Ne seraient-ce pas le géologue grenoblois Conrad Kilian, ou le général Coche, que les guides de Mertoutek devraient considérer comme les pères de leur profession ? En 1935, Raymond Coche préparait une mission au Hoggar qui avait pour but premier de tenter (et de réussir) l'ascension de la Garet El Djenoun (2330 m), un sommet mythique et encore vierge convoité par deux alpinistes suisses qui venaient de réussir la première ascension de l'Ilaman, le plus prestigieux sommet de l'Atakor. Sur les conseils de son ami Conrad Kilian, il décida de profiter de cette mission pour aller à la recherche de peintures préhistoriques dans la région méridionale de la Téfedest. Les renseignements que lui fournit le géologue-explorateur sur ces œuvres d'art manquaient de précision. Voici ce qu'il put tout de même expliquer à Coche : «Les Touareg se transmettent le fait de campement en campement, mais aucun d'eux n'a jamais vu les figures. Selon les uns, les personnages seraient sculptés, selon les autres, peints. Les hommes seraient casqués.» Kilian prononça cependant le mot-clé de Mertoutek. Il est intéressant de rappeler qu'en 1935, nous étions à l'époque où le lieutenant Brenans venait de découvrir de nombreuses peintures et gravures dans la Tassili n'Ajjer, en particulier sur le plateau dominant Djanet et dans l'oued Djerat, proche d'Illizi (ex-Fort Polignac). Alors pourquoi des peintures n'existeraient-elles pas dans les montagnes de la Téfedest ? Cette mission de 1935 comprenait en plus de son chef, le capitaine Raymond Coche, le guide de montagne Roger Frison-Roche , l'archéologue François de Chasseloup-Laubat, Pierre Lewden et le cinéaste Pierre Ichac. Pour Kilian, trouver un homme du pays ayant vu ces peintures paraissait difficile, mais au village d'Hêrhafek, Coche, à propos de chasse au mouflon, eut la chance de rencontrer un certain Selam Ag Abderahman, originaire de Mertoutek, qui avait longtemps chassé en Téfedest. Bien qu'il n'ait pas vu les peintures, il connaissait un homme au village de Mertoutek qui les avait vues et saurait les retrouver ! Il s'agissait de Sidi Bouya Ag Fafi, chasseur de mouflons réputé, qui voulait bien conduire la mission jusqu'aux peintures. Sidi Bouya espérait toutefois que sa mémoire ne le trahirait pas, car il y avait bien longtemps qu'il n'était allé dans la montagne, une région où les ânes étaient incapables de monter ! Pour pallier son manque de mémoire, il se fit accompagner par Sidi Rheli, un autre habitant de Mertoutek, qui connaissait lui aussi les peintures. Sidi Bouya retrouva l'abri «aux hommes casqués» et montra d'autres abris. Mais ce fut par hasard, en détruisant les murettes qui défendaient un séchoir à viande du vieux chasseur, que la mission fit la découverte de la plus célèbre fresque de bovinés de toute la Téfedest. Bien qu'ayant souvent utilisé son séchoir à viande pour y faire sécher le produit de sa chasse, Sidi Bouya fut très surpris de la découverte. Il n'avait jamais remarqué la magnifique fresque peinte sur la paroi de l'abri, abri qui prit le nom de Wa n'Bouya (celui de Sidi Bouya). Il n'est pas surprenant que Sidi Bouya n'ait rien remarqué dans l'abri bien qu'il y ait souvent couché et ait appliqué son séchoir contre la paroi peinte, l'art rupestre et sa découverte en Téfedest étant loin d'être le premier souci des chasseurs. Sidi Bouya allait en montagne pour chasser le mouflon dont il tirait des revenus. Son fusil lui ayant été retiré par l'armée française, il avait certainement continué à chasser le mouflon au piège dans les basses vallées, délaissant la montagne et la pratique de cette dure activité solitaire. S'il avait découvert quelques gravures et peintures, dont «les hommes casqués», c'était tout à fait par hasard, sans les avoir cherchées. Cette remarquable expédition sacra Sidi Bouya Ag Fafi premier guide de Mertoutek pour les Européens. La profession de guide venait de naître ! Cinq ans plus tard, en 1940, ces peintures reçurent la visite d'Henri Lhote, qui, dans son ouvrage Dans les campements touareg (1951), écrivit : «Quel artiste de génie a pu peindre, il y a des millénaires, de tels chefs-d'œuvre dans cette rocaille inclémente ? […] Si au cours de mes pérégrinations sahariennes je n'avais vu que ces magnifiques peintures, j'estime que je n'aurais pas perdu mon temps. J'ai ressenti à Mertoutek une des plus grandes émotions de ma vie de chercheur et