Un Algérien sur 500 est actuellement derrière les barreaux. Occupés à plus de 200%, les 127 établissements pénitentiaires, dont 59 datent du XIXe siècle et 96 sont des constructions coloniales, sont au bord de l'explosion. Alors que Tayeb Belaïz, ministre de la Justice a déclaré que 2010 marquerait la fin du surpeuplement carcéral et que les prisons construites avant 1900 seraient fermées, El Watan-Week end a rencontré des ex-prisonniers et leur famille. Ils décrivent une réalité bien loin des promesses des politiques… « Avant fin 2010, 13 nouveaux établissements, d'une capacité de 19 000 places, devraient ouvrir. Ils seront conformes aux standards internationaux qui fixent la superficie réservée à chaque détenu à 9 m2. » Tayeb Belaïz, ministre de la Justice, octobre 2009. En détention préventive dans l'attente d'un procès ou déjà condamnés à une peine d'emprisonnement, ils sont près de 60 000 dans les prisons algériennes. En tout, 45 000 places seront disponibles fin 2010. C'est encore trop peu pour désengorger les cellules. « Nous étions six, prévenus et condamnés, dans 9 m². Il y avait une seule toilette turque et comme j'étais arrivé le dernier, c'est moi qui dormais à côté. Certains condamnés étaient 25 dans des box plus grands. J'ai entendu dire que des viols collectifs y avaient cours… », nous rapporte cet ancien détenu. Pour l'instant, l'espace réservé à un détenu dans une prison algérienne serait de 1,82 m² contre 12,2 m² en moyenne en Europe. Des faits confirmés par cet ex-prisonnier qui explique qu'à quatre dans une cellule, son lit de fortune était calibré au millimètre. « Dans ma cellule, ma couverture devait tenir sur deux carreaux de carrelages (40 cm environ). A côté, il y avait des cellules où 50 détenus s'entassaient. » « Ces établissements compteront un pavillon médical indépendant, tous les équipements médicaux nécessaires et un corps médical de généralistes, dentistes et psychologues ». Tayeb Belaïz, octobre 2009. « Quand tu entres en prison, tu rencontres un médecin et une psychologue. Elle te demande si tu bois, si tu as déjà fait de la prison et si tu es homosexuel. Ca se limite à ça… après ils disparaissent ! », lâche un détenu. Asthmatique, il a fait une crise lors de son premier soir en prison. Le stress, la peur d'être enfermé jusqu'à la prochaine promenade, ont bloqué ses poumons. Sa respiration s'est fermée, comme la porte de la cellule qui n'a pas bougé d'un pouce. « J'ai tapé à la porte longtemps, le gardien m'a seulement crié qu'il n'y avait pas de médecin le soir. Personne ne m'a examiné ou donné des médicaments. Je n'ai même pas pu sortir de la cellule pour respirer. » Pour contacter un médecin, il faut écrire une lettre aux responsables de détention. Beaucoup de détenus le font. « La psychologue peut te prescrire des comprimés, comme ça tu dors… parfois de 16h jusqu'à 8h le lendemain ! », explique cet ancien de Serkadji. Selon certains rapports, 21 prisons seulement seraient dotées de chirurgiens-dentistes, dont les trois quarts officient sans fauteuil dentaire ! « J'invite les gens à traiter les ex-détenus comme des citoyens normaux pour les encourager à réintégrer la société. » Tayeb Belaïz, lors de la cérémonie de remise des diplômes aux détenus, juillet 2009. Difficile de penser réinsertion quand on sort des geôles algériennes. « A quoi sert un diplôme obtenu en prison ? Dès que ton employeur demande ton casier, tu sais que tu ne seras pas embauché. Alors tu retournes à la case départ. Celui qui est tombé pour vol, récidive, revient en prison et… fait un stage ? », explique ce détenu chanceux, auquel son employeur n'a pas demandé d'extrait de casier judiciaire. Lui qui se préparait à un énième refus, n'y a pas cru quand il a appris qu'il était embauché. Par ailleurs, la toxicomanie en prison est un véritable obstacle à la réinsertion des détenus. Selon les chiffres officiels de l'Office national de lutte contre la drogue, certainement sous-évalués, le nombre de jeunes toxicomanes détenus double tous les sept ans. « Je ne tolérerai aucun dépassement ni atteinte à la dignité des prisonniers. » Tayeb Belaïz, lors de la création d'une inspection spéciale pour le respect des conditions des détenus, septembre 2009. Hogra. C'est le mot qui revient le plus souvent dans ces récits de prison. « Un soir, des gardiens ont pris deux détenus, ils leur ont fait subir la « falaqa » : ils les ont attachés par les pieds et les mains et les ont frappés avec des fils électriques. Le directeur a dû intervenir, sinon ils ne s'arrêtaient pas », rapporte un ancien détenu. Les coups de pied pour celui qui appelle un médecin, les brimades pour cet autre qui fixe un gardien dans les yeux, l'humiliation de ce détenu forcé à baisser la tête, les mains dans le dos comme un écolier devant le surveillant… tous ont en mémoire les souvenirs de moments où ils ont été rabaissés, piétinés. Avant et pendant l'incarcération. « J'ai rencontré un jeune qui avait grandi en France et qui avait écopé de cinq ans pour avoir tenté de faire passer de la drogue. Il m'a raconté qu'il avait été forcé de dénoncer son oncle sous la torture, on lui a fait subir des simulations de noyade. » En détention préventive, beaucoup se sentent « jugés avant d'être jugés ». Pour eux, « l'administration pénitentiaire fait ses propres lois ». Mais le danger peut venir de partout derrière les murs. « La hogra des gardiens est terrible, mais il y a aussi celle entre détenus, raconte un autre prisonnier. A partir de 16h, tu es livré à toi-même, la porte ne s'ouvrira plus avant 8h le lendemain matin, alors mieux vaut te faire respecter dans ta cellule… »