Marie-Thérèse Tétu-Delage est socio-anthropologue, chercheure associée au Modys (Mondes et dynamiques des sociétés), laboratoire CNRS des universités Lumière Lyon II et Jean Monnet Saint-Etienne. Le livre sera présenté à Paris, le jeudi 28 janvier, à 17h30 au CIEMI) en présence de Malika Zehri, régularisée après quatre années de vie sans papiers, Yannick Blanc, consultant, ancien directeur à la la préfecture de police de Paris, Emmanuel Terray, anthropologue, directeur d'études à l'EHESS. Quelle est la genèse de la réalisation de ce travail ? Ce travail est issu d'une thèse de socio-anthropologie. Si de nombreux travaux ont été consacrés à l'étude de ces migrations du point de vue des lois, des politiques d'immigration, de ses manifestations socio-politiques ou économiques, ou encore par ses aspects sociaux ou humanitaires, je voulais « voir les choses du point de vue de l'acteur ». J'ai commencé à mener mon enquête dans la Drôme où se trouvait à ce moment, en 2001, un grand nombre d'Algériens et d'Algériennes en situation irrégulière. J'ai accompagné leur parcours et les épreuves qu'ils vivaient sur une longue durée (4 ans), dans trois directions qui apparaissaient essentielles : la carrière administrative et ses démarches pour « mériter » ses papiers, la vie ordinaire et ses épreuves pour vivre sans papiers, et les liens avec l'Algérie. Il y a deux axes dans votre approche, la première a trait aux difficultés pour les sans-papiers algériens à trouver une solution à la galère de leur exil, et la deuxième concerne la douleur de ne pouvoir trouver aucune issue dans leur propre pays, l'Algérie. Pouvez-vous faire un résumé de cette dualité de situation ? « Là-bas, c'est sans espoir, ici, c'est dur mais ça peut s'arranger. » Cette phrase que m'a souvent répétée un jeune vivant en France sans papiers depuis 8 ans résume bien la dualité qui ne se limite pas seulement à la galère de l'exil et à la douleur de l'absence d'issue en Algérie. S'ils sont prêts à prendre le risque de la migration irrégulière, c'est effectivement le signe qu'une partie des Algériens ne croit plus en la possibilité collective, sociale et politique de changer la vie et la société en Algérie. Mais ce risque recouvre aussi l'espoir d'une vie meilleure, avec l'idée que pour réussir sa vie, il faut partir. La migration irrégulière, avec les risques et l'incertitude qu'elle comporte, est une décision forte face à ce qui est ressenti comme une incapacité d'agir dans une société bloquée. C'est peut-être le symptôme et le révélateur de l'état de santé sociale et mentale du pays qu'ils mettent en lumière. Vous vous êtes d'ailleurs rendue en Algérie dans le cadre de ce travail. Qu'avez-vous ressenti là-bas ? Et connaissiez-vous l'Algérie ? Pour comprendre l'acharnement à vivre en France, même sans papiers et à tout faire pour y rester, j'ai senti qu'il était nécessaire de faire le détour par l'Algérie. Je m'y suis donc rendue à deux occasions, une fois en visite dans des familles de sans-papiers coincés en France et une autre fois pour accompagner le retour d'une femme régularisée. Je connais donc très peu l'Algérie. Mes sentiments étaient ambivalents. A la fois, j'ai senti l'énergie et la vitalité d'une population qui ne demande qu'à s'exprimer, un appétit à être heureux et à partager sa joie de vivre, une ouverture sur le monde et une envie d'accueillir, et en même temps, de la fatigue, de la lassitude devant des épreuves quotidiennes. L'absence de perspectives, de confiance dans l'avenir et dans les institutions est palpable. Le sentiment que personne ne croit possible que les choses puissent changer. La sensation que les Algériens ne peuvent compter sur rien ni personne, hormis eux-mêmes. Un constat d'impuissance et de fatalité.