Le parcours d'une soixantaine de « sans-papiers » algériens est rendu avec intelligence dans Clandestins au pays des papiers, une enquête réalisée par Marie-Thérèse Têtu-Delage. Pour certains, parvenus au bout des procédures, la triste perspective d'être des irréguliers à vie est envisagée… loin de l'Algérie qu'ils brûlent pourtant d'envie de retrouver. Lorsque l'Etat français fait le point en fin d'année sur les expulsions de sans-papiers, ou, a contrario, sur leur régularisation, les chiffres sont abrupts, sans âme, sans la chair vibrante du rêve de ces hommes et ces femmes qui, un jour, ont choisi de quitter leur pays pour un illusoire mieux vivre. Jusqu'à présent, aucune étude au long cours n'était venue approfondir de façon sérieuse les motivations et la réalité de la migration algérienne, qui s'est amplifiée de façon incontrôlable dans les années 90 et 2000. Parmi les destinations « illégales », la France, le pays d'en face, où des gens « de tous âges et de diverses conditions, ont tenté la migration au risque de l'irrégularité, dans un contexte de durcissement des lois et politiques d'immigration. Considérés soit comme des victimes, soit comme des fraudeurs, leurs initiatives et leurs logiques restent en réalité très mal connues ». C'est ce qu'écrivent les éditeurs d'un formidable ouvrage qui vient de paraître aux éditions La Découverte, en liaison avec le Centre d'information et d'études sur les migrations internationales (CIEMI). Clandestins au pays des papiers(*) est une enquête sociologique réalisée par Marie-Thérèse Têtu-Delage, dans laquelle elle suit des parcours dans la durée, au plus près des expériences. De 2001 à 2008, elle a côtoyé une soixantaine de « sans-papiers » algériens, accompagné leurs démarches dans l'administration, observé les compétences qu'ils déploient pour vivre sans papiers et rencontré leurs partenaires, ceux qui les aident ou ceux avec qui ils négocient. Enfin, elle a rendu visite à leurs familles et accompagné des régularisés lors de leur retour en Algérie. La perspective d'irréguliers à vie est envisagée pour ceux qui ne parviennent pas à obtenir les « papiers de la France ». Ils vivent une situation hybride, avec l'espoir que cela peut changer. L'exigence de papiers malgré tout révèle la « tension entre politiques d'immigration et initiatives des migrants », et d'autre part, ces migrants sont « en quête de reconnaissance sociale, ici et là-bas ». Une vraie déchirure. (*) Clandestins au pays des papiers, expériences et parcours de sans-papiers algériens de Marie-Thérèse Têtu-Delage, La Découverte / Ciemi, Collection Alternatives sociales, Paris décembre 2009, 252 pages, 20,50 €.