Dans la wilaya de Blida, quel que soit le secteur culturel vers lequel on se tourne, on ne trouvera que peu de choses ou pratiquement rien. Presque toutes les infrastructures sont en ruine et certaines comme les théâtres et les salles de cinéma ont changé de vocation. Aucun sourire n'éclaire le visage de Mohamed Irki, lorsqu'on évoque en sa présence le mot culture en rapport avec sa région, Blida. Irki, artiste peintre anime un petit atelier de peinture d'une dizaine d'élèves dans une des ruelles de la magnifique place Ettout en plein centre de la ville. Ce diplômé de l'école des Beaux-Arts d'Alger parle avec amertume de la régression que subit sa ville natale : « pour être franc, si on revient en arrière, Blida était un grand réservoir d'artistes dans tous les domaines et a donné des célébrités connues dans toute l'Algérie et même au-delà des frontières. Malheureusement, la culture régresse terriblement chez nous. » « Aujourd'hui, poursuit-il, il n'y a plus que quelques initiatives individuelles assez isolées » qui finissent le plus souvent par capoter. Il évoque à ce propos le pari fou d'une petite société de théâtre ambulant lancée avec, comme seul moyen matériel, un fourgon. Le rêve généreux de son initiateur, Halim Chaânane, était de sensibiliser les jeunes de la région à cet art magnifique. Comme on ne faisait appel à lui que par intermittence, sa société a rapidement pris eau et l'homme est maintenant endetté. Quant à Mohamed Irki lui-même, l'activité de son atelier ne devient visible que lors des échanges interwilayas et quelques rares sorties vers le musée des Beaux-Arts d'Alger ou de grandes manifestations occasionnelles comme en a connu Alger ces deux dernières années. Ces activités temporaires et occasionnelles sont aussi efficaces qu'une seule hirondelle pour annoncer l'arrivée du printemps. Dans la wilaya de Blida, quel que soit le secteur culturel vers lequel on se tourne, on ne trouvera que peu de choses ou pratiquement rien. Presque toutes les infrastructures sont en ruine et certaines comme les théâtres et les salles de cinéma ont changé de vocation. Lorsque l'on parle de cette situation aux responsables, ils sortent les projets qui dorment dans des tiroirs, pour annoncer de futures réalisations. Autodafé Prenons le cas de la bibliothèque en l'absence de laquelle il serait ridicule, voire même aberrant, de parler d'une politique culturelle. A ce propos, voici une wilaya qui dépasse le million d'habitants, dont le chef-lieu approche, durant la journée, les 250 000 âmes, qui abrite une population estudiantine assez importante et qui, aussi paradoxal que cela puisse paraître, ne dispose d'aucune bibliothèque municipale digne de ce nom. Mouzaïa, une commune située à une dizaine de kilomètres à l'ouest de Blida, disposait d'une très belle petite bibliothèque située dans la place centrale, juste en face du siège de la mairie. On la transforma en un musée du moudjahid qui est maintenant à l'abandon et en état de dégradation avancée. L'exception qui confirme ce qui semble être une règle dans la Mitidja est située à El Affroun, une petite ville à 20 km à l'ouest du chef-lieu de la wilaya (voir encadré). Citons également ce qui peut être considéré comme un coin-lecture à Soumaâ avec, nous dit un responsable local, environ 1000 titres, situé dans un centre de jeunesse censé assurer des activités sportives et culturelles. Nous avons abordé trois jeunes gens devant le centre en question et leur avons posé la question sur le fonctionnement. L'un d'eux, goguenard, nous répondit d'une formule lapidaire : « Il est ouvert et en même temps fermé. » Défense de… lire ! Quel est le constat pour toutes les circonscriptions de la wilaya ? Le bilan est facile à établir : il n'y a plus, en dehors de l'université, de lieu de lecture dans la ville de Blida, de Boufarik, de Ouled Yaich et de Soumaâ. La bibliothèque de Oued el Alleug, dont la bâtisse est achevée, demeure fermée et ses accès sont interdits par une barrière de roseaux. Elle attend probablement une inauguration officielle pour offrir ses précieux services aux nombreux utilisateurs potentiels. La bibliothèque municipale de Blida est fermée sur ordre d'un organisme de contrôle de la construction (CTC) depuis 2007. La population, privée de lieux de lecture, depuis maintenant trois ans, devra prendre son mal en patience puisque les projets, pour pallier une telle situation, ne sont pas encore entrés en phase de réalisation. Sur 26 projets de réalisation de bibliothèques, programmés ces dernières années, aucun n'a été lancé. Les habitants de la région, faute de bibliothèque, peuvent-ils trouver dans le commerce de quoi étancher leur soif de lecture ou pouvoir réaliser leurs travaux de lycéens et/ou universitaires. Cela n'est pas évident du tout. Un professeur ou un étudiant de l'université Saâd Dahleb qui est située dans le prolongement de l'immense agglomération de Ouled Yaich auront beau parcourir de long en large la grande avenue commerçante de cette dernière, ils ne trouveront aucune librairie. A part quelques kiosques ou des papeteries où on peut trouver la presse algérienne qui est malheureusement trop pauvre en contenu pour offrir de la bonne matière aux universitaires, nous sommes ici en situation de rareté du livre comme l'est l'eau dans le Sahara. Mais comment donc un peuple peut-il avancer, s'enrichir, maîtriser la science et s'organiser sans connaissances livresques ? La question est posée non seulement aux autorités locales, mais aussi à tous les dirigeants de ce pays. La ville de Blida comptait sept salles de cinéma dont une, Mohamed Touri, située à la place Ettout, était également un théâtre. Les déperditions sont ici également importantes. Trois salles sont irrémédiablement perdues. El Manar, construite par l'Etat dans les années 70, a été tout simplement rasée après avoir subi des dégâts suite à un incendie. On érigea une stèle en ses lieu et place. La cinémathèque, nous a-t-on affirmé à la direction de la culture n'assure des projections que très irrégulièrement et n'organise plus de rencontres-débats. Obscures… salles Il y a encore trois salles actives mais sur la base de séances vidéo. Une dizaine de kilomètres plus à l'ouest, la vieille salle de cinéma de Mouzaïa n'est plus utilisée qu'occasionnellement pour les fêtes. Les centres culturels sont pour la plupart hors d'usage. Celui de Boufarik est squatté par la mairie, celui d'El Affroun est entièrement en ruines et programmé pour la destruction, quant à celui de Soumaâ, il n'assure qu'un semblant d'activité (Soumaâ). La maison de la culture de Blida est en voie d'achèvement depuis… 15 ans (voir ci-contre). Sera-t-elle achevée un jour, à moins qu'elle ne se retrouve classée « patrimoine archéologique » comme témoin de la volonté de ce régime de promouvoir la culture.