Faisant fi de la décision de justice notifiant l'illégalité de la grève et sa suspension, l'intersyndicale est décidée à aller jusqu'au bout de son action. Elle promet la paralysie totale des établissements scolaires aujourd'hui et demain. “Il ne nous appartient pas d'annuler la grève. Cette décision relève de la base”, a observé M. Lamdani. Le coordinateur du Cnapest (Conseil national des professeurs de l'enseignement secondaire et technique) réagissait, hier, en fin d'après-midi, à la décision de la cour administrative de la cour d'Alger, invalidant le mot d'ordre de grève de deux jours, prévue aujourd'hui et demain sur tout le territoire national. Cet appel auquel souscrit le Cnapest est le fruit d'un accord intersyndical (la coordination comprend en outre l'UNPEF, le Satef, le CLA ainsi que le Sete-Béjaïa) conclu au début du mois de décembre dernier. Se conformant à la loi, ces organisations ont déposé un préavis de grève auprès de la tutelle, il y a une dizaine de jours. En retour, le département de l'éducation nationale a lancé une invitation au dialogue, ciblant deux syndicats reconnus. Le SNTE (Syndicat national des travailleurs de l'éducation), qui a quitté la coordination, a décidé de geler son mot d'ordre de grève. De son côté, l'UNPEF (Union nationale des professeurs de l'enseignement et de la formation) est restée solidaire de l'action commune, se contentant durant trois réunions consécutives la semaine dernière avec les responsables du ministère, de faire écho des revendications justifiant le mouvement contestataire, à savoir le relèvement des salaires, la revalorisation des retraites, la promulgation d'un statut particulier ainsi que la défense de l'exercice syndical et du droit de grève. C'est justement ce dernier point qui a constitué l'argument phare de Me Ali Méziane au cours de son exposé devant la juge des référés. En sa qualité d'avocat du Cnapest et du CLA (Conseil des lycées d'Alger), il s'est employé à démonter la requête du ministère de l'éducation dans le fond et dans la forme. Selon l'avocat, l'intitulé de l'assignation est en soi un leurre, au sens ou la coordination intersyndicale, appelée à comparaître n'est pas une personne morale. “Elle ne représente pas un syndicat mais un ensemble de syndicats, ayant initié une action commune. Il n'y a donc aucune implication juridique sur le droit de grève”, a expliqué Me Méziane. La raison ayant motivé la demande du département de l'éducation d'interdire la grève lui a inspiré le même commentaire. “Le ministère dit que la grève est illégale parce que deux syndicats (CLA et Cnapest) ne sont pas agréés. Or s'ils ne sont pas reconnus, ils n'ont donc pas de personnalité morale et ils ne peuvent pas être assignés devant le juge”, a fait remarquer l'avocat. Ses critiques sur le contenu de la plainte ont été également perspicaces. À cet égard, il a bien mis en évidence la violation de la loi du travail. “Le droit de grève appartient à tous les travailleurs qui peuvent déléguer des représentants pour parler en leur nom”, a-t-il noté faisant expressément mention qu'une décision de grève découle du pouvoir des assemblées générales. Anticipant sans doute le verdict de la magistrate, Me Méziane a achevé sa présentation, constatant que souvent, la justice est instrumentalisée par les pouvoirs publics afin de réprimer les mouvements de contestation. Aussi, a-t-il appelé le tribunal à faire preuve d'impartialité en se déclarant incompétent pour statuer dans ce genre d'affaires. La juge a mis un peu moins d'une heure pour dévoiler sa décision. Redouane Osmane ne se faisait guère d'illusions. “Je m'y attendais”, a-t-il avoué désappointé. Cependant, le verdict est loin d'entamer sa détermination. “Une décision de justice ne peut pas éteindre l'incendie social dans les écoles”, a commenté le porte-parole du CLA. D'après lui, les velléités de démobilisation que dissimule la sentence sont flagrantes. “Il n'y a aucune astreinte”, s'est étonné le syndicaliste. M. Bentaha du Satef (Syndicat algérien des travailleurs de l'éducation et de la formation) est très ironique. “C'est une décision qui sera lue au journal télévisé de 20 heures. Elle est destinée à semer le doute auprès des enseignants et disperser leurs rangs”, a-t-il épilogué. Confiant, il assure que la tutelle a peu de chance de gagner la partie. “La seule solution est d'engager un dialogue sérieux”, a préconisé M. Bentaha. M. Ider, secrétaire général, a estimé que le ministère a voulu “piéger” l'UNPEF en la séparant de l'intersyndicale. Le dialogue parcellisé et le recours au tribunal constituent aux yeux de M. Bakhouche du Sete (Syndicat d'entreprise des travailleurs de l'éducation de L'YGTA-BéjaIa) “une fuite en avant”. Emboîtant le pas à ces camarades de la coordination, il assure que “la décision d'aller à la grève est irréversible”. Après leur sortie du tribunal Abane-Ramdane, les délégués syndicaux accompagnés de quelques-unes de leurs troupes se sont rendus au siège de l'UNPEF pour une ultime réunion avant le jour J. Ils ont quitté le palais de justice, soutenus par de nombreux supporters, dont des délégués des syndicats des enseignants du supérieur (Cnes), des marins (Snommar) et de la coordination du port d'Alger. Au cours de la première comparution dans la matinée, les enseignants grévistes étaient accompagnés de leurs élèves. À l'établissement Amara-Rachid de Ben Aknoun, les lycéens ont anticipé le débrayage des professeurs en désertant les salles de classes à 11 heures. Le ministère va appliquer la loi “Le ministère de l'Education porte à la connaissance des enseignants qu'il appliquera les dispositions législatives et réglementaires prévues par la loi en cas de non-respect de la décision de justice portant arrêt de la grève”. C'est en ces termes que le département de Boubekeur Benbouzid a réagi au verdict en référé de la chambre administrative de la cour d'Alger dans un communiqué rendu public hier en début de soirée. Le ministère n'a pas attendu la sentence de la cour pour sévir. Dans une circulaire adressée aux directeurs des établissements scolaires, il menace les grévistes de ponction sur salaire et du gel de la prime de rendement. SAMIA LOKMANE