les autres fonctionnaires sont plus contentes, elles ont une autre impression, celle d'avoir remporté une bataille contre la société. Une bataille parmi tant d'autres que compte la longue lutte qu'est la vie quotidienne d'une femme algérienne. Beaucoup d'autres femmes n'y auront pas droit ou y ont renoncé. La Journée internationale du 8 mars, fériée dans certains pays, s'est convertie en Algérie en une demi-journée accordée aux femmes qui travaillent. Apparemment, la politique d'austérité a commencé il y a bien longtemps et la première à en payer les frais n'est autre que la femme qui voit amputés de moitié ses droits à toute une journée. Mais, qu'à cela ne tienne. A Mostaganem, depuis quelques années déjà, le 8 mars est synonyme de sortie entre femmes. De plus en plus, les femmes s'organisent entre elles et fêtent cette journée en s'offrant un repas ou juste une collation. Banalité ! se disent certains. Exploit, diraient d'autres connaissant la mentalité des Mostaganémois conservateurs. Impensable il y a quelques années, mais, de plus en plus admis, ce rituel du 8 mars commence réellement à s'installer dans les coutumes locales. Il est vrai que l'essence même de cette journée suscite une perpétuelle controverse entre féministes indignés, qui refusent que la femme soit fêtée au même titre qu'un arbre, et conservateurs, qui estiment que les femmes ont été émancipées par l'islam, et non depuis 1910, date de l'adoption de cette célébration internationale. Coincée entre l'indignation des uns et les fatwas des autres, la femme lambda est un peu perplexe mais, surtout, bien contente de s'attabler avec des collègues, des amies sans aucune présence masculine. Ceux qui n'ont pas vécu cet interdit ne peuvent pas comprendre l'ampleur de cet acquis : s'asseoir à une terrasse, commander, manger, discuter et rigoler puis, payer et s'en aller…comme des personnes adultes, des personnes à part entière, responsables et citoyennes…des personnes au même titre que les hommes, le temps d'une demi-journée. Le plus souvent, ce sont des hommes, tout sourire, qui les servent… ce qui ne fait que doubler le plaisir. Evidemment, toutes ne travaillent pas et toutes n'ont pas les moyens de s'offrir ce repas. Néanmoins, elles marquent le coup, ne serait-ce qu'en sortant et en déambulant dans les rues. Et, ce qui est d'autant plus agréable, c'est que cette fois-ci, elles sont autorisées à flâner et à se pavaner sans se cacher, ni se presser. Comme si, l'espace d'un après-midi, elles étaient déchargées de toute contrainte. Ce qu'il ne faut pas oublier, c'est qu'à Mostaganem, l'accès au café demeure réservé aux hommes. Quand bien même aucun interdit n'est littéralement signifié, un consensus sociétal veut que cette idée n'effleure même pas l'esprit d'une fille de «bonne famille» à qui l'on recommande de presser le pas, baisser les yeux et ne passer que s'il y a nécessité impérieuse devant les terrasses des cafés du Novelty ou de la place du Barail. Ces lieux enfumés et bruyants, éternellement envahis par des hommes, qui sirotent un café ou un thé en scrutant sans discrétion aucune les moindres silhouettes féminines pour les identifier et tenter de deviner la raison de leur passage si près du monde des hommes. Plus qu'ailleurs, le café continue d'être un espace masculin et y pénétrer serait une transgression au code de l'honneur, une sorte de viol des représentations collectives acceptées et parfois même pérennisées par celles-là mêmes qui, le 8 mars, n'en font plus cas et défient le regard amusé des hommes. La République préfère, quant à elle, continuer de jouer la carte du folklore et de la minoration. Officiellement, le 8 mars est synonyme d'associations féminines, expositions de travaux manuels et défilés de couture traditionnelle. Les officiels continuent de faire semblant de s'extasier devant un napperon au crochet et les membres de ces associations continuent de s'égosiller en lançant des youyous stridents typiques de Mostaganem. Une sorte de compromis que seuls les habitués du 8 mars peuvent comprendre…maintenir ce spectre de la République Sonitex bienveillante des années 70 qui veille à l'émancipation des femmes par le biais de la couture ou de la broderie, seule activité que le cerveau d'une femme est censé assimiler. Réducteur et profondément insultant. Mais, au-delà des mailles à l'envers ou à l'endroit, au-delà du passé plat ou du point de croix, la femme a compris que, pour tout équilibre, il fallait un poids et un contre poids. Qu'importe alors qu'elle soit l'un ou l'autre. En attendant que tous les jours de l'année soient des 8 mars, la femme mostaganémoise continue de survivre dans une société profondément machiste qui, dans sa toute puissance, lui concède encore cette petite lubie qu'est le 8 mars.