Les visages étaient fermés cette semaine à la Bourse de Shanghai. Le célèbre adage boursier «les arbres ne montent pas jusqu'au ciel» (comprendre : une croissance n'est jamais infinie) s'est encore une fois appliqué. «Le lundi noir», comme on l'appelle désormais, a embrasé les marchés financiers, entraînant une remise en cause complète de la santé économique chinoise. La chute du marché du géant asiatique a en effet été brutale. En 3 mois, ce sont 7000 milliards de dollars, soit 20 fois le montant de la dette grecque, qui sont partis en fumée. L'effondrement du marché boursier a ruiné des millions d'épargnants de la classe moyenne qui avaient placé leurs bas de laine dans un marché qui battait des records de hausses semaine après semaine. E n effet, de 1980 à 2010, avec un taux de croissance annuel moyen de 10%, le «miracle chinois» constituait depuis la crise de 2008 le principal pôle d'attraction économique et financier de la planète. Aujourd'hui, la Chine peine à convaincre de ses capacités à rebondir. Transparence Sur les raisons de cette débâcle, les experts avancent plusieurs explications. Pour Jacques Sapir, économiste français, «le ralentissement de l'économie chinoise doit se comprendre comme le résultat de l'échec partiel du gouvernement chinois de réorienter la croissance sur la consommation intérieure. C'est très lié au fait que les Chinois continuent d'épargner massivement. Le taux moyen d'épargne dépasse 35% et dans la bourgeoisie chinoise il atteint 45%. Ce phénomène a réduit la demande intérieure en Chine.» La population locale essaie en effet de compenser l'insécurité de sa situation économique en épargnant massivement, résultat d'un système social inexistant. Jacques Sapir ajoute : «Cela nous dit une chose : sans système social garantissant une progression des revenus les plus faibles, le taux d'épargne de la population reste très élevé.» Du reste, la réaction, hier, des autorités chinoises qui ont procédé à une nouvelle dévaluation du yuan n'a pas rassuré. Le gouvernement chinois a en effet les moyens d'agir énergiquement puisque les réserves de devises de l'Etat et de la Banque centrale de Chine sont astronomiques (on parle de 3800 milliards de dollars). Mais en l'absence de mesures énergiques, le gouvernement chinois fait face à une défiance quant à sa capacité à faire face à la crise. «Les statistiques chinoises sont soumises à une certaine opacité. Les chiffres sur la croissance notamment ne sont pas très fiables», explique Céline Antonin, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) ; «c'est un régime autoritaire qui n'a pas toujours fait preuve de transparence dans les chiffres qu'il divulgue». Les chiffres officiels de la croissance chinoise sont de 7,5%, mais selon plusieurs analystes financiers, elle se situerait plutôt autour de 3,5%. «On a probablement sous-estimé le phénomène inflationniste en Chine qui a pu conduire à surestimer la croissance, alors qu'en partie cette croissance était due à la bulle spéculative sur les prix», regrette l'économiste à l'OFCE. Contagion De ce ralentissement chinois à la catastrophe économique généralisée, il n'y a qu'un pas que certains observateurs, comme Jacques Attali, franchissent : «Le monde s'approche d'une grande catastrophe économique. Et personne n'en parle.» Des analystes estiment que la situation chinoise n'est que le reflet d'une économie mondiale malade. C'est le cas d'Omar Aktouf, professeur titulaire à HEC Montréal : «Ladite ‘‘crise'' chinoise n'est en fait qu'un des signes d'une dépression mondiale qui frappera et frappe déjà une planète soumise à une insoutenable chimère de ‘‘croissance infinie pour tous''». Le risque de contagion est en effet réel, même si pour Jacques Sapir il est avant tout psychologique : «Cette crise se propage très rapidement. La dépréciation du yuan peut avoir un impact sur des secteurs qui sont très exposés à la concurrence chinoise. Mais c'est l'ensemble des valeurs boursières qui a été touché. Cela veut bien dire que les raisons de la crise de lundi sont essentiellement un phénomène d'ordre psychologique. (…) Cela veut aussi dire que les marchés sont très instables s'ils sont à ce point dominés par la psychologie». La dimension subjective de l'opinion des agents est essentielle. La panique des agents économiques a des effets réels puisque la chute importante des Bourses entraîne une perte de richesse chez les ménages qui, dans certains pays (comme les Etats-Unis), ont un patrimoine essentiellement boursier. Pour Céline Antonin, la contagion touchera avant tout les pays qui fournissent directement la Chine : «Cela dépend de l'exposition des pays à la Chine, par exemple l'Allemagne est le pays européen le plus exposé. Si la Chine importe moins, il y aura moins de débouchés». Cette logique s'applique également aux marchés des matières premières pour lesquels il existe une vraie corrélation avec la baisse de la croissance chinoise. Instabilité La Chine représente à elle seule 40% de la consommation mondiale de matières premières industrielles. S'agissant du pétrole, pour 95 millions de barils par jour produits, 11 millions sont consommés par le dragon asiatique. Sur le marché des matières premières, quand la Chine tousse, c'est le monde entier qui est malade. A cette omnipotence chinoise, vient s'ajouter l'instabilité des marchés actuels, notamment celui du pétrole : «Sur le pétrole, on est sur un marché plutôt tendu, il connaît actuellement une offre très abondante et une demande fragile», analyse Céline Antonin. «Au niveau de la demande, les pays de l'OCDE étaient plutôt atones et les seuls qui tiraient la demande ces derniers temps étaient les pays émergents, notamment la Chine. Une faiblesse chinoise ne peut avoir que des effets baissiers sur le pétrole», ajoute l'économiste à l'OFCE. La plupart des agents économiques s'accordent à penser que l'on fait face à une tendance de fond et qu'une amélioration dans les prochains mois est très hypothétique. «Il faudra se faire à l'idée que le miracle économique chinois a ses limites. On a occulté que la croissance n'est pas éternelle et il faudra s'attendre à des rythmes de croissance plus faibles et ce ne se fera pas dans l'immédiat», conclut l'économiste française.