Une année après l'interdiction de l'importation des médicaments fabriqués localement, l'industrie pharmaceutique algérienne fait face à une situation catastrophique. Les décisions du gouvernement qualifiées de courageuses censées protéger la production nationale ont eu finalement l'effet inverse. Près d'une cinquantaine d'entreprises nationales risquent de mettre la clé sous le paillasson d'ici les mois prochains et 70% des médicaments génériques commercialisés risquent de connaître une rupture définitive. La direction de la pharmacie au ministère de la Santé n'accorde aucune signature de programme d'importation pour le conditionnement pour l'année 2010 depuis le 1er janvier dernier. Il en est de même pour les dossiers d'enregistrement pour la production. Une décision contenue dans le cahier des charges (arrêt du conditionnement primaire) élaboré l'année dernière mais qui a été contesté par les opérateurs de la pharmacie. L'application de ces mesures à la hâte sans une concertation au préalable avec les parties concernées, les producteurs nationaux en l'occurrence, a finalement engendré l'affaiblissement de la production nationale en faveur de l'importation. Pourtant, la décision du gouvernement a été prise dans le but de réduire les dépendances vis-à-vis des importations. Lesquelles ont entraîné, selon les pouvoirs publics, une saignée des caisses de la sécurité sociale. « Encourager la production nationale est le seul moyen de maîtriser les dépenses et réduire la dépendance actuelle, sachant que la facture de l'importation est très élevée », a-t-on martelé. Une facture qui risque tout de même d'être revue encore à la hausse puisque les médicaments fabriqués localement dont la majorité sont des génériques et soumis au tarif de référence vont se faire rares sur le marché national. « Nous avons accueilli en octobre 2008, avec beaucoup de soulagement, la décision du gouvernement de réserver à la production les produits fabriqués localement. Mais nous avions également signalé que le passage du conditionnement primaire à la fabrication ne pouvait se faire dans un délai aussi court, d'autant plus que nos adhérents sont toujours confrontés à d'énormes difficultés dans leurs activités », rappelle Nabil Mellah, secrétaire général de l'union nationale des opérateurs de la pharmacie (UNOP) en précisant que l'acquisition d'équipements neufs de production pharmaceutique, l'installation et les qualifications nécessitent des délais dépassant une année. Il signale aussi que le passage du conditionnement primaire à la fabrication répond à des conditions drastiques. Le transfert de ces produits du conditionnement primaire à la fabrication dans le respect des bonnes pratiques de fabrication n'est possible que pour 4 à 5 produits par an. « Si le conditionnement primaire venait à être arrêté de façon aussi brutale, la liste des produits interdits à l'importation devrait être réduite de façon importante, étant donné que dans les critères d'élaboration de cette liste, l'existence de 3 fabricants locaux était un préalable. Or, il se trouve que sur la majorité de ces produits au moins un sur les trois est conditionné ». Cette situation ne peut, en fait, qu'aggraver davantage l'état actuel du marché national du médicament. « Comment peut-on interdire le conditionnement d'un produit, tandis qu'au même moment le concurrent importé en produit fini ne subit lui aucun blocage. Un produit importé en vrac revient à l'Algérie à 1 euro par boîte, son concurrent, importé en produit fini, lui revient par contre à 2,30 euros », s'insurge M. Mellah en revenant sur les obligations faites aux opérateurs en 2009, notamment l'obligation du passage à la lettre de crédit pour tout achat, dévaluation du dinar de plus de 20%, la nécessité d'approvisionner le marché en urgence et assurer des stocks importants, achat d'équipements de production complémentaires, d'outils spécifiques pour chaque produit et achat des intrants nécessaires au transfert à la production pour tous les produits (excipients, principes actifs, réactifs, gélules…). Abondant dans le même ordre sens, le porte-parole de l'UNOP signale que les entreprises qui se sont déjà engagées dans la production en mettant en place des installations risquent de voir leur investissement compromis. « Comment peut-on parler aujourd'hui de protection de la production nationale si ces mêmes producteurs font face à des blocages à tous les niveaux ? », s'est-il interrogé avant d'énumérer les problèmes rencontrés par les producteurs, entre autres, la rareté des réactifs, les autorisations pour l'acquisition de certaines matières dangereuses auprès du ministère de l'Energie qui dure des mois, l'alcool, etc. Il estime que la réussite de ces mesures favorables à la production nationale passe obligatoirement par la concertation avec les parties concernées. Un comité de concertation a été pourtant mis en place. « Effectivement, mais il n'a servi à rien. Des décisions sont prises sans notre avis. Le ministère de la Santé met en place une nouvelle procédure à l'enregistrement mais sans associer ce comité de concertation. Il en est de même pour le toilettage de la nomenclature des médicaments », a-t-il indiqué. Il estime qu'il est temps de mettre à niveau l'outil réglementaire régissant le secteur. Il déplore l'absence de règles claires codifiant toutes ces nouvelles procédures contenues dans la décision du gouvernement. « Rien n'est prévu pour parer à d'éventuelles situations d'urgence, notamment en matière de grave rupture d'un quelconque produit », a-t-il ajouté, signalant que des entraves à l'interdiction d'importation ont été constatées puisque des dérogations ont été signées au profit de certains importateurs. La rupture des médicaments qui dure déjà des mois ne sera que plus grave dans les jours à venir, a-t-on averti.