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Chanteurs ou «mégaphones»
Publié dans El Watan le 04 - 06 - 2016

A l'occasion d'une rencontre sur la protection des droits d'auteur, organisée par l'Office national des droits d'auteur (ONDA) le 23 mai 2016, la télévision algérienne, dans un montage d'images très loin d'être innocent, a montré le Premier ministre Abdelmalek Sellal saluant Idir et Lounis Aït Menguellet qui ont pris part à cette cérémonie aux côtés de nombreux autres artistes.
Il n'en a pas fallu plus pour que les réseaux sociaux se déchaînent et que soient traînés dans la boue ces immenses artistes qui, durant un demi-siècle, ont porté haut et fort notre identité et notre culture à travers leurs chansons. L'impact de ces images bien choisies a provoqué une levée de boucliers d'une violence dévastatrice sur la Toile. Si certaines réactions sont l'expression de la déception de fans sincères de ces artistes, les charges les plus violentes, quant à elles, ne peuvent être motivées que par la haine ou d'obscurs desseins.
Maintenant que la fièvre est un peu retombée et que l'émotion qui l'a suscitée s'est estompée, je me permets de réagir pour donner mon point de vue en espérant enclencher un débat serein sur le rôle de nos artistes dans le combat pour notre culture et notre identité. Ce n'est pas la première fois que nous vivons cette situation où pour diverses raisons (déclarations qui n'agréent pas certaines parties, participation à des événements culturels où des officiels peuvent être présents, applaudissements…) nos meilleurs artistes se voient couverts d'opprobre et lynchés sur la place publique. Il est à parier qu'à l'approche d'échéances politiques importantes en Algérie, ce phénomène ira en s'amplifiant si nous n'y prenons pas garde.
La chanson kabyle, un enjeu identitaire et politique
Pour commencer, je voudrais attirer l'attention sur deux points qui me semblent très importants dans ce débat. Le premier concerne la place ou le statut de la chanson dans la société kabyle, et amazighe en général. Contrairement aux sociétés où les idées et la pensée sont véhiculées principalement par l'écrit, et où la chanson peut être considérée comme un art mineur, dans notre cas cette dernière a été et demeure le vecteur principal de nos revendications, sentiments et idées les plus authentiques.
Elle est l'expression artistique la plus populaire, et ce n'est pas un hasard si les polémiques ont toujours ciblé des chanteurs et non des peintres, architectes, etc. Le deuxième point a trait à la façon de défendre une cause et aux conséquences que celle-ci peut engendrer en dépit des intentions sincères ou simulées. Parfois, la meilleure manière de tuer une cause est de la défendre de la mauvaise manière. Ceci peut être fait à bon escient, c'est le rôle des «infiltrés», ou est dû à un manque d'information, de formation ou de lucidité. Pour rester dans le cadre de notre objet, je rappellerai la position radicale prise par des militants du Mouvement culturel berbère (MCB) et incarnée par feu Matoub Lounès lors du grand gala commémoratif du «Printemps berbère» à Oued Aïssi en avril 1990.
En effet, pour défendre le MCB qui était déclaré mort par d'autres militants lors des assises qui ont donné naissance au Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), Lounès qu'on ne peut soupçonner d'aucune mauvaise intention vis-à-vis de ce mouvement dont il était l'une des icônes, monta sur scène pour chanter et, du même coup, dénoncer et vilipender les adversaires du moment. Conséquence, le public, pris de panique, déclencha une énorme bousculade, le gala s'arrêta et l'immense marée humaine présente ce jour-là se dispersa dans le désordre et la précipitation ; la fracture entre les deux camps au sein du MCB était consommée. Elle ira en s'élargissant jusqu'à la mort de ce beau mouvement rassembleur dans le sillage du boycott scolaire de 1994/1995.
Manipulation et récupération
Cet épisode montre que la tentation d'instrumentaliser nos artistes de premier plan ne date pas d'aujourd'hui. Si, à l'époque, elle était le privilège d'entités politiques suffisamment organisées pour avoir la capacité de sa mise en œuvre, depuis l'irruption d'internet et des réseaux sociaux elle s'est bien popularisée. Le cas d'Idir est à ce propos très significatif. En septembre 2015, il fait une interview sur Tamurt TV — et en novembre sur BRTV — où il défend le droit de Ferhat Mehenni d'exposer et défendre ses idées politiques. Le lendemain, par la magie de quelques interprétations tendancieuses sur le web, il se retrouve le chantre de l'indépendance de la Kabylie, avec des titres comme : «Idir appelle les Kabyles à rejoindre Ferhat Mehenni», ou «Idir revendique l'indépendance de la Kabylie».
