Une commission consultative relevant du ministère de l'Enseignement supérieur a décidé lundi dernier d'interdire l'exercice de l'Université libre de Tunis pour les trois ans à venir. Mohamed Bouebdelli, son fondateur, réagit. Comment a commencé cette affaire ? Ma comparution devant la commission consultative d'octroi et de retrait des agréments des établissements privés d'enseignement supérieur est la résultante d'une série d'évènements qui remontent à 2004. Par le biais de cette commission, le pouvoir en place a pris sa revanche, n'ayant pas pu assouvir ses sombres desseins de mainmise depuis 2004 sur nos biens personnels (l'école occupe un terrain de plus d'1 ha, avenue Mohammed V à Tunis, l'avenue la plus prisée). En décembre dernier, nous avons fait l'objet d'une inspection approfondie qui n'a relevé que de simples observations considérées comme mineures et qui, dans des conditions normales, n'auraient pas justifié une comparution devant la commission. Vous accusez le pouvoir d'avoir voulu vous sanctionner pour la publication, fin 2009, de votre livre « Le jour où j'ai réalisé que la Tunisie n'est plus un pays de liberté… » Oui. Il s'agit là d'une décision arbitraire purement politique qui n'est pas le fruit du hasard mais qui relève « du fait du prince » et qui est la sanction pour la publication de cet ouvrage dans lequel j'ai voulu révéler les dérives du pouvoir en place et le harcèlement dont je continue de faire l'objet depuis la tentative de fermeture en 2004 de l'école Jeanne d'Arc et la fermeture en 2007 du lycée Louis Pasteur gérés par la Fondation Bouebdelli. Que s'est-il passé à Jeanne d'Arc et à Louis Pasteur ? Suite au refus de l'école de revoir la décision d'un conseil de classe parfaitement fondée et régulière concernant le refus du passage au cycle supérieur d'une élève dont la famille était proche du pouvoir en place, la machine répressive a alors été mise en place à une vitesse implacable pour des motifs fallacieux contre l'Ecole Jeanne d'Arc : destitution de la directrice, mon épouse, blocage des comptes bancaires, nomination pour une durée illimitée d'un nouveau directeur-administrateur détaché de l'enseignement public, campagne de dénigrement dans les journaux affiliés au pouvoir, contrôles fiscaux, sociaux, sanitaires, menaces de représailles au niveau de l'Université. Ce ne fut que grâce à l'ampleur de la mobilisation des 1400 élèves et leurs parents et du corps enseignant qui contestèrent la décision arbitraire de limogeage de la directrice que le pouvoir s'est trouvé contraint de revenir sur sa décision. En 2007, le lycée Louis Pasteur, créé en 2005 en collaboration avec l'institut français de coopération pour la préparation des examens français, a été fermé. Notre lycée faisait de « l'ombre » à l'école internationale de Carthage créée à la même date par Mme Ben Ali et Mme Arafat. Cette décision inique a suscité auprès de l'opinion publique tunisienne et internationale une vive émotion. En vain, ce lycée est toujours fermé à ce jour. De quel harcèlement faites-vous l'objet ? Ouverture du courrier, suppression des e.mail, fouille systématique à l'aéroport (départ et arrivée), filature policière, menaces de mort sur des sites tels que Biladi ou Bilmalkchouf… Quand on parle de répression des libertés en Tunisie, on pense d'abord au bâillonnement des journalistes et de la justice. Mais comment les choses se passent-elles dans les universités ? Dans les universités publiques, selon les rapports internationaux dont ceux du Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l'Homme en Tunisie, il n'existe aucune liberté de parole, aucune association crédible, aucun dialogue possible, toute protestation étant sévèrement réprimée. L'état du journaliste emprisonné Taoufik Ben Brik, en grève de la faim, empire dans l'indifférence du gouvernement et malgré la solidarité internationale. Qu'est-ce que cela vous inspire ? La situation de Monsieur Ben Brik est alarmante et l'issue incertaine nous fait craindre le pire.