de Saharien.» Lors d'une conversation en novembre 2011, Abdallah Atanouf me rapporta que son père, Khabti Ag Abahag, avait accompagné Lhote en Téfedest, voyage que j'ai raconté dans Le Saharien, n°201 (p. 35-36). C'était une erreur qu'Abdallah rétablit ensuite, car ce n'était pas Lhote que Khabti avait accompagné en Téfedest, mais Jean Malaurie, et non pas en 1940, mais en 1950. Il était en effet difficile de croire que Khabti, un Dag Ghali d'expérience, ait pu se tromper de piste pour traverser l'Atakor afin de rejoindre le village d'Hêrhafek, comme l'écrit Lhote dans son même ouvrage (1951: 239). A partir de Mertoutek, le guide du préhistorien fut Yousseïn-Ag Mohamed, accompagné de Boudjemaa Ag Ali, avec lesquels il passa trois jours dans la montagne. Je n'ai malheureusement retrouvé aucun renseignement sur ces deux hommes. En 1945, ce fut probablement Sidi Bouya qui fut le guide du capitaine J. Cousin et du géologue Maurice Lelubre, lors d'une mission qui leur permit la découverte des peintures de la tête de l'oued Timedwin. Pour leur deuxième expédition en 1947, le nom du guide n'est pas cité. Henri Lhote organisa une nouvelle mission en 1949-50, à laquelle il ne put participer. Elle comprenait Louis Carl et Joseph Petit, ainsi que Georges Bourdelon et Robert Guérard. Les deux premiers étaient chargés d'une importante exploration longeant en partie la Téfedest blanche à l'ouest, puis l'intégralité de la Téfedest noire, à l'est. Ils avaient pour ce faire un guide chamelier de la tribu des Iseqemaren, nommé Rhaoued Ag Kenni, caïd des Kel Amguid, qui les accompagnait depuis Tamanrasset. Quant à Bourdelon et Guérard, leur guide à partir de Mertoutek fut Selam, qui leur avait été recommandé à Tamanrasset. Lors de leur rencontre, l'interprète leur traduisit les paroles de ce guide : «Il dit qu'il connaît tous les tifinars de la région, ceux de Sidi Bouya et d'autres encore, qu'il a découverts depuis, et qu'il accepte de vous y conduire» (Tefedest, 1953). Selam leur apprit que Sidi Bouya était mort depuis longtemps. Le travail des deux hommes était de photographier et de faire le relevé d'une partie des peintures du haut bassin de l'oued Mertoutek, dont certaines de l'oued Timedwin dans lequel ils firent de nouvelles découvertes. La méharée de Carl et Petit a été racontée dans Tefedest, un ouvrage remarquable de véracité, écrit avec beaucoup d'humour. En 1950, comme nous l'avons vu plus haut, Khabti Ag Abahag, bien qu'il ne s'y soit jamais rendu, accompagna Jean Malaurie à Mertoutek. Là, un guide du pays conduisit le jeune ethnologue voir les peintures. Qui était-il ? Mystère. Khabti, quant à lui, resta à la garde des chameaux, au pied de la montagne. Hormis une nouvelle expédition d'Henri Lhote en 1954, qui lui permit de visiter en particulier l'oued Uhet et l'oued Ahates Wa n Tifinagh, on peut estimer qu'entre 1950 et la fin de la guerre d'Algérie, il ne semble pas que les guides de Mertoutek aient été beaucoup sollicités. Ils le furent à peine plus entre 1961 et le début de 1966, période des essais atomiques souterrains français à la base d'In Eker. Ce fut l'époque où le personnel du CEMO «… se déplaçant en hélicoptère partait allègrement à la quête des fléchettes et se constituait en club archéologique dont l'œuvre scientifique demeurera sans doute encore longtemps inédite» (Maître, 1971, préface du professeur G. Camps). De nombreux sites connus furent visités, et d'autres découverts, en particulier dans l'oued éloigné de Wa n'Zézéré. Le guide de Mertoutek, Abarhor Ag Keloulou, dirigeait et conduisait les recherches, m'a précisé le représentant à Mertoutek du Parc national de l'Ahaggar pour la Téfedest, en août 2013. En 1963, le préhistorien Jean-Pierre Maître commença en Téfedest une série de missions qui se poursuivirent en 1967, 1968 et 1971 (août-septembre). Son guide fut naturellement Abarhor Ag Keloulou. Un guide «dont la connaissance du terrain reste indispensable à qui veut travailler dans ces régions», écrivit le préhistorien (1971, Introduction). Ces missions furent surtout consacrées à la région méridionale du massif, sauf celle de 1971, où, accompagné de son guide, d'un ânier et d'ânes, il remonta à l'ouest l'oued Abezu, explora l'oued Timaqatin Ti n'Anu, puis après avoir gagné l'oued Uhet, traversa la Téfedest noire par le col d'Uhet pour rejoindre les oueds Amrhah et Agjlil, In Tarain et In Afegjaigj.