé par un personnel qui se dit pourtant «spécialiste en sciences du langage». On va graduellement progresser dans la démonstration ensemble et si contradiction il y a, elle sera, elle aussi, située au plan argumentatif scientifique. Aucune subjectivité. L'acquisition Que fait l'enfant de 0 à 6 ans ? Il joue. Les tenants des sciences du langage appellent cette phase «l'acquisition», autrement dit, l'enfant «traite» cognitivement, par son intelligence personnelle, les faits d'environnement social. Il donne son «sens» à la vie, il crée son monde. Piaget (père fondateur de la psychologie du développement) parle, sans distinguer l'enfant chinois de l'enfant suisse ou kabyle — la science est universelle, elle n'est pas raciste — d'expérience, de résolution de problèmes de 4 à 8-10 ans. Il raisonne, il acquiert la faculté d'abstraction. Il décrit alors, chez tous les enfants du monde, la fonction hypothético-déductive. L'enfant pose l'hypothèse qu'il va faire un bonhomme de neige, il l'imagine, il analyse neige, nez rouge, yeux noirs…, il en fait une synthèse et en déduit une «thèse», il crée de l'idée. Puis il argumente d'autres hypothèses et passe tout son temps à créer des thèses toujours nouvelles. Ces activités ludiques développent son propre espace-temps. Donc l'oral, le langage, la daridja permettent à l'enfant de structurer son espace-temps (droite, gauche, hier, demain…). Sa structuration spatio-temporelle, en constant développement, développera alors ses capacités d'abstraction. Il pose des questions, il pense, il s'imagine une multitude de choses qui n'existent pas, au point qu'«encombré par trop de thèses», il devient même instable. Cette période d'«acquisition» est donc très vulnérable : il ne faut pas orienter l'enfant qui crée sa propre orientation, il faut le laisser libre de jouer et de construire ses thèses comme il l'entend. Pas de structuralisme où on lui apprend à ânonner des mots, des structures phrastiques stupides qu'il connaît déjà, qui vont donc l'empêcher de créer ses propres «idées». Pas de matraquage : l'enfant est doué d'une formidable curiosité, il recherche la nouveauté, toujours la nouveauté, la nouveauté qui le remplit de joie. Il «découvre», grâce à l'expérience, qu'il fait partie du monde environnant. Il cherche et résout des difficultés. Ces difficultés qui feront toute sa vie. Un exemple trivial : vous achetez à votre enfant une poupée que vous avez payée très cher. Sitôt qu'il voit celle de sa cousine, il hurle jusqu'à la lui prendre, fut-elle toute vieille. La nouveauté le séduit, il la recherche. C'est plutôt son contraire, l'habituel, le routinier, qui le traumatise ! Déjà deux implications pratiques sont issues de cette démonstration : 1. l'école universelle n'est pas traumatisante pour l'enfant si elle lui apporte du nouveau. Ce nouveau s'appelle la liberté d'abstraction, de créer et de construire ses expériences créatives. 2. le nouveau à l'école, c'est la langue. A 6 ans, l'enfant passe à autre chose : il quitte le langage pour accéder aux règles de l'écrit qui, purement abstraites, sont au nombre de deux : la cohérence et la cohésion. La langue, autrement dit le texte d'auteur consacré, est intéressant pour l'enfant de 6-10 ans, justement parce qu'il porte l'abstraction, suscite l'imagination, la curiosité de l'enfant, l'hypothèse et l'argumentation liées au raisonnement. Cela s'appelle la motivation par le schéma actanciel : dans le texte, quelque chose «va se passer», l'enfant attend cette chose… il va lui-même la créer dès qu'il lit ou écoute un conte. Dans la phrase de l'oral, autrement dit le langage d'avant 6 ans, rien ne se passe, l'enfant n'a rien à traiter, elle est la même pour tous les enfants. «Atini lkora», «khoud lbaloun»… ne suscitent aucun traitement cognitif chez l'enfant, c'est du concret, du quotidien qui sert à l'enfant à structurer son espace-temps, prérequis cognitif de l'accès à l'écrit. Or, celui qui a 20/20 n'a pas 02/20, chacun a sa propre intelligence et ses propres thèses (de mathématiques, de physique, de philosophie…). Or, encore, la