Le 15 janvier 2000, dans une rue de Washington, le cœur de Mouny Berrah lâcha. C'était pourtant un brave cœur, d'une générosité sans pareille, que j'avais appris à découvrir dès notre première rencontre, en 1980, à la revue Les Deux Ecrans. Je voulais découvrir la publication qu'elle animait avec passion sous la houlette de son brillant rédacteur en chef, Abdou B. Les locaux se situaient alors au-dessus de la librairie qui fait face à la Grande Poste. Elle m'avait reçu avec simplicité et, en quelques mots, nous nous étions mis à refaire le cinéma mondial, revisitant les films cultes, passant en revue les grands réalisateurs et comédiens, critiquant la critique de cinéma et envisageant de probables évolutions du cinéma algérien. A la fin, elle m'avait proposé d'écrire pour la revue et nous avions arrêté un sujet. L'entretien avait duré près d'une heure. Je m'apprêtais à la saluer quand elle me demanda de patienter un peu. Elle se retourna et détacha soigneusement du mur une belle affiche de cinéma qu'elle me tendit. « J'ai vu qu'elle vous plaisait », me dit-elle en souriant. J'ai dû rougir car, effectivement, à plusieurs reprises, mes yeux s'étaient portés sur cette œuvre du graphiste Moreno, représentant le profil tourmenté de l'actrice Daisy Granados dans un film de Pastor Vega, Retrato de Teresa. Une pure merveille dans la grande tradition des affiches cubaines sérigraphiées. Je refusais, en vain, et, devant sa ferme gentillesse, je finis par sortir avec le rouleau et la conviction que j'avais rencontré une sœur. Les qualités humaines de Mouny, née dans la famille Lazib aux traditions bien établies, sa manière d'écouter les gens, sa façon si pertinente de les situer, percevant souvent l'imperceptible, étaient impressionnantes. Mais aussi remarquables étaient son intelligence, sa capacité d'analyse, son honnêteté intellectuelle et son écriture racée. Connue et reconnue par les milieux cinématographiques internationaux, on la sollicitait souvent pour des contributions sur le cinéma algérien, arabe et africain. Des Etats-Unis, où son époux, Nourredine, travaillait, elle continuait d'écrire et de collaborer avec la presse algérienne. La première guerre du Golfe la fit sortir de ses gonds comme de ses sujets accoutumés pour s'engager sur les écrans réels de l'actualité internationale. Mais elle ne délaissait pas ses premières amours et elle avait monté avec une Libanaise, un festival du cinéma arabe à New York. Ses écrits sur le cinéma algérien mériteraient aujourd'hui d'être réunis et publiés. Ils formeraient quasiment une encyclopédie sur l'histoire de cet art dans notre pays et, en tout cas, une référence précieuse pour les chercheurs, les étudiants et les journalistes. Son affiche, encadrée, est toujours sous mes yeux, mais je n'ai pas réussi encore à voir Retrato de Teresa que, durant 30 ans, j'ai traduit bêtement comme « Retraite de… », pensant à Mouny et à sa tombe recouverte de jasmins à l'entrée du cimetière de Dely Ibrahim. Mais retrato veut dire portrait. Et j'espère ici en avoir fait un qui puisse au moins lui rendre hommage.