Recherché par la Cour pénale internationale (CPI) pour génocide, le chef de l'Etat soudanais, Omar Hassan El Béchir, est à Alger à l'invitation de son homologue, Abdelaziz Bouteflika. Un visiteur «gênant» tant le dictateur de Khartoum, au pouvoir depuis 1989, est poursuivi depuis 2009 pour «crimes de guerre» et «crimes contre l'humanité» et, depuis 2010, pour «génocide» par la CPI. Un cas unique dans les annales internationales. C'est le seul chef d'Etat en exercice contre lequel un mandat d'arrêt est lancé et que l'Union africaine juge «inacceptable». Depuis le lancement du mandat d'arrêt contre lui, El Béchir ne voyage presque plus. Isolé, il ne se rend que dans les pays africains où il est certain de ne pas être inquiété. C'est donc le chef d'Etat le plus infréquentable au monde que reçoit Abdelaziz Bouteflika. Un invité encombrant pour bien des raisons. Mais en se rendant à Alger pour un voyage de trois jours, le chef de l'Etat soudanais sait bien qu'il ne prend pas le risque de se faire arrêter. Alger est une terre «sûre» pour lui, d'autant qu'elle n'est pas membre de la CPI. Si d'habitude, il évite de se rendre dans les pays signataires du Traité de Rome –exceptionnellement l'Afrique du Sud où il s'est rendu en juin passé – Omar El Béchir continue à «narguer» la justice internationale. Cependant, il risque de mettre l'Algérie dans une «gêne diplomatique» même si Bouteflika semble vouloir dire au «monde», en invitant le chef d'Etat le plus recherché, que lui aussi peut défier l'instance dirigée par la Gambienne, Fatou Bom Bensouda. Est-ce la seule raison ? Pas seulement. «Bouteflika a une fascination inexpliquée pour l'autocrate soudanais, alors qu'entre Alger et Khartoum, la coopération est au point zéro», commente un ancien diplomate. Il faut rappeler à ce titre que l'Algérie a été le premier pays du Monde arabe à s'être élevé ouvertement contre le mandat d'arrêt international à l'encontre de celui qui dirige son pays d'une main de fer. Cette fascination a également inspiré le FLN au temps où Abdelaziz Belkhadem – un autre ami du régime soudanais – prenait exemple sur la formation politique d'El Béchir, le Parti du congrès national (PCN), y compris au plan doctrinal. Par ailleurs, il faut souligner que la visite d'El Béchir, qui durera trois jours, intervient dans un contexte régional fait de tensions et surtout de désaccords entre les pays de la région, notamment sur le dossier libyen. L'attitude de l'Egypte par rapport à la crise libyenne a «fortement déplu» à l'Algérie, qui s'est employée à peser dans la recherche d'une solution politique, alors que Le Caire avait privilégié l'option militaire. En tout cas, le déplacement de Omar El Béchir sera scruté minutieusement du côté du Nil sachant les «bisbilles» régulières entre El Béchir et les autorités égyptiennes. En tout état de cause, Abdelaziz Bouteflika offre une «bouffée d'oxygène» à celui qui avait livré, en 1994, Ilich Ramírez Sánchez, alias Carlos, aux autorités françaises. Quand Khartoum accusait de soutien au terrorisme Cependant, la venue du dictateur soudanais n'est pas sans rappeler le rôle complice du Soudan d'El Béchir dans le terrorisme qui a ensanglanté l'Algérie dans les années 1990. De 1989 à 1993, les autorités algériennes avaient accusé le régime soudanais d'avoir «mis à la disposition des Groupes islamiques armés (GIA) plusieurs camps d'entraînement». De nombreux terroristes algériens de retour d'Afghanistan avaient séjourné sur le territoire soudanais, alors que d'autres sont partis d'Algérie pour s'y entraîner. Ce qui avait été à l'origine du gel des relations entre Alger et Khartoum, en 1993. Une année après la tentative d'assassinat de Hassan Al Tourabi en janvier 1994 à Khartoum, quatorze islamistes algériens, soupçonnés d'être impliqués dans l'attentat, ont été extradés vers l'Algérie. L'accusation de soutenir le terrorisme poursuit encore le régime d'El Béchir. L'an dernier, le gouvernement libyen avait publiquement accusé le Soudan d'«ingérence dans les affaires de l'Etat libyen» et d'«armer des groupes terroristes en leur fournissant des munitions». Formé à l'académie militaire du Caire, El Béchir rentre au pays et c'est en tant que colonel qu'il conduit un putsch contre Sadek El Mahdi, s'empare du pouvoir, suspend les partis politiques, instaure un régime dictatorial fondé sur la junte militaire et instaure la charia (loi islamique) dans tout le pays, alors que le Sud est de confession chrétienne. C'étaient les premiers germes d'une partition qui allait se confirmer en juillet 2001. Depuis, Omar El Béchir renforce la loi islamique et, surtout, consolide la dictature.