«N'avez-vous pas vu ce qu'a fait Dieu aux propriétaires de la grue ? Ne les a-t-il pas tué à la Mecque comme à Rabia. C'était là, un signe fort celui tombé sur la maison de Dieu. D'ailleurs, je ne suis pas votre Dieu, vous la Ouma égarée, etc». Ce texte traduit de l'arabe ainsi que d'autres, considérés par la justice de M'sila comme un blasphème des sourate du Coran, ont coûté à son auteur, Rachid Fodil, une condamnation en première instance à «cinq ans de prison ferme». Gérant d'un cybercafé dans un petit douar de Sidi Aïssa à l'ouest de M'sila, Rachid Fodil, 28 ans, propriétaire d'une page facebook, a été poursuivi pour «atteinte aux préceptes de l'islam et offense au Prophète». Sa sentence a été réduite à «une année de prison ferme» en cour d'appel. «Il sera libéré dans moins d'une semaine après avoir purgé sa peine», assure son avocat, Me Amirouche Bakouri, joint par téléphone. Finies les poursuites judicaires classiques. Aujourd'hui, déférer devant un juge pour des slogans portés dans des pancartes, des déclarations données en public ou des positions rapportées par des médias se fait de plus en plus rare. Désormais, les activistes et les militants, associatifs ou politiques, font face à une nouvelle procédure. Ils sont jugés pour les mêmes chefs d'inculpation classiques, mais pour des propos tenus en virtuel sur facebook. Ce nouvel espace d'expression dérange. Devant les interdictions des manifestations et la fermeture des espaces publics, beaucoup d'activistes trouvent en les réseaux sociaux un refuge où ils peuvent s'exprimer librement sans être inquiétés. Mais depuis quelques années, tenir certains propos ou partager des photos et des caricatures, peut être considéré comme un délit. Dénoncer la corruption ou les pratiques controversées des services de sécurité peut se retourner contre le lanceur d'alerte. Pour pouvoir s'exprimer, les militants et activistes n'ont aujourd'hui ni l'espace public ni le virtuel. En réalité, ils sont cernés de partout. Printemps «Des dizaines de militants et de citoyens sont aujourd'hui poursuivis pour des propos tenus sur facebook. Nous ne connaissons que les cas qui nous ont été signalés, car il doit y avoir d'autres que nous ignorons. Généralement ce sont les services de sécurité qui les conseillent de ne pas faire appel aux avocats des droits de l'homme de peur que leurs cas ne soient médiatisés. Mais ce qui nous interpelle le plus dans cette histoire, est que nous avons l'impression que les accusations sont toutes prêtes. La police judiciaire ainsi que la justice ne font que les distribuer sur les personnes ciblées», confie Me Abdelghani Badi, président du bureau de la Laddh (aile Me Benissad) à Alger et avocat qui suit de près ce dossier, rencontré dans la capitale. «Diffamation, outrage à corps constitué, outrage au président de la République, outrage aux symboles de la République, incitation à attroupement armé et non armée, offense au Prophète et atteinte aux préceptes de l'islam», sont les accusations qui reviennent souvent dans ce genre d'affaire. Impossible de citer tout les cas, car ces derniers se comptent par centaines. Les avocats défenseurs des droits de l'homme assurent que toutes les wilayas sont concernées par cette nouvelle mesure mais El Oued, reste pour eux, la région qui a connu le plus de militants poursuivis pour des propos tenus sur facebook. Le mouvement des chômeurs est celui qui a payé le plus les frais de son engagement, selon ces derniers. Pour bon nombre d'observateurs, c'est en «représailles» que ces membres ont fait l'objet de «harcèlement» par la voie de cette nouvelle procédure. Exil En 2014, Rachid Aouine, l'ex-douanier qui était derrière l'affaire du gazoduc qui alimentait sans aucun contrôle la Tunisie à partir du sud algérien, est jugé pour des propos tenus sur facebook. Devenu, après son licenciement, l'un des leaders du mouvement de contestation des chômeurs dans sa région à El Oued, Rachid Aouine, accablé par la justice, est passé à la barre pour la dernière fois en Algérie. Lors du mouvement de protestation qu'a connu le corps de la police dans cette période, Rachid s'est exprimé sur sa page facebook en appelant les policiers à rejoindre leurs confrères, au lieu de réprimer son mouvement (les chômeurs). L'ex-douanier a été systématiquement poursuivi pour «incitation à attroupement» et condamné à «quatre mois de prison ferme». Le jour de son procès, Abdelhamid Brahimi, 28 ans, l'un des chômeurs d'El Oued qui ont pris part au rassemblement de soutien où a participé d'ailleurs la famille Aouine, a assisté à une scène choquante pour lui. «La famille de Rachid, dont une vielle révolutionnaire du FLN, a été malmenée par les policiers. Ils les ont même embarqué, chose qui m'a révolté. Je suis rentré chez moi et