psychologie génétique enseigne qu'à 4 ans, l'enfant acquiert justement le schéma narratif, il faut donc lui raconter des histoires qui vont aiguiser ses sens cognitifs et il peut alors créer de merveilleuses thèses qui subjuguent son entourage ! Or enfin, Piaget préconise pour tous les enfants du monde : «Mettez l'enfant en interaction positive et son intelligence se développera, quel que soit son milieu social.» L'élève intelligent d'aujourd'hui fera la société intelligente de demain. A 6 ans, l'interaction positive pour l'enfant (ne voyons que ce qu'il aime à cet âge), c'est la langue porteuse d'abstrait à rechercher, à construire, défaire et reconstruire, c'est l'écrit dans ses règles abstraites. Cliquez donc avec moi sur ce lien que j'ai pris à l'instant, au hasard, dans Google : http://www.cndp.fr/crdp-creteil/telemaque/document/bibli-references.htm. Ce tableau indique le nombre d'œuvres littéraires absorbées par l'élève français : des dizaines. La colonne de droite indique «C1/C2/C3» : ce sont les trois cycles (paliers) de l'école française de 6 à 11 ans. En France, d'où est importé le LMD, on gave l'élève de livres, de pièces de théâtre, de poésies ; on n'enseigne pas le patois tout simplement parce qu'il a déjà été acquis : l'enfant refuse ce qu'il sait déjà, il est vorace en matière de nouveauté. La structuration spatio-temporelle se développe depuis le cri de la naissance jusqu'à la fin de la vie, elle prend des aspects différents en fonction de l'âge. Selon la norme universelle, l'enfant de 4 à 8 ans commence à raisonner et à résoudre des problèmes et si on le fait régresser, lorsqu'il a 9 ans, vers l'espace-temps propre à la tranche d'âge de 2 à 3 ans, on compromettra alors certainement son développement normal et il sera retardé. Il marche à un an et s'il fait ses premiers pas à 3 ans, c'est qu'il est handicapé par un retard psychomoteur. Ainsi en va-t-il du cognitif ; si on lui donne la phrase de l'oral à 7 ans, alors qu'il l'a déjà acquise à 18 mois, ce sera alors une grave régression forcée. Il sera un retardé mental. Ce sont les thèses d'acquisition universelles qui l'enseignent et non des bribes de propos lancés à l'emporte-pièce, sans référence à des thèses ni démonstrations. Pour s'auto-soutenir, on évoque alors, sans en donner d'explication scientifique ni les sources, au risque d'être non crédible, ceci : les neurosciences, le cognitivisme, l'Unesco… édictent… L'apprentissage L'enfant ne peut pas apprendre sans langue. L'apprentissage, de 6 ans jusqu'à la fin de la vie, poursuit le stade d'acquisition. Et c'est la langue et non le dialecte qui véhicule le savoir abstrait, la civilisation, la culture et la science. Les revues sont écrites en français, en anglais ou en arabe classique et non en daridja. Je me souviendrais toujours du livre (l'unique) intitulé Aqra' wataâllem, un livre traumatisant que mes enfants me ramenaient, rempli de structures phrastiques débilitantes, voire abrutissantes. J'ai très vite compris que la langue n'existait pas à l'école algérienne et que donc leur apprentissage était menacé. Consciente, j'ai pu contourner la gravité du problème, conseillant à tous les parents de donner de la lecture à leurs enfants et de recourir à la littérature enfantine dans n'importe quelle langue. L'intitulé de ce livre est, en lui-même, une grossière antinomie : «La taâlloum bidoun lissen !» Sinon, qu'on me dise ce que l'enfant a appris après avoir répété comme un perroquet «el oummou filmatbakhi wel'abou filmektèbi»… Dans ce livre, l'oral est tout simplement traduit en arabe classique : tchina est dit burtouqala. Or, ce n'est pas de la langue, ce n'est pas du texte avec son auteur, sa période, dans sa typologie et dans son genre ; c'est du langage, c'est de l'oral, c'est de la daridja… Aujourd'hui, remarquez, mieux : on nous propose de reculer, la phrase de l'oral n'a même plus besoin d'être traduite, on va la livrer telle quelle, orale, daridja, à l'état pur. Au moins là, la démarche est plus franche et plus économique, on n'aura plus besoin (à moins que