L'annonce faite par Mohamed El Baradei de se porter candidat pour l'élection présidentielle de 2011 « si le peuple le lui demande », pose forcément la question de la « taille » et de l'ancrage de l'opposition en Egypte face à « l'empire » Moubarak. De quelle audience, en effet, pourrait-on créditer El Baradei, et de quelles chances dispose l'ancien « Monsieur nucléaire » onusien face au pouvoir tentaculaire du « Pharaon » du Caire ? En gros, la carte politique de l'Egypte est répartie sur trois pôles. Le premier pôle est celui des forces au pouvoir, concentré autour du puissant PND, le Parti national démocratique, dans l'appareil duquel Gamal Moubarak occupe le poste sensible de président du haut comité des politiques. Ensuite il y a le pôle de « l'opposition légale », conglomérat de partis hétéroclites entre libéraux (Néo-Wafd), nassériens panarabistes (Parti nassériste démocratique), ou de gauche (Rassemblement progressiste unioniste). Et puis, il y a un troisième pôle constitué de toutes les mouvances souterraines, entre mouvements politiques underground et organisations dissoutes. Ce pôle est largement dominé par la mouvance islamiste, structurée essentiellement autour des « Ikhouan », les Frères musulmans, qui sont d'ailleurs présents en force au Parlement. Il y a aussi les communistes de « Hizb el amal », le Parti socialiste du travail. Interdit. Il faut citer également le parti El Ghad de l'opposant bien connu Aymen Nour. Enfin, dans ce pôle toujours, on pourrait intégrer un groupe d'action dont on parle beaucoup depuis sa naissance en 2004 : le mouvement « Kifaya » (c'est trop !), dit aussi « Mouvement égyptien pour le changement ». Si l'on s'en tenait à la Constitution, El Baradei a très peu de chances de voir sa candidature validée, à moins de s'appuyer sur un parti légal. Le Wafd aurait d'ores et déjà fait une offre dans ce sens au prix Nobel de la paix 2005. Mais c'est surtout sur les jeunes, les indépendants, les sans-partis et autres activistes de tous bords issus de la société civile égyptienne qu'El Baradei compte s'appuyer pour recruter ses troupes. A son arrivée au Caire, le vendredi 19 février, des centaines de personnes étaient venues à son accueil lui exprimer d'emblée leur soutien. Le jour même, le mouvement Kifaya a rendu public un communiqué sur son site « www.harakamasria.org » pour souhaiter la bienvenue à l'auguste Egyptien de Vienne en l'appelant d'entrée à « engager une lutte soutenue pour arracher la liberté de l'Egypte et des Egyptiens ». Dans son communiqué, Kifaya s'interroge sur la disponibilité de l'ex-directeur général de l'AIEA à adopter sa stratégie de lutte que résume le principe : « résistance civile-désobéissance pacifique », selon les mots des auteurs. Pour Kifaya, ce serait une grave erreur que d'entrer dans le jeu du régime. Le groupe de contestation va plus loin en lançant un appel pour une large campagne de protestation et de désobéissance civile jusqu'à la chute du régime de Moubarak « appendice du colonialisme américano-israélien » (sic) et l'élection d'une Assemblée constituante qui voterait une nouvelle Constitution, et qui baliserait le terrain pour de vraies élections. Quelle réponse pourrait réserver l'outsider providentiel à un tel plan d'action ? Pour le moment, il est encore trop tôt pour parler d'alliances. Dans la longue interview qu'il a accordée à la journaliste Mouna Chazli de la Chaîne Dream, dimanche soir, le candidat putatif de l'opposition égyptienne s'est contenté de dire : « Je n'ai ni armée ni gouvernement derrière moi, j'ai simplement des idées. » Il tombe sous le sens que la tâche d'El Baradei va être extrêmement dure, lui qui ambitionne rien de moins que de démanteler la dynastie Moubarak. Un régime qui a cadenassé solidement la société comme en témoigne la campagne de répression menée contre les bloggueurs égyptiens. Citons, à ce propos, le récent procès du célèbre Wael Abbès dont le blog « el waei el masri » (la Conscience égyptienne) est visité par des milliers d'internautes. Citons également la campagne d'arrestations dans les milieux des Frères musulmans, un mouvement qui a regagné du terrain à la faveur de la dernière guerre contre Ghaza. Pour le reste, il est significatif de relever la visite d'El Baradei à son ami Amr Moussa, l'une des premières personnalités rencontrées par le candidat. Même si rien n'a filtré de leur entretien, Al Misri El Youm rapporte qu'à l'occasion d'une conférence qui s'est tenue à l'université américaine du Caire en présence des deux hommes, l'inamovible secrétaire général de la Ligue arabe a salué l'action d'El Baradei en faveur du changement. Amr Moussa se poserait-il en allié potentiel ? Difficile à dire. En tout cas, une rude bataille attend Mohamed El Baradei pour tisser ses réseaux, lui qui est resté douze ans loin de son pays. Pendant ce temps, Gamal Moubarak, le « prince héritier », s'évertue à multiplier les apparitions publiques dans l'espoir de conquérir une popularité qui lui fait cruellement défaut.