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Inégalités sur fond de niches inexploitées
Publié dans El Watan le 18 - 04 - 2016

Et ce sont de surcroît les wilayas les mieux nanties économiquement qui échappent au fisc, au moment oùa celles qui peinent à enclencher une véritable dynamique de développement local avec de faibles moyens financiers se retrouvent à verser de grandes sommes aux impôts.
Un paradoxe : les pauvres qui continuent à payer pour les riches en l'absence d'instruments efficaces de recouvrement fiscal, notamment au niveau local.
Ce qui impacte négativement le développement socio-économique et bloque les initiatives locales dans ce cadre. Une situation induite par les principes de l'économie rentière. Pendant longtemps, l'Etat n'affichait pas un intérêt à la fiscalité ordinaire face au boom de la fiscalité pétrolière, tirant justement ses principales recettes de la rente.
D'où cette pression fiscale sur certaines wilayas et le relâchement dans d'autres. Aujourd'hui que les recettes pétrolières s'amenuisement, place à la recherche de nouvelles niches fiscales.
L'Etat se souvient enfin qu'un vivier d'impôts existe et qu'il faut l'exploiter. Des exonérations fiscales multiples au profit de nouveaux investissements sans véritables contrepartie en termes de création de richesses (ANDI, Ansej, Angem, CNAC…), un Impôt forfaitaire unique (IFU) élargi avec comme résultat un manque à gagner important pour le fisc, et un secteur immobilier pourvoyeur d'impôt mais sous-exploité sont autant de pistes à étudier par une administration fiscale défaillante, dont la priorité pour l'heure est de s'attaquer à l'informel.
Depuis que les cours du pétrole ont chuté et la fiscalité pétrolière avec, les discours officiels sur la nécessité d'augmenter les ressources ordinaires et particulièrement fiscales se font de plus en plus pressants.
Avec la manne de l'informel, de l'évasion fiscale et des régimes spéciaux, le potentiel fiscal est important. L'administration fiscale voudrait, selon son premier responsable, privilégier la manière douce et éviter de sévir en allant vers les contentieux judiciaires, d'autant plus que ces derniers sont peu efficaces (les recouvrements suite à des actions de poursuite représenteraient moins de 3% des collectes globales, selon la Cour des comptes).
Donner la préférence au «civisme fiscal» quand on sait que les montants non recouvrables atteignaient, en 2011, jusqu'à 100 milliards de dollars, selon le ministre des Finances de l'époque et que la part de l'informel touche 40% à 50% de l'économie paraît délicat.
La conformité fiscale pour ceux qui gardent leur fortune en dehors des circuits bancaires ou la déclaration volontaire pour ceux qui sont soumis à l'Impôt forfaitaire unique (IFU) sont deux mesures faisant directement appel au civisme fiscal des citoyens et contribuables.
Le but est d'augmenter les ressources ordinaires afin de diminuer la dépendance à la fiscalité pétrolière sachant que les recettes fiscales représentent en 2016 près des trois quarts des ressources ordinaires (hors produits des douanes).
La revue des dernières lois de finances laisse penser à une amélioration dans la réalisation de cet objectif . Ainsi, le taux de couverture des dépenses globales par les recettes fiscales est passée de 27% à 34%% entre 2008 et 2016, avec une part de plus de 87% dans les dépenses d'équipement en 2016.
Pourtant, comparée à 2013 par exemple, la part dans les dépenses d'équipement étaient de plus de 96%. Il faut dire qu'entre-temps, les dépenses générales sont passées de 6500 milliards de dinars à près de 8000 milliards de dinars.
L'IRG représente l'essentiel des recouvrements fiscaux (hors recouvrements douaniers) avec une part de 47,5% en 2013 contre 22% pour l'IBS. L'IRG retenu à la source représenterait à lui seul plus de 60% des impôts directs.
Quid des riches ?
Mais comment augmenter les ressources de la fiscalité ordinaire sans augmenter les impôts et sans enrayer la machine économique. Le ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa, a plaidé pour un élargissement des assiettes fiscales. L'autre mesure serait de taxer les riches ou plus exactement de les mettre plus à contribution. Les chiffres officiels en la matière laissent voir tout le gap qui reste à combler.
L'impôt sur le patrimoine, équivalent de l'impôt sur la fortune sous d'autres cieux, rapporte moins de 200 millions de dinars par an, selon le rapport 2014 de la Cour des comptes portant avant-projet de règlement budgétaire pour l'exercice 2013.
