«We will build a wall between the United States and Mexico and the Mexican government is going to pay for it» (Donald Trump). «My ‘‘Revolution'' will reduce the gap between the 99% and the 1%»“ (Bernie Sanders). «America should lie somewhere between Sander's Revolution and Trump's Wall» (Hillary Clinton). Introduction Les trois citations ci-dessus indiquent en elles-mêmes la virulence qui caractérise la campagne présidentielle américaine actuelle. «Nous construirons un mur – le plus haut mur de l'histoire – déclare le candidat républicain et milliardaire Donald Trump. De l'autre côté du spectrum, Sanders promet que sa Révolution «à l'européenne» (à la française ou à la suédoise) qu'il veut appliquer va réduire drastiquement l'écart grandissant entre les pauvres (les 99 % de la population) et les riches (le 1%). Hillary Clinton se positionne quelque part entre les deux extrêmes. Ces trois projets sociopolitiques reflètent le fait que l'Amérique est divisée en trois camps : ceux qui pensent que le pays est toujours sur la voie «capitaliste» – c'est-à-dire fondé sur les trois piliers que sont la propriété privée, la loi du marché et le profit – ; ceux qui pensent qu'il s'oriente de plus en plus vers un modèle de type «socialiste» (ou «social-démocrate») basé sur la propriété publique, un Etat plus interventionniste et la satisfaction des besoins de la population ; et enfin ceux qui pensent que l'Amérique est plutôt quelque part entre les deux et qu'il en a toujours été ainsi. Ce débat a été ravivé au cours de la campagne présidentielle actuelle qui a vu trois candidats se lancer dans la lutte probablement la plus aggressive pour le pouvoir dans la plus puissante économie de la planète. D'un côté, les deux extrêmes, représentés par l'homme Donald Trump, et le social-démocrate Bernie Sanders, et de l'autre, la centriste Hillary Clinton. La question qui se pose naturellement est la suivante : laquelle de ces trois forces a le plus de chance de l'emporter en novembre prochain ? Pour pouvoir proposer des éléments de réponse à cette question, il est nécessaire d'examiner tour à tour les trois thèses de la campagne actuelle, ce que nous nous proposons de faire dans le présent papier. Donald Trump : «l'Amérique a besoin d'un ‘‘businessman'' à la Maison-Blanche» Le slogan de campagne de ce milliardaire – qui a fait sa richesse dans l'immobilier et le monde de l'entertainment (casinos, cabarets) – est «Make America Great Again» (Rendre l'Amérique Grandiose a nouveau). Il considère que les politiciens de tout bord et de tout temps n'ont pas réussi à redonner à l'Amérique sa grandeur d'antan et que seul un «businessman» de sa taille peut le faire. En d'autres termes, il pense que le management de l'entreprise peut être appliqué pour gouverner un pays comme les Etats-Unis et que s'il a réussi dans le domaine de ses affaires, il n'y a pas de raison qu'il ne réussisse pas dans les affaires du pays. Ses idées sont d'abord celles des républicains : le marché est le seul mécanisme capable de satisfaire aussi bien les intérêts des entreprises que ceux des individus, et ce, grâce à la fameuse «invisible hand» (main invisible) d'Adam Smith, qui est considéré comme le père de l'économie. Il pense que le corollaire de ce libre jeu du marché est que le gouvernement doit être réduit à sa plus petite dimension et qu'il doit s'ingérer le moins possible, voire pas du tout, dans les affaires des entreprises et des individus. En particulier, il pense que les taxes doivent être réduites pour les entreprises en vue de les encourager à investir et à créer des emplois. Toutes ces idées peuvent paraître «normales» pour un républicain et un homme d'affaires de son ampleur. Sauf que Trump va beaucoup plus loin et fait de la politique – ou de la démagogie comme le pensent beaucoup de démocrates et certains républicains – sans le dire ou, comme le pensent certains experts, sans le savoir. Dans cet esprit, il propose – s'il était élu président – de prendre deux mesures qu'il considère les plus importantes de son programme. Il entend construire un mur – le plus haut qui soit dans l'histoire, et en tous cas plus haut que le Mur de Berlin – entre les Etats-Unis et le Mexique pour réduire le flux d'immigrés et de réfugiés et le trafic de drogue venant des Etats d'Amérique au sud des Etats-Unis. Il ne s'arrête pas là. Il ajoute que ce mur, ce n'est pas le gouvernement américain qui va le financer, mais le gouvernement mexicain. En faisant cette proposition ou ce défi, il oublie que l'histoire des Etats-Unis et son développement économique se sont faits grâce aux immigrants venus de toutes les regions du monde, et ce, du début de la constitution de l'Etat jusqu'à nos jours et que ce n'est pas par hasard que les Etats-Unis sont considérés comme le «melting pot» (le creuset) par excellence. Pour lui, la construction de ce mur est le seul moyen de donner la préférence aux américains pour ce qui concerne l'emploi. Mais Donald Trump ne s'arrête encore pas là. Invoquant la sécurité des Etats-Unis et se basant sur les actes terroristes perpétrés par une poignée de citoyens originaires de pays musulmans, Trump propose