Kidnapping, dispute entre voisins, conflit familial, vengeance liée à un crime passionnel et tant d'autres actes violents se multiplient et prennent une tournure grave en Algérie. Karima Megtef Mehali, enseignante et chercheuse en sociologie, s'intéressant aux questions de criminologie, tente, dans cet entretien, d'apporter des éclairages par rapport à ce qui se passe dans notre société tiraillée par nombre de paradoxes et de contradictions. Ces derniers temps, on assiste à la multiplication des actes criminels. Comment expliquez-vous ces drames à répétition ? Si l'on se réfère à la première évidence paradoxale que fait surgir la réflexion sociologique, le crime est un fait normal, mais sans oublier que c'est un fait dont le caractère pathologique paraît incontestable. Tous les criminologistes, spécialistes, experts en la matière s'entendent sur ce point. S'ils expliquent cette morbidité de manières différentes, ils sont unanimes à la reconnaître. Le crime ne s'observe pas seulement dans notre société, mais dans toutes les sociétés. Le crime peut changer de forme ; les actes qui sont ainsi qualifiés ne sont pas partout les mêmes. Afin de dégager une profonde réflexion concernant l'approche du phénomène du crime, il faut cerner les différentes pathologies sociales que connaît notre société comme conséquences de l'après-terrorisme : malaise social, anomie, crise identitaire, dépersonnalisation sociale, égocentrisme social, refus, désarroi, misère sociale, désordre social, chômage, déséquilibre social… A quoi est due l'explosion de ce phénomène, selon vous ? Dans les sociétés premières, l'acte du criminel est considéré comme la violation d'une règle religieuse, d'un précepte moral ou d'un interdit d'un groupe social. La loi pénale n'est alors pas dissociée de la religion. Aujourd'hui, la dissociation est entière. Dans la majorité des sociétés contemporaines, les délits ou crimes sont distingués suivant leur degré de gravité et aucune morale dominante n'est imposée. Dans ce contexte, la démarche de la criminologie est d'analyser, suivant une méthode scientifique, le crime comme fait social. Dans notre société, la montée de ce phénomène reste une nébuleuse mal comprise et mal analysée. L'émergence du crime sous toutes ses formes comme pathologie sociale touche toutes les classes sociales et catégories d'âge. D'une simple dispute, d'un conflit familial, d'une vengeance à un crime passionnel, notre société, sur le plan de conscience collective, de solidarité d'habitus, d'ethnique, devient frêle, fragile. Un tissu social fragilisé par l'horreur de la décennie noire. D'abord, il importe d'en appréhender la nature. Pour épuiser toutes les hypothèses logiquement possibles, on doit se poser les questions suivantes : quels sont les outils méthodologiques adéquats pour approcher, traiter, analyser et interpréter un tel phénomène ? De tels crimes peuvent-ils être considérés comme la conséquence de la décennie du terrorisme ? Le crime est lié à la nature du milieu physique immédiat dans lequel chacun de nous est placé. Les antécédents héréditaires, les influences sociales dont nous dépendons varient d'un individu à un autre et, par la suite, diversifient les consciences. Le crime est lié aux conditions fondamentales et aux facteurs sociaux de toute vie sociale. Il est difficile, pour la plupart des gens, de réfléchir à l'action humaine d'un point de vue social. La plupart d'entre nous sommes habitués à observer, à expliquer et à réagir aux actions des autres en tant qu'actes individuels, produits d'une volonté unique, dans une personne. Pourtant, nous sommes aussi, comme le disait Aristote, des « animaux sociaux ». C'est l'une des réalités sociales. Comment peut-on traiter cette « anorexie sociale » ? Cette anorexie sociale a besoin d'une étude profonde de la part des sociologues, des criminologues et autres spécialistes de la lutte contre le crime. C'est également l'étude plus particulière des institutions et des pratiques explicitement ou implicitement centrée sur le crime : le rôle des médias sur notre conception de la criminalité, de la police et du « bon » citoyen, des relations parents-enfants qui forment l'attitude face aux normes sociales, de l'évolution des codes pénaux, des valeurs comparées de différents groupes sociaux, du travail des institutions gouvernementales et des institutions qui jouent un rôle de socialisation sociale. L'élaboration de stratégies pour combattre le crime pourrait donc s'inspirer des particularités et spécificités sociales de notre société dans les trois dimensions : démographique, socioéconomique et fonctionnelle.