Propulsé par le Comedy Club de Jamel Debbouze, l'humoriste algérien présente ce soir au Hilton, à Alger, son one man show Une Vie de chien, des chroniques de la vie quotidienne où il décortique les travers des Algériens et les habitudes des Français. Pour El Watan Week-end, il retrace son parcours. Commençons par votre parcours… Comment êtes-vous devenu comique professionnel ? Cela remonte à mon enfance. Mes oncles paternels et maternels étaient déjà des phénomènes dans la région. J'avais cette réaction à l'intérieur de moi « celui qui me fait rire, je l'aime ». Donc j'ai voulu faire rire mes amis pour qu'en retour, ils m'aiment, c'est tout simple. Mais de là à en faire un métier ? Il y a un pas... Au début, je n'avais jamais pensé que le rire puisse faire l'objet d'un métier, d'un avenir. Pendant deux ans, j'ai fait un stage dans la mécanique d'entretien, puis comme tous les Algériens, j'ai fait des boulots à droite et à gauche... En 1998, c'est le déclic. J'étais invité à un mariage, il y a eu une coupure d'électricité, et pour amuser la galerie en attendant le retour de la lumière, je racontais des blagues à mes camarades. Puis petit à petit, c'est toute la salle qui est venue écouter. L'électricité revenue, les invités ont réclamé au DJ de me fournir un micro et j'ai commencé un one man show improvisé… Une semaine après, j'ai été invité à un autre mariage pour l'animer, cette fois avec mes sketchs et l'affaire s'est lancée comme ça et cela ne s'est plus arrêté. Votre actualité c'est Une Vie de chien, votre véritable premier spectacle. Pourquoi ce titre ? Le thème vient du phénomène des harraga, de l'immigration clandestine. Moi, fils de Ghazaouet, je reste choqué par une image : celle d'un chalutier qui arrive avec deux casiers de sardines et trois ou quatre cadavres. Je me suis posé alors la question : au fond de la mer, il y a du poisson ou des êtres humains ? Ces jeunes retrouvés morts avaient voulu fuir leur pays pour rejoindre l'Espagne ou la France avec le rêve de se bâtir une belle vie, de gagner de l'argent, mais avant eux, il y a d'anciens clandestins qui ont dix ans ou plus de présence en Europe sans pour autant avoir réussi à avoir leurs papiers. Ils ne peuvent ni rentrer ni rester et se retrouvent bloqués en France ou ailleurs. Une vie de chien, en fait… Oui, j'y viens. Lors de mon séjour en France, j'ai vu de véritables chiens — ceux qui aboient — avec un passeport, une carte d'identité, un carnet de vaccination, tandis qu'un être humain, comme ces clandestins, n'a rien de tout cela. Il est pire qu'un chien… l Pour résumer, votre spectacle vise à dissuader les jeunes de brûler les frontières... Oui, mon idée principale, c'est de dire stop à ce phénomène, dire « attention, tu vas risquer beaucoup pour une vie en Europe sans avoir la certitude que cette vie soit meilleure que celle que tu vivais auparavant en Algérie ». Il y a quand même un paradoxe : vous incitez les jeunes à ne pas partir vers un eldorado européen, alors que vous-même êtes parti en France pour pouvoir réussir… Non, moi je n'ai pas fui. On m'a appelé, c'est différent. J'ai été contacté par Jamel Debbouze. Je n'avais jamais mis les pieds en France avant et je suis parti avec un visa en tant qu'artiste. Je conseille à tous les Algériens, Marocains, Tunisiens, de partir en Europe d'accord, mais avec de la dignité, pas en galvaudant son honneur par la clandestinité. Vous avez 44 ans. Vous êtes parti en France à 43 ans. Vous avez du succès, mais il aura fallu attendre tout de même 43 ans. Et puis votre talent est reconnu mais en France… N'y aurait-il pas un souci sur la scène artistique algérienne ? Le problème venait de moi en fait. Je suis de Ghazaouet, et là-bas, nous avons un dialecte qui n'est pas compris ailleurs. J'avais préparé la plupart de mes sketchs dans ce dialecte, et au fur et à mesure de mes tournées, j'ai dû m'adapter et parler le dialecte algérien pour pouvoir être compris de tous. C'est la raison pour laquelle j'ai pris plus de temps que les autres pour émerger. Ce succès, c'est un encouragement pour la jeunesse algérienne ? C'est ce que me dit Jamel Debbouze. Il m'a dit : « Tu vois, toi, Abdelkader, tu bossais dans les mariages, puis on t'a vu sur YouTube. Tu n'es jamais passé à la télévision et d'un coup tu fais le grand bond. Abdelkader de Ghazaouet à Paris au Jamel Comedy Club. » C'est une belle leçon, je n'ai jamais désespéré même si cela a été dur. Je me rappelle la réaction d'un homme dans un mariage qui m'a interpellé en me lançant : « Va chercher un vrai travail au lieu de faire rigoler les gens. » Cela m'a blessé, mais je ne me suis pas découragé. J'ai eu raison, je pense. Quels travers de la société algérienne utilisez-vous cette fois dans vos sketchs pour faire rire ? L'Algérien est nerveux de nature. Il va te dire bonjour, mais pas avec le sourire, plutôt un sbah el kheir très dur... Pourquoi cette nervosité ? Je ne pourrai pas vous l'expliquer, on est comme ça, et ça me donne de la matière pour mes sketchs ! Alors que vos sketchs sont 100% hallal, que l'on peut voir votre spectacle en famille, pourquoi, dans ces conditions, cela n'a pas collé avec l'ENTV ? Posez-leur la question ! Je ne sais pas pourquoi je ne passais pas. Aujourd'hui, avec le succès à Paris, on m'ouvre les portes plus facilement. Quant à la vulgarité, je vous le rappelle, je suis musulman pratiquant, je ne veux pas faire rire à tout prix. Ce n'est pas dans mon éducation, j'ai envie que quand une famille regarde mon DVD, la mère, le père et les enfants soient ensemble pour le voir. Aujourd'hui, ils savent sans vérifier que quand ils regardent mon spectacle, ils ne seront pas choqués par des vulgarités. 2000 DA la place pour voir cette Vie de chien, est-ce que ce n'est pas un peu cher pour le guellil algérien si cher à votre coeur ? On joue deux fois à Alger et Oran, les salles sont petites — 500 places pas plus, on était obligés. Mais je vous le promets, je vais revenir bientôt en Algérie, début juin, avec une tournée partout dans le pays et le spectacle sera plus accessible que cette fois. Autour des 300 DA, je pense… Bio express : Abdelkader Secteur est né le 21 juillet 1965 à Ghazaouet. Marié, il est père de trois filles : Kawter, Fatima et Marwa. Après plusieurs stages dans le domaine de la mécanique d'entretien à Ghazaouet, il assure divers petits boulots, sans pour autant négliger sa passion : faire rire. En 2008, il est contacté par des associations à Genève, en Suisse, pour se produire. S'ensuivent des allers retours entre Ghazaouet et diverses villes européennes. En mars 2009, c'est la grande rencontre avec Jamel Debbouze qui lui propose de rejoindre le Jamel Comedy Club, où plusieurs comédiens se produisent avec la technique du « stand up », des monologues hilarants... Le courant passe avec le public. Il joue, en arabe dialectal, tous les jeudi, vendredi et samedi à Paris. Une vie de chien est son premier one man show.