j'ai décrit ce que j'ai vu et vécu sur mon compte facebook. J'ai été interpellé, placé en garde à vue et jugé six jours plutard. Heureusement que j'ai été acquitté», témoigne-t-il. Dans cette affaire, Abdelhamid a été acquitté contrairement à des affaires précédentes où il a été condamné. Rachid Aouine a quitté l'Algérie après sa sortie de prison. Actuellement, il vit en Angleterre avec sa femme où sa demande d'exil politique a été accordée par les autorités britanniques. Vidéo Belkacem Khencha, l'autre leader du mouvement des chômeurs à Laghouat, risque de replonger en prison après avoir passé six mois, suite à l'organisation d'un sit-in devant le tribunal du centre-ville. Son seul tort est d'avoir diffusé une vidéo sur facebook où il critique le fonctionnement de la justice et sa condamnation avec sept autres membres de son mouvement. Le caricaturiste d'El Oued, Tahar Djehiche, a été jugé lui aussi pour avoir diffusé une caricature à travers laquelle il apporte son soutien au mouvement anti-gaz de schiste d'In Salah. Accusé d'«offense au président de la République», il a été acquitté en première instance puis condamné par la cour d'El Oued à «six mois de prison ferme et 500 00 DA d'amende» pour avoir caricaturé Bouteflika dans une sable-minuterie. L'activiste de Tlemcen, Zoulikha Belarbi, elle aussi, a été poursuivie pour les mêmes chefs d'inculpation et ce, pour avoir partagé une photo de Bouteflika en compagnie d'un nombre de décideurs dans un décor de série-télé. Belarbi a été condamnée à «une amende de 100 000 DA». Le journaliste Hassan Bouras, qui a diffusé sur facebook une vidéo-témoignage de personnes qui ont accusé des cadres de la police d'El Bayadh de «corruption et de vouloir leur soustraire des pots-de-vin» et qui a décrit cette dernière de «forces coloniales» pour tout ce qu'«elle lui a fait subir depuis des années», a été accusé d'«inciter les gens à prendre les armes contre l'Etat». Son affaire est qualifiée de «criminelle», assure son avocat Me Badi. «L'affaire est au niveau de la cour suprême et il risque la peine capitale», ajoute-t-il. En 2016, un jeune doctorant en littérature arabe, Sohaib Guerfi, 25 ans, originaire d'El Taref, a été conduit manu militari malgré son handicap à Alger pour avoir écrit en langue arabe sur sa page : «Je ne suis pas de la Gaule ni de la brousse africaine. Je viens d'un pays gouverné par des ânes», rapporte son avocat, Me Badi. Ce jeune a été non seulement jugé mais a eu droit à une «''correction'' du juge». «Si t'étais mon fils, je t'aurai égorgé», lance le juge devant la stupéfaction des présents à l'audience dont son avocat Me Badi. Cette déclaration qui a été largement dénoncée sur les réseaux sociaux et qui a suscité la colère des internautes a laissé perplexe plus d'un. Sohaib a fini par être relaxé mais cette déclaration a montré combien «nos juges et la justice sont partiels quand il s'agit de ‘'l'atteinte'' à l'Etat». L'autre cas dont on parle peu aujourd'hui est celui du bloggeur Merzoug Touati, poursuivi pour «ses activités militantes et ses écris sur sa page facebook et sur son blog Alhogra.com». Ce jeune diplômé de l'université de Bejaia, accusé, entre autre, de «travailler avec l'intelligence étrangère», est toujours en détention préventive à Bejaia. Mais l'histoire qui a intrigué tout le monde dont le cas n'a jamais été expliqué est l'affaire Youcef Ould Dada, l'information Mozabite de 48 ans qui a filmé et diffusé sur facebook «une vidéo de gendarmes en train de voler un magasin en pleins heurts à Ghardaïa en 2014». «Au lieu de chercher les auteurs du vol, la justice a condamné Ould Dada à deux ans de prison ferme pour avoir publié des photos et vidéos portant atteinte à l'intérêt national», souligne son avocat, Me Salah Dabouz, président de l'une des ailes de la Laddh. Cybercriminalité Pour pouvoir relever toutes ces informations des comptes et pages facebook des militants et activistes, la police judicaire fait appel au Centre de prévention et de lutte contre la criminalité informatique et la cybercriminalité (CPLCIC). La loi qui régit son fonctionnement promulgée par décret portant le n°09-04, du 5 août 2009, explique que le CPLCIC a pour objectif de «mettre en place des règles particulières de prévention et de lutte contre les infractions liées aux technologies de l'information et de la communication». Selon son article 4, ses opérations de surveillance sont effectuées dans le but de «prévenir les infractions qualifiées d'actes terroristes ou subversifs et les infractions contre la sûreté de l'Etat ; lorsqu'il existe des informations relatives à une atteinte probable à un système informatique représentant une menace pour l'ordre public, la défense nationale, les institutions de l'Etat ou l'économie nationale ; pour