Lounis est, quant à lui, voué aux gémonies épisodiquement depuis au moins 1999. Cette fois, on a fait plus fort ; on a fait d'une pierre deux coups ! Les deux piliers de la chanson kabyle, jadis adulés comme des dieux et qui, par leurs apports inestimables en termes d'expression poétique pour l'un et d'esthétique musicale pour l'autre, ont donné à cet art ses lettres de noblesse, se retrouvent en même temps sous les feux nourris de l'anathème et de l'insulte.
Si le pouvoir et ses relais médiatiques, qui se sont occupés de la mise en scène et de la diffusion des images à l'origine de cette polémique sont un peu dans leur rôle, tant ils nous ont habitués à la manipulation et à la récupération, comment devons-nous interpréter l'acharnement et la méchanceté gratuite qui ont émané de ceux dont le combat proclamé (défendre la Kabylie, sa culture, sa langue et son identité) est dans le fond le même que celui de ces deux artistes ? Sommes-nous à ce point inconsistants et manipulables pour finir nous-mêmes le travail de sape entamé par nos adversaires ? Savons-nous qu'en tirant sans ménagement sur ces deux icônes, c'est nous-mêmes que nous atteignons dans ce que nous avons de meilleur ? Sommes-nous sujets à quelques étranges dysfonctionnements psychiques — je pense à l'auto-odi (haine de soi) des sociolinguistes, par exemple — pour ne rater aucun prétexte de s'en prendre aux meilleurs représentants de notre culture et de notre identité ? La propension de certains acteurs politiques à utiliser les artistes en espérant récupérer à leur compte l'amour et la sympathie dont ceux-ci bénéficient n'a que trop duré.
Le résultat a toujours été le même : l'artiste offert à la vindicte populaire en sort blessé et meurtri ; et parfois, quand il n'a pas la sagesse et les convictions chevillées au corps, il abandonne ou se jette carrément, par dépit, dans les bras de celui à qui l'on veut l'opposer, qui le récupère ainsi sans trop d'efforts.
Le projet politique défendu ne se portera pas mieux non plus puisque s'il ne peut pas se passer de la manipulation des symboles et figures populaires de la société pour s'affirmer, c'est qu'il ne repose pas sur des convictions profondes et un programme solide et cohérent. Il peut capter quelques naïfs pendant un moment, mais il ne fera que participer au discrédit de la chose politique et à la démobilisation des militants les plus engagés, à long terme. Les velléités de subordonner l'art ou les artistes, et la culture en général, à la politique sont absolument contre-productives.
Croire que l'artiste est plus utile en tant que porte-parole, au sens de mégaphone, d'une organisation politique, qu'elle soit dans l'opposition ou au pouvoir, est le symptôme d'une vision politique à courte vue. Il est tout à fait normal et même sain qu'il y ait des divergences politiques entre les différents acteurs qui défendent notre identité et culture, mais est-il raisonnable que ces divergences prennent le dessus sur la cause qu'elles sont censées défendre ? Assurément, non.
Taqbaylit ne peut pas être emprisonnée dans une option politique unique quelle qu'elle soit, à moins de vouloir s'en servir à des fins non avouées au lieu de la servir ! Taqbaylit est notre bien commun éternel alors que les positionnements politiques sont par nature conjoncturels tant ils sont déterminés par les événements et les enjeux du moment. Les artistes ont besoin de liberté et de respect pour s'épanouir et créer de belles œuvres. Ils sont là pour poser des questions, secouer les consciences endormies, apporter du rêve et de l'espoir…
Il ne leur est pas, évidemment, interdit de s'engager politiquement et même de manière partisane, mais cela doit être un engagement librement consenti, pas le résultat de pressions et de manipulations. Aussi, le public peut très bien critiquer ses artistes, notamment leurs œuvres, tant que ceci se fait dans le respect.
Pour terminer, je salue Idir et Aït Menguellet en les assurant de ma profonde sympathie, de mon admiration et de ma reconnaissance pour le travail énorme qu'ils ont accompli. J'espère que de cette épreuve jailliront de magnifiques chansons que l'on prendra du plaisir à écouter et qui mettront encore plus en valeur notre culture qui en a tant besoin.
Par Ali Amrane
Chanteur


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