Transmission d'entreprises Après une longue période marquée par la prédominance du secteur étatique, le secteur privé a fini par retrouver sa place naturelle de levier sur lequel repose désormais le développement économique du pays, comme le montrent du reste les indicateurs de mesure statistiques (+ de 60% du total de l'emploi et 80% du PIB hors hydrocarbures), 750 000 à 800 000 entreprises enregistrées et 20 000 à 30 000 créations chaque année. Le secteur privé algérien est constitué dans sa majorité de très petites entreprises TPE (3 à 10 salariés), et de PME de taille moyenne créées sous la forme d'EURL, de SARL, avec très peu de SPA. Ces entreprises, pour la plupart familiales, sont managées et développées par leurs propres propriétaires (pas de séparation entre le gestionnaire et les propriétaires). Avec le temps, certaines de ces entreprises qui ont réussi à survivre et à se développer dans un contexte difficile (secteur privé toléré, discrimination de traitement par rapport au secteur public en termes de crédits, foncier…), et pour certaines à se spécialiser, et à être reconnues sur le marché, arrivent aujourd'hui en phase de succession. Grâce à la persévérance de leurs créateurs, qui n'hésitent pas à participer aux salons et autres rencontres professionnelles internationales, ces TPE et PME ont réussi à capitaliser un réel savoir-faire, une maîtrise technologique, une connaissance des circuits et des sources (équipements, matières premières, pièces de rechange, services…) aujourd'hui rares, qui risquent tout simplement de disparaître. C'est aujourd'hui un enjeu majeur, car les implications sont considérables tant en matière de pertes de savoir-faire, que d'emplois et de ressources en général. La succession de ce type d'entreprises peut prendre les formes suivantes : – la transmission familiale aux héritiers ; – la reprise externe par : • des entreprises ou des groupes existants ; • des promoteurs individuels ; • le management subalterne de l'entreprise (proches collaborateurs). Ce souci de pérennisation et de développement des PME ressort, du reste, de la nouvelle «Loi d'orientation sur le développement de la PME»' (Loi n°17-02 du 01 février 2017). Transmission familiale La transmission familiale, qui est la voie la plus courante, permet aux héritiers de reprendre la main et d'assurer la continuité des activités. La transmission familiale n'est parfois pas possible en raison du désintérêt des héritiers, attirés par d'autres horizons, parfois de l'insuffisante préparation de ceux-ci à assumer des tâches de direction d'entreprise, ou encore du fait de conflits d'intérêts entre les héritiers. Reprise externe (Cession) Dans les pays occidentaux, les opérations de transmission des sociétés sont accompagnées par des conseils et intermédiaires financiers, la plupart du temps des banques d'affaires, des fonds d'investissement et les filiales et départements spécialisés des banques commerciales dont c'est le métier (fusion/acquisition) ; ce qui permet d'assurer une transmission «soft». Ces structures spécialisées disposent en interne de l'ingénierie et de la ressource nécessaires pour mener les audits, et autres dues diligences, et si besoin mobiliser toutes compétences externes pour évaluer aux plans technique, juridique, économique et financier l'affaire, déterminer ainsi son juste prix, et bien plus encore les conditions optimum de reprise (financements adaptés, stratégie, marché,…). Ainsi, diverses techniques et autres dispositifs et mécanismes spécifiques de financement sont mis en œuvre et adaptés pour assurer le montage du dossier et permettre la continuité de l'activité de l'entreprise, qui autrement pourrait disparaître. Il s'agit des techniques dites de «Leverage» (LBO, MBO, LMBO,…), largement répandues dans le financement de la reprise d'entreprises. En Algérie, – la rareté, voire l'absence totale de ressources en ingénierie capables d'effectuer un tel travail d'investigation, d'audit, d'analyse, technique, juridique, financière, commerciale au niveau des banques ; – la crainte subséquente de ces banques de se voir reprocher de financer des affaires surévaluées ; – la sempiternelle responsabilité pénale des managers qui n'encourage pas ces derniers à innover et à prendre des risques a conduit les banques à refuser de considérer le financement de la reprise d'entreprises en exploitation et de projets en cours de réalisation, estimant par ailleurs que ce type d'intervention ne relevait pas de leurs prérogatives. Une telle «posture» des banques, qui ne favorise pas la transmission d'entreprises et donc leur pérennité, peut, dans les cas extrêmes, conduire à la cessation d'activités pour celles qui, bien qu'intéressantes, n'arrivent pas à boucler leur financement. En effet, si les banques commerciales «acceptent» de financer des projets nouveaux en raison de leur bancabilité ressortant de l'analyse de risque (business plan) en contrepartie de garanties réelles, en revanche elles ne montrent pas ou peu d'intérêt lorsqu'il s'agit du financement de la reprise d'activités existantes, alors que ces dernières présentent l'avantage d'une plus grande visibilité à travers un track record (historique) et des datas permettant de mesurer la solvabilité, le patrimoine, l'endettement, le portefeuille, l'exposition à l'environnement et le degré de rentabilité de l'affaire. Le financement par des crédits bancaires adaptés de la reprise