Alger et Damas entendent parler le même langage au prochain sommet arabe prévu fin mars en Libye. Farouk Al Charaa, vice-président syrien, était à Alger la semaine écoulée pour aborder cette question d'actualité, mais également d'autres liées notamment au nouveau repositionnement stratégique de Damas au Moyen-Orient. « Nous allons vers un nouveau sommet arabe en Libye et nous souhaitons que les deux présidents se rencontrent à Tripoli et que nos points de vue convergent sur tous les thèmes d'intérêt commun », a déclaré Farouk Al Charaa à la presse. Pour cet ancien ministre syrien des Affaires étrangères, la situation dans le monde arabe n'est pas dans ses meilleures conditions. Il n'y a qu'à voir la cartographie actuelle : climat de guerre civile au Yémen et en Somalie, crise entre l'Algérie et l'Egypte, redéploiement militaire israélien face à la Syrie et au Liban, difficile réconciliation interpalestinienne, instabilité sécuritaire en Irak, mouvements paramilitaires en zone Sahel, mur d'acier égyptien aux frontières avec Ghaza, risque de division au Soudan, bruits de bottes en Golfe arabe avec les rebondissements du dossier nucléaire iranien et réactivation des réseaux secrets de la subversion. « Des menaces guettent pratiquement la moitié des pays arabes », a annoncé Farouk Al Charaa à Alger. Le sommet arabe de Tripoli se présente déjà mal avec un boycott des principaux dirigeants libanais. Alors ce sommet, qui sera marqué par l'omniprésence de Mouamar El Kadhafi, va-t-il déroger à la règle du statu quo ? Saura-t-il aller au-delà des échanges d'amabilité entre « modérés » et « durs » ? « Nous tenons à ce que les pays arabes réaffirment, lors du prochain sommet, leur cohésion et leur unité, pour plus d'efficience et de sérieux dans l'action commune arabe », a-t-il insisté. Damas s'est rapproché de Riyad. Dans la foulée, la Syrie normalise ses relations avec les Etats-Unis avec la nomination de Robert Ford, ex-ambassadeur à Alger, au poste de représentant de Washington à Damas. Une donne qui va jouer dans les prochaines batailles diplomatiques. Batailles dans laquelle Qatar émerge comme une force crédible de proposition. Doha avait tenté lors de l'attaque israélienne contre Ghaza d'unifier le rang arabe. Les manœuvres du Caire et de Riyad avaient essayé de torpiller l'initiative. Cela n'a pas dissuadé Doha de perfectionner des mécanismes efficaces de médiation diplomatique mises en pratique dans les affaires des infirmières bulgares en Libye et du Darfour soudanais. Doha veut également travailler avec l'Algérie. Fin janvier 2010, le président du Conseil des ministres, ministre des Affaires étrangères de l'Etat du Qatar, Hamed Ben Jassem Ben Jaber Al Thani, véritable maître d'œuvre de la nouvelle diplomatie qatarie, était venu à Alger pour signer dix accords de coopération, mais aussi pour tenter de développer une action commune sur la scène régionale. Hamed Ben Jassem Ben Jaber Al Thani a déclaré avoir enregistré une convergence de vues entre les deux Etats concernant « plusieurs questions intéressant notre région arabe, mais également au plan international ». Si Damas et Doha sont offensifs sur le plan diplomatique pour rompre avec la tradition des « pays leaders » dans la zone arabe, Alger a du mal à démarrer. Il y a comme un manque de carburant dans les machines. Pourtant, l'Algérie peut jouer un grand rôle, beaucoup plus efficace que celui du Caire ou de Riyad, dans la zone Sahel, au Moyen-Orient et même en Asie mineure. Les rapports entre Alger et Téhéran sont bons. Les deux pays s'apprêtent même à ouvrir une ligne aérienne directe. L'Algérie peut appuyer, et même contribuer techniquement aux efforts de médiation d'Ankara dans le dossier iranien. Dans le dossier palestinien, Alger peut également avoir son mot à dire. Ces dernières semaines, les dirigeants du Hamas et du Fatah ont séjourné en Algérie. Alger a reconnu les élections qui avaient porté le Hamas au pouvoir et considère l'OLP comme la seule référence nationale du peuple palestinien. Même si Mahmoud Abbas continue de tourner son dos à Alger. La réforme de la Ligue arabe, dominée depuis plus trente ans par l'Egypte, est un chantier que l'Algérie peut entamer. Abdelaziz Belkhadem, représentant personnel du président de la République, a plaidé, dernièrement, dans un entretien à Ech Chourouk, pour un secrétariat tournant de la Ligue. « C'est le propre de toutes les organisations régionales, comme l'Union africaine ou l'Union européenne, de faire tourner les postes de responsabilité. Pourquoi cela ne serait-il pas valable pour la Ligue arabe ? », s'est-il interrogé. Il y a quelques années, le même Abdelaziz Belkhadem, alors chef de la diplomatie, avait déclaré que l'Algérie ne veut pas que la Ligue arabe devienne « une annexe du ministère égyptien des Affaires étrangères ». Un discours qui semble revenir sur le devant de la scène après la crise entre Alger et le Caire suite au match qualificatif à la Coupe du monde de football en novembre 2009. Autant dire donc que la diplomatie algérienne a un boulevard devant elle. De deux choses l'une : ou elle s'engage, et à ce moment-là il faut affronter tous les vents contraires, ou elle reste sur place et assume l'insignifiance du troisième rang. Quant à la diplomatie des messages aériens et des petits fours, celle-là n'a plus aucune utilité ni aucune efficacité. Elle sert uniquement à noircir le papier et « couper le sel » !