Cet impôt représente ainsi 0,02% du total des recouvrements des impôts directs. Une misère. Le directeur général des impôts, Abderrahmane Raouia admet que «le rendement de l'impôt sur le patrimoine est en deçà de ce qu'il devrait être». Il faut certes «aller chercher l'argent là où il se trouve», mais, reconnaît-il, «on ne peut pas rafler partout».
A défaut de pouvoir taxer les riches à mesure de leur patrimoine, il serait donc préférable d'aller chercher les ressources ailleurs !
L'exception généralisée
Larbi Sarrab, expert en fiscalité, estime qu'avant de chercher à taxer davantage les fortunes, il serait plus efficace et plus juste de «reconsidérer les exonérations quasi généralisées accordées aux entreprises et les dispositions relatives à l'IFU».
En 2015, la loi de finances a relevé le seuil de l'IFU à un chiffre d'affaires de 30 millions de dinars et a élargi son champ d'application aux professions libérales et aux personnes morales commerçantes (SNC, SARL, SPA…). D'autre part, il a été exclu du champ d'application de la TVA les affaires réalisées par les personnes dont le chiffre d'affaires global est inférieur ou égal à 30 millions DA. La loi de finances complémentaire de 2015 permet par ailleurs au contribuable imposable à l'IFU de calculer lui-même son impôt.
«Ces dispositions induiront de considérables pertes de recettes budgétaires vu que l'IFU se détermine par application d'un taux de 5% ou 12% du chiffre d'affaires, selon l'activité exercée et qui remplace la TAP, la TVA et l'IRG ou l'IBS», explique Larbi Sarrab.
Or, rien que les deux taux cumulés de la TAP et de la TVA applicables au chiffre d'affaires sont de 19%. De plus, les opérateurs économiques qui passent au régime du forfait et qui ne sont plus concernés par l'IRG ou l'IBS, ni par la TVA et la TAP, représentent, pour 2011, sur la base du recensement de l'ONS, 96% des entités économiques nationales, note encore l'expert.
Largesses fiscales
Franchise de TVA, exonération de l'IBS, baisse du minimum imposable, élargissement de l'IFU, les avantages fiscaux dans leurs différentes formes coûtent cher. La Cour des comptes a recensé en 2013 près 500 mesures fiscales dérogatoires. La même année, la direction des grandes entreprises a délivré plus de 49 500 attestations d'exonération, d'achats en franchise et de décisions de contingents.
Les exonérations fiscales représentent chaque année environ 800 milliards de dinars, selon la Direction générale des impôts en janvier 2014. Injuste, estiment certains chefs d'entreprise.
Il serait «normal de mettre tout le monde sur le même pied d'égalité. Vous exonérez les nouvelles entreprises alors que celles qui existent déjà sont sévèrement taxées», proteste Belkacem Mezine, patron d'une PME qui soutient : «Pour un chiffre d'affaires de 50 millions de dinars, une entreprise peut payer 58% d'impôts simplement entre la TAP et l'IRG».
C'est «trop lourd», affirme pour sa part Amar Moussaoui, chef d'entreprise. «Hors TVA mais avec la TAP, la CNAS et l'IBS, on paye entre 55% et 65% d'impôts et taxes quand on devrait n'en payer que 30% pour permettre au entreprises qui travaillent de se pérenniser». Pire encore, «on est contraint de payer l'impôt sur le bénéfice à l'avance sans savoir si nous allons en réaliser ou pas». Une entrave pour ce patron, alors que d'autres bénéficient d'exonérations, pense-t-il.
Sur les 800 milliards d'exonérations fiscales, plus de 10% profitent aux investisseurs dans le cadre des dispositifs Andi et Ansej pour lesquels elles ont atteint plus de 92 milliards de dinars en 2013, répartis à raison de 78% et 22% respectivement. Globalement, les avantages accordées dans le cadre des régimes privilégiés Ansej, Angem, Cnac et Andi ont dépassé les 270 milliards de dinars en 2013, en hausse de plus de 20% par rapport à l'année d'avant.
Des avantages dont l'apport reste difficilement quantifiable. «On exonère, mais il n'y a pas de retour. Nous ne voyons pas l'impact sur l'économie», estime Achour Moussaoui.
La faible diversification économique, la dépendance aux importations et la faible valeur ajoutée du secteur industriel en dépit des différents dispositifs d'aide à l'investissement et à la création d'emplois montrent si besoin est que si impact il y a eu, il est marginal.
D'ailleurs, la Cour des comptes l'avait confirmé dans son rapport pour 2013. Selon le document, entre 2012 et 2014, les deux tiers des attestations d'avantages accordées par l'Andi ont été annulées pour non respect des engagements contractuels pris par les promoteurs. De quoi méditer.


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