les besoins des enquêtes et des informations judiciaires lorsqu'il est difficile d'aboutir à des résultats intéressant ou dans le cadre de l'exécution des demandes d'entraide judiciaire internationale». Mais la mission principale de cet organisme qui est la lutte contre la cybercriminalité semble avoir été déjouée. Me Badi explique : «Si je prends le volet de l'anti-terrorisme, ce centre de lutte contre la cybercriminalité a été efficace en la matière. Il faut savoir que des centaines d'Algériens ont été sauvés grâce à lui. Plusieurs réseaux appartenant à Daesh ont été démantelés avant même que ces sympathisants algériens ne les rejoignent en Syrie où en Irak. La police judiciaire a relevé plusieurs financements venant des pays du Golfe pour la création et le financement de réseaux terroristes en Algérie. Il faut dire que le CPLCIC a été efficace dans ce domaine. Mais ce que nous regrettons c'est son utilisation pour réprimer les militants et activistes qui dérangent le pouvoir. Sur ce registre, je pense que sa mission a été déviée, car il n'a pas été créé pour cet objectif», indique Me Badi. Gendarmerie Dans le communiqué de la Gendarmerie nationale qui résume son bilan du 31 juillet 2016, nous pouvons lire ceci : «La section de recherches de la Gendarmerie nationale de Sétif a présenté devant le Procureur de la République près le tribunal de Beni Ouartilane (Sétif), un citoyen âgé de 46 ans, pour atteinte aux préceptes de l'Islam et propos indécents à l'égard du Prophète Mohamed (QSSL). Il a été écroué.» Ici, la Gendarmerie nationale parle du Sétifien de confession chrétienne, Slimane Bouhafs, dont l'affaire a fait couler beaucoup d'encre. La Gendarmerie nationale explique les raisons de l'interpellation dans le même communiqué. «Les gendarmes ont constaté sur une page Facebook des propos indécents envers le Prophète Mohamed (QSSL) accusé d'avoir notamment épousé 13 femmes et assassiné plus d'un million de personnes. La surveillance de ce site a permis de constater entre autres la déformation de quatre (04) sourates du Coran… le procureur près le tribunal de Beni Ouartilane a ordonné l'ouverture d'une enquête qui a abouti à l'identification et l'arrestation du mis en cause avec l'aide du Centre de prévention et de lutte contre la criminalité informatique et la cybercriminalité (CPLCIC) de la Gendarmerie nationale», lit-on dans le même communiqué. Me Salah Dabouz et avocat de Slimane Bouhafs s'indigne : «Slimane Bouhafs a dénoncé auprès de la Gendarmerie nationale une personne pour corruption. Pour déjouer l'histoire, l'accusée a invité les gendarmes à lire les propos de Bouhafs sur sa page facebook. Pour elle, s'il porte atteinte à l'islam, c'est qu'il ne peut être crédible. Et c'est ainsi que l'affaire a commencé. Au lieu de faire son boulot, la gendarmerie est allée surveiller sa page et jauger la foi des gens. Ca ne devait pas les concerner.» Ahmadis Pour avoir tenu ces propos, Slimane Bouhafs a été condamné à «cinq ans de prison ferme» avant que sa sentence ne soit réduite à «trois ans ferme» en cour d'appel. Il a subi plusieurs agressions en prison notamment à Sétif et à Constantine. Sa famille, qui s'inquiète sur son état de santé qui ne cesse de se détériorer, espère qu'il sera relâché bientôt à la faveur de la grâce présidentielle. «Facebook est un moyen de communication comme tous les autres. S'il y a atteinte, c'est à la victime de déposer plainte. Hors, nous n'avons jamais identifié de plaignant dans ce genre d'affaire. Le but est clair. L'Etat veut empêcher les gens de s'exprimer. Et elle le fait à travers cet organisme de cybercriminalité», dénonce Me Dabouz. Facebook est devenu un fardeau. Plusieurs internautes s'autocensurent de peur de connaître le même sort que ces dizaines de personnes poursuivis pour un oui ou un non. «Il y a, certes, des atteintes à la liberté d'expression, mais j'ai remarqué aussi que nos jeunes ne font plus la différence entre la liberté d'expression et l'insulte. Il est vrai que les frontières entre les deux sont minces, mais il faut qu'ils s'habituent à ne pas s'attaquer à la sa vie privée des gens et à ne pas injurier ou insulter quelqu'un», insiste Me Bakouri. Et de préciser : «Les personnes poursuivies l'ont été pour leurs propos tenus en public. Il faut savoir que ce qui inquiète l'Etat ce ne sont pas les pages francophones, mais celles surtout écrites en Dardja car ce sont elles qui mobilisent. Ils ont poursuivi les Ahmadis, les non jeûneurs et peuvent même embarquer des filles en bikini par le même article de loi. Facebook est le seul espace où les jeunes s'expriment. Le pouvoir n'a pas réussi à le maîtriser. Il a constaté que tout le monde peut critiquer et dénoncer en un seul clic. Alors, il choisit des cas précis pour donner l'exemple.»