d'entreprises a entre autres avantages de libérer financièrement l'acquéreur, qui dès lors peut affecter ses ressources propres disponibles au financement de ses autres activités de développement et d'exploitation. Ces opérations devraient être encouragées, surtout que la banque peut disposer de toutes les données techniques, économiques, juridiques et financières concernant à la fois l'acquéreur et la cible (bilans, situation fiscale,…). Les repreneurs à titre individuel ou collectif (ex : le staff dirigeant), qui dans les faits ne disposent pas de fonds ou de mise de départ, devraient pouvoir faire valoir à titre de garantie vis-à-vis de la banque leur expertise, leur apport en intelligence, leur connaissance de l'entreprise et/ou du secteur, avec en sus les sûretés habituelles et relatives au patrimoine de l'entreprise cible (hypothèque, nantissement du matériel et équipements, nantissement des actions,…). L'arrivée en phase de succession de nombreuses entreprises devrait amener les banques à repenser leur rôle en matière d'investissement, qui ne doit pas se limiter au financement du commerce et de nouveaux projets, mais bien plus viser l'accompagnement de la reprise d'entreprises, qui pour certaines disposent de véritables expertises, et qui nécessitent de ce fait d'être préservées. A défaut, et en l'absence de solution alternative, cela conduirait inévitablement à la disparition d'entreprises, et donc de savoir-faire, d'emplois, de ressources fiscales et sociales, ce qui serait en contradiction avec la volonté affichée par les pouvoirs publics de développer et pérenniser le tissu économique. Développement par intégration La même dynamique devrait être appliquée pour accompagner des secteurs tels que la pharmacie, l'agroalimentaire…, qui vont, dans un souci de croissance et de compétitivité, vouloir se développer et s'élargir par intégration horizontale et/ou verticale, pour avoir une plus grande maîtrise de la filière (ex : rachat d'un réseau de distribution par un producteur) et/ou d'accroissement de gammes de produits (rachat d'un producteur concurrent ou produisant une gamme de produits complémentaires). Il est important pour les banques d'adapter leur organisation, le cas échéant en mutualisant ou en sous-traitant l'ingénierie, afin d'offrir à leur clientèle des services appropriés, des solutions spécifiques, et les accompagner dans leur développement. A défaut de disposer de ressources d'évaluation en interne, la solution consisterait à recourir, comme cela a déjà été fait lors du rachat des actions de Djezzy par le Fonds national d'investissement (FNI), à des cabinets spécialisés, dont c'est le métier (KPMG, PwC, Grant Thornton,…) ; les frais d'évaluation et de montage devant être assumés par le promoteur ou le candidat à l'acquisition, et ce, quelle que soit la décision finale de la banque. Levier de la fiscalité Sur le plan fiscal, la reprise externe d'entreprises obéit aujourd'hui aux règles du droit commun, sans compter les cas de réévaluation qui peuvent venir impacter la transaction avec l'application de la taxe sur la plus-value. Le souci des pouvoirs publics de développer l'investissement productif et plus encore de pérenniser celui existant devrait conduire à la mise en place d'un dispositif fiscal «ad hoc» attractif, à la fois pour le cédant et l'acquéreur, et ce, afin de faciliter les transactions. A ce titre, deux pistes de réflexion sont suggérées : 1- taxe sur la plus-value de cession : il faudrait peut-être songer à étendre à la cession d'entreprises l'exonération des droits sur les plus-values dont bénéficient actuellement : – les actions cédées en Bourse pour celles cotées (Article 63 de la Loi n°14.10 du 30 décembre 2014, portant loi de finances 2015) ; – la cession de biens immobiliers détenus depuis dix ans (loi de finances 2017). A travers ces dispositifs, le législateur a voulu à juste titre mettre en place des outils permettant pour les actions de dynamiser les opérations en Bourse à travers la défiscalisation de la plus-value de cession, et dans le cas des biens immobiliers détenus depuis dix ans, participer à la lutte contre la spéculation immobilière. En revanche, l'application d'une taxe sur la plus-value de cession d'une entreprise, qui a contribué par le passé à la richesse nationale (impôts, emplois…), et qui dans sa seconde vie (sa reprise) continuera à participer à l'effort économique du pays est pour le moins non compréhensible, surtout que dans le même temps des actifs dormants (terrains, bien immobiliers) détenus pendant dix ans, sans aucun impact sur l'économie, sont exonérés de la taxe sur la plus-value. 2. Droits liés (taxes sur la publicité foncière et taxe d'enregistrement) : au-delà des droits sur la plus-value, il sera peut-être nécessaire de compléter le dispositif par la modulation des autres droits liés (publicité foncière et enregistrement) pour ce type de transaction. Pour rappel, l'article 63 de la loi de finances pour 2015 a pris une résolution portant exemption des droits d'enregistrement sur les valeurs négociées en Bourse pendant cinq ans. Il est important dans le contexte que nous vivons de viser à donner un peu plus de cohérence et d'équité dans le traitement fiscal des transactions économiques. Une telle démarche d'accompagnement aux côtés d'autres mesures visant le même objectif constituerait un signal fort pour aider à dynamiser la transmission d'entreprises.