je me trompe !) d'imprimer ni d'éditer chaque année, à fort budget, le livre Aqra' wataâllem… Ainsi, pas de langue, donc pas d'abstrait et donc pas de projection dans le futur. Pas de futurs chercheurs porteurs d'hypothèses : l'âge cognitif d'acquisition de la thèse (4-10 ans) est donc sacrifié en Algérie. En conclusion, il faut gaver l'enfant de langue à l'école : la si langoureuse et si mystérieuse poésie kabyle, les énigmatiques fables de La Fontaine ou le bel arc-en-ciel des poèmes arabes, c'est cela qui motive l'enfant, c'est cela qu'il aime. J'ai posé la question à nos autorités dans un article paru dans Liberté il y a plus de 15 ans ; je la leur repose, qu'ils me le permettent, aujourd'hui : «Pourquoi donc aucun de vous ne m'a jamais demandé comment j'ai procédé pour arabiser toute une science médicale, l'orthophonie, qui, dans le monde entier, y compris en pays arabes, est enseignée en français, en anglais ou en allemand ? J'ai pourtant fait toutes mes études, depuis le primaire jusqu'aux deux doctorats français, en français et en anglais.» Il n'y a qu'à voir les thèses publiées en ligne sur notre site, dans des thématiques de pointe, que les arabisants ne maîtrisent pas : thèses de phoniatrie, d'audiophonologie, d'acoustique clinique, de phonétique orthophonique, de neurolinguistique… soutenues depuis les années 1990. Alors, en voici la réponse parce que si elle ne m'a jamais été posée, c'est qu'elle ne le sera pas. Les deux règles, cohérence et cohésion, suggestives de synthèses d'idées et de thèses, m'ont, en effet, été apprises en français et comme ce sont des règles abstraites, elles sont alors aisément transférables à toutes les langues du monde (le berbère, le chinois, l'arabe, l'allemand…), car là, ce n'est qu'une question de lexique, de signifiant et de traduction. Je signale le fait que mes docteurs arabisants commettent souvent des fautes d'idéation, morphosyntaxiques et de style, en arabe, que je ne commets pas. Ils ont beaucoup de mal à écrire un abstract ou des références bibliographiques correctement. En effet, dégager, grâce à la cohérence d'idées classées en principales et satellites dans un texte, chercher les arguments du propos qu'il contient est un processus cognitif d'abstraction commun à toutes les langues du monde. C'est la raison pour laquelle j'ai dit plus haut «dans n'importe quelle langue». L'abstrait c'est l'hypothèse de travail, laquelle ne sera réalité qu'une fois vérifiée ; c'est la science, objet d'autonomie intellectuelle et économique. La structuration spatio-temporelle qui en permet la création est synonyme d'autonomie ; autonomie = bonheur = sérénité. Et un pays importateur n'est pas autonome : l'être humain normal n'aime pas dépendre d'autrui, il est alors frustré, malheureux et peut même devenir violent. Pour l'heure, nous importons les thèses et le fruit du cognitif des pays du Nord, parce que les thèses algériennes sont très précocement, préventivement donc, compromises dans leur développement naturel, un peu comme on tue l'œuf dans sa coque. En effet, en psychologie, tout est genèse à tranche d'âge précise ; l'âge de la «thèse» de l'enfant algérien est brisé puisqu'il est reporté à celui du lycée ; il est alors trop tard. La pédagogie scolaire est donc une affaire de spécialistes en psycholinguistique, en psychologie cognitive et en neurosciences, triple domaine duquel j'ai puisé ces quelques concepts, sur lesquels je pourrais revenir en expliquant, cette fois, comment l'aphasie — ou perte, à des degrés différents, selon le lieu, la nature et la topographie de la lésion cérébrale — du double processus acquisition-apprentissage, à travers une déstructuration spatio-temporelle, visible à travers tout le comportement depuis le phonème jusqu'au geste, en passant par le mot, la phrase, le récit et le texte, le tout sans exclure la mélodie de la parole, est construite à l'école algérienne. A ceci près qu'il n'y a pas de lésion cérébrale. Les troubles rencontrés chez la plupart de nos jeunes sont des troubles fonctionnels, occasionnés par sa pédagogie.