Annoncée pour le lundi 29 février, la visite de Sergueï Lavrov à Alger n'est pas la première d'un haut responsable de la Fédération de Russie en Algérie. Au rythme d'au moins une visite de haut niveau par an, Alger est devenue une destination privilégiée pour la diplomatie russe, à la recherche de soutiens dans le monde arabe. Les précédentes visites de la présidente de la Chambre Haute de la Fédération de Russie, Valentina Matvienko, en mai 2014, puis celle du président de la Douma, Sergueï Narichkine, en novembre 2015, avaient essentiellement pour but de renouveler les vœux de coopération et de s'assurer de la convergence des vues en matière de diplomatie au Moyen-Orient. Mais voilà, aujourd'hui, la donne a beaucoup changé, surtout depuis l'intervention russe en Syrie. Les opérations aériennes accompagnées de bombardements ont provoqué des remous au sein d'une partie de l'opinion publique et de certaines tendances politiques qui dénoncent l'accroissement des pertes civiles dans certaines régions de Syrie qui ont subi des frappes. La tâche de Sergueï Lavrov sera donc de lever les doutes et s'assurer que l'un des derniers alliés affichés de Moscou dans la région garde ses positions sur la question syrienne. Aujourd'hui, c'est aussi l'affaire libyenne qui serait l'objet de la visite, Moscou, refusant de laisser s'échapper le traditionnel allié libyen de son giron, redoute plus que tout une répétition du scénario irakien, qui verrait l'Otan occuper ce pays, capter ses richesses et en faire pour longtemps un partenaire commercial et militaire exclusif. Il n'est pas exclu que Lavrov transmette une demande de Vladimir Poutine d'aide à la Russie dans une intervention contre l'Etat islamique en Libye, ou convaincre Alger de ne pas contribuer à une quelconque invasion. Une histoire tumultueuse L'idée reçue selon laquelle Alger et Moscou ont toujours entretenu d'excellentes relations depuis la Révolution algérienne n'est pas tout à fait vraie. La relation entre les deux pays a connu pas mal de tumultes et a même assez mal commencé. Alors que la majorité des pays progressistes soutenaient la Révolution algérienne, l'Union soviétique avait fait le pari de ne pas se mettre sur la route du général de Gaulle, qui jouait le rôle du trublion dans le camp occidental et donnait du fil à retordre à l'Otan et aux Etats-Unis. Ce n'est que sous l'impulsion de Nikita Kroutchtchov, vers 1960, que l'URSS a soutenu diplomatiquement le FLN et a même commencé à accueillir les cadres de l'ALN. Les premiers contingents de pilotes et mécaniciens d'aviation ainsi que d'officiers d'autres corps ont commencé à occuper les écoles russes vers fin 1960, s'inscrivant dans une tradition qui durera jusqu'à ce jour. En revanche, l'URSS est le seul pays à avoir envoyé des milliers de soldats volontaires pour déminer les frontières avec la Tunisie et le Maroc et permettre à la vie de revenir dans des régions désertées par leurs habitants. Beaucoup de volontaires russes y ont laissé un membre ou payé de leur vie ce travail qui durera des années. Jusqu'à la chute du mur de Berlin, des milliers de coopérants russes sont venus enseigner ou occuper des postes en Algérie, en contrepartie, l'Union soviétique a formé plus de 12 000 Algériens, surtout dans les domaines techniques et scientifiques. Beaucoup se sont mariés et ont fondé des familles mixtes. Coopération militaire L'Algérie est, derrière l'Inde, le second importateur d'équipements militaires de Russie. Avec une enveloppe de plus de dix milliards de dollars, c'est un véritable partenariat stratégique que les deux pays ont établi. L'Algérie a par exemple été privilégiée par rapport aux autres pays arabes dans la vente d'équipements sensibles ; l'ANP est toujours la seule armée arabe à disposer de missiles anti-aériens S300PMU2, elle a été la première armée, avant même la Russie, à acquérir des avions Yak 130, ainsi que les systèmes de défense anti-aériens Pantsir Janus. Et pourtant, les Russes perdent du terrain chaque jour et ne parviennent plus à gagner des marchés militaires en Algérie en dehors des contrats cadres qui sont signés à la faveur des visites des officiels des deux pays. L'hypercentralisation de l'appareil de commerce d'armes russe à travers la holding Rosoboronexport subit négativement le dynamisme des entreprises occidentales, rompues aux techniques d'optimisation commerciales et marketing et qui n'hésitent plus désormais à proposer le transfert de technologies vers l'Algérie. L'affaire des MIG-29 Car c'est là le plus gros grief que retient l'Etat algérien contre les Russes, à quelques rares exceptions, la Russie n'a jamais transféré d'unités de production en Algérie. Attendus au tournant par les autorités d'Alger, les hauts dignitaires russes multiplient les annonces sur l'installation d'usines d'armes depuis quelques années, mais jusque-là, rien n'a été fait. En 2007, un incident est venu pourrir les relations entre les deux pays, la découverte par des officiers algériens d'une véritable arnaque à l'encontre du commandement des forces aériennes, dans la vente d'avions Mig-29SMT d'occasion, maquillés en neufs à l'Algérie, a envenimé les relations entre les deux pays, allant jusqu'à la rupture du contrat et au renvoi des appareils réceptionnés. La coopération énergétique sera aussi un dossier important dans le menu de la visite de Lavrov. Le récent accord entre la Russie, l'Arabie Saoudite et le Venezuela pour geler l'augmentation de production de pétrole sera probablement proposé à une Algérie déjà ouverte à toutes les bonnes volontés. Une reprise des négociations entamées en 2006 pour un accord sur le gaz liquéfié pourrait aussi faire l'objet de la visite du patron de la diplomatie russe. L'Algérie et la Russie représentent 36% de la consommation de l'Union européenne en gaz naturel et se font indirectement concurrence dans ce domaine. Enfin, le projet de développement de centrales atomiques de production électrique signé il y a une année attend son entrée en vigueur malgré les efforts de l'agence russe Rosatom, présente en Algérie.