d'arrêter le flux de nouveaux immigrants venant des pays musulmans jusqu'à ce que, dit-il, le «gouvernement voie clair dans la situation». Ce faisant, il fait l'amalgame entre les terroristes de tout bord – qui sont une minorité – et la majorité des musulmans du monde qui pratiquent leur religion en toute tolérance et coexistence avec les autres religions. Ce que Trump ignore – ou fait semblant d'ignorer –, c'est que le terrorisme fait beaucoup plus de victims du côté des musulmans eux-mêmes (Syriens, Irakiens, Tunisiens, Afghans, Pakistanais, etc). En d'autres termes, il prend un phénomène – qui est exceptionnel – et en fait la règle : «Si une infime minorité de musulmans sont des terroristes, donc tous les musulmans sont des terroristes». Cette thèse a été vivement remise en question pendant la campagne actuelle lorsque Khizr Khan – un juriste pakistanais de confession musulmane qui a perdu son fils en tant que capitaine de l'armée américaine pendant la guerre d'Irak – a pris la parole de la Convention des démocrates pour dire à Trump : «Let me ask you : have you read the US Constitution ? I will gladly lend you my copy. In this document, look for the word ‘liberty' and equal protection of law» (Je vous pose cette question : avez-vous jamais lu la Constitution américaine ? Je peux gracieusement vous prêter ma copie. Et dans ce document, cherchez le mot ‘‘liberté'' et l'expression ‘‘égale protection devant la loi''). Et Khan d'ajouter : «Have you ever been to Airlington Cemetery (Cimetière des Combattants) ? Go look at the graves of the brave patriots who died defending America : you will see all faiths, genders, and ethnicities» (Avez-vous visité le cimetière de combattants d'Airlington ? Cherchez les tombes des braves patriotes morts pour défendre l'Amérique : vous y trouverez toutes confessions, tous les genres, et toutes les ethnicités). A travers toutes ces déclarations intempestives et divisionnistes, Trump est de plus en plus «bombardé» de tous les côtés, y compris son propre camp républicain. Bernie Sanders : Main Street versus Wall Street, ou, «99% versus 1%» Tout à fait à l'opposé de Donald Trump, Bernie Sanders, le sénateur de l'Etat du Vermont, propose sa «Révolution» socio-démocrate basée principalement sur la réduction des inégalités entre les riches (1% de la population) et les pauvres (99% de la population). Son slogan de campagne est «Feel the Bern» (Ressentir la brûlure)—sous-entendu la brûlure ressentie par les pauvres, mais en même temps jouant sur les mots «Burn» (brûlure) et le prénom de Sanders qui est «Bernie». Sanders compare les Etats-Unis avec les pays d'Europe – et notamment les pays scandinaves (la Suède en particulier) – et avec le Canada et trouve anormal que les Etats-Unis – la plus grande puissance économique de la planète – ne puisse pas offrir les mêmes services (santé gratuite, éducation gratuite, taxes réduites pour les travailleurs et la classe moyenne) à sa population. Dans le domaine de la santé par exemple, il propose de continuer le programme dit «Obamacare» du président Obama et d'offrir la médecine gratuite à tous les Américains qui ne peuvent pas se payer leurs soins médicaux et les médicaments dont ils ont besoin. Il se base sur des diagnostics faits par de grands économistes tels que le Prix Nobel 2016 d'économie Angus Deaton, qui constate que «Americans, by contrast (to Europeans) have low confidence in their health care system in spite of all the money they spend ; in one study, the United States ranked 88th out of 120 countries, worse than Cuba, India and Vietnam, and only three places ahead of Sierra Leone» (Les Américains, à la difference des Européens, ont très peu confiance en leur système de santé, et ce, en dépit de tout l'argent qu'ils dépensent dans la santé ; une étude a montré que les USA sont classés 88es sur 120 pays et ont un système de santé pire que ceux de Cuba, de l'Inde et du Vietnam et dépassent la Sierra Leone de seulement trois places).(1) Sanders souligne le gouffre existant entre les grands détenteurs de richesses et ceux qui (plus de 40 millions) ne s'en sortent pas. Il s'inspire pour ses statistiques sur les analyses des économistes libéraux et prix Nobel tels que Joseph Stiglitz, Paul Krugman et Jeffrey Sachs. Il reprend des chiffres cités par ces économistes comme ceux de Stiglitz par exemple : «By 2007, the year before the crisis (the financial crisis of 2008-2012), the top 0.1 percent of America's households has an income that was 220 times larger than the average of the bottom 90 percent» (En 2007, année précédant la crise financière de 2008, 1% des ménages américains avaient un revenu égal à 220 fois le revenu moyen des 90% des Américains).(2) Et Stiglitz de conclure : «The single story of America is this : the rich are getting richer, the richest of the rich are getting still richer» (L'histoire simple de l'Amérique est la suivante : les riches sont en train de s'enrichir et les plus riches d'entre eux sont en train de s'enrichir encore plus).(3) Notes : 1)- Angus Deaton, The Great Escape, pp. 122-123 2)- Joseph Stiglitz, The Price of Inequality, p. 2 3)- Stiglitz, op.cit, pp.7-8