Le Premier ministre en exercice, Abdelmadjid Tebboune, qui a repris son activité la veille, affiche une «sérénité imperturbable» malgré la campagne politico-médiatique dont il a fait l'objet pendant qu'il était en vacances. Droit dans ses bottes pour préparer la rentrée politique et sociale. Au menu de son agenda, l'organisation de la tripartite qui devrait se dérouler dans la vallée du M'zab le 23 septembre prochain. Des propositions étaient déjà sur le bureau du Premier ministre. «Il n'est ni affecté ni fragilisé. Il reprend son travail avec la même détermination pour appliquer son plan d'action tel qu'adopté en Conseil des ministres et voté par le Parlement avec le cap de moraliser la vie publique», assurait, hier matin, une source gouvernementale. Il n'en demeure pas moins que le comportement de certains de ses ministres l'agace. A en croire des sources concordantes, la sortie et le discours du ministre de l'Intérieur, Noureddine Bedoui, lors de son déplacement à Tamanrasset, ont été mal appréciés. «Il (Bedoui) se voyait déjà à la place du chef», commente-t-on au palais du gouvernement. Le locataire du palais Docteur Saâdane n'entend pas se laisser détourner de la mission pour laquelle il a été nommé. Il se refuse à la résignation, ne montre aucun signe de faiblesse qui laisserait présager un recul sur les mesures prises pour «rationaliser les dépenses publiques». Dans son entourage, on assure que l'homme «n'a de compte à régler avec personne, encorne moins faire dans le harcèlement des hommes d'affaires. C'est le gouvernement qui subit le harcèlement de certains milieux d'affaires», cingle-t-on. Abdelmadjid Tebboune, qui avait inauguré sa prise de fonction avec comme ligne de travail «la séparation de l'argent de la politique» aura soulevé non sans violence des réactions épidermiques des milieux d'affaires, dont les connexions avec les centres de décisions politiques ont atteint des niveaux inquiétants. Une imbrication encombrante pour l'Etat dont les attributions se trouvent malmenées. Pas si évident de tracer une ligne de démarcation. En demandant des comptes aux hommes d'affaires, structurés pour l'essentiel au sien du Forum des chefs d'entreprise, Abdelmadjid Tebboune savait pertinemment qu'il allait se heurter à une farouche résistance tant les intérêts accumulés étaient énormes. Pis, une confrontation directe allait s'organiser. Le patron du FCE et le secrétaire général de la central syndicale coalisés mènent la «guerre» au Premier ministre et ne jurent que par le départ de leur adversaire. Le Premier ministre est vertement défié et sa tête est «mise à prix». Les partis de la coalition gouvernementale (FLN, RND, TAJ, MPA) affichent un curieux silence qui trahit un manque de solidarité gouvernementale. Un partage de rôle dont l'objectif est d'isoler le Premier ministre pour mieux le contenir dans un premier temps. Pour pouvoir faire face, Abdelmadjid Tebboune ne cesse de rappeler qu'il tire sa légitimité du Président qui l'a chargé de la mission de diriger le gouvernement avec un plan d'action validé par le Conseil des ministres et adopté par les deux Chambres du Parlement. «Le Premier ministre a un contrat moral avec le président de la République et il applique à la lettre ses orientations, celle notamment d'éviter au pays une violente crise économique. Avec le rétrécissement des recettes pétrolières, il fallait que l'Etat cherche des alternatives, réduire la facture des importations, recouvrer ses créances et veiller au respect des délais de réalisation des projets structurants.» S'il a rapidement perdu des appuis au sein de certaines factions du pouvoir, il a néanmoins gagné des soutiens au sein de l'opinion. Mais cette popularité devient paradoxalement handicapante car «soupçonneuse» du point de vue du régime qui ne tolère aucune autre légitimité en dehors de celle qu'il octroie. La surréaliste scène lors des obsèques de l'ancien chef de gouvernement, Redha Malek, a donné le départ à de nouveaux assauts contre M. Tebboune. Son déplacement en France, sa rencontre avec son homologue Edouard Philippe, et enfin ses vacances ont fait l'objet des spéculations les plus folles et d'attaques virulentes venues des cercles mêmes du pouvoir sur fond de surexploitation «d'une lettre de recadrage de la Présidence». S'arc-boutant sur la «confiance» du chef de l'Etat dont il tient la «légitimité de son action», Abdelmadjid Tebboune, avec le calme propre aux gens du Sud, entend poursuivre son action avec sa propre méthode qui semble déranger sérieusement. Dans son entourage, on susurre que «toute tentative de bloquer le gouvernement dans son travail serait un putsch contre la légitimité». A contre-courant de l'«opinion» dominante des milieux d'affaires et de leurs relais politiques à l'intérieur des appareils de l'Etat, celui qui était jusqu'à hier midi encore Premier ministre affiche une attitude de «confiance et près à affronter la tempête de la rentrée sociale», d'autant que l'agenda politique national n'autorise pas un changement de gouvernement. Peut-être un excès de confiance, une assurance exagérée dans un régime politique où rien n'est définitivement acquis. Encore plus avec une présidence de la République totalement imprévisible. M. Tebboune le vérifiera à ses dépens. Il n'a pas eu le temps de bien digérer son déjeuner ni le loisir de finir son 80e jour à la tête du gouvernement. A 14h33, une ligne d'une dépêche de l'APS l'achève : «Le président Bouteflika met fin aux fonctions du Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, et nomme Ahmed Ouyahia à sa place», tombe tel un couperet. Une exécution en plein vol. Un coup de canif dans le dos d'un «serviteur de l'Etat loyal». Un limogeage inélégant qui valide manifestement la thèse selon laquelle c'est l'argent qui décide et qui commande. «On ne peut pas faire mieux pour déstabiliser un pays», commente sous couvert de l'anonymat un leader politique. Une victoire des milieux d'affaires, non pas sur Tebboune mais contre l'Etat. Ahmed Ouyahia, l'homme aux sept vies et qui bat ainsi tous les record au sein du gouvernement depuis Liamine Zeroual, est rappelé aux commandes du gouvernement. Un éternel retour. Un risque de polarisation certaine au sein de la société tant l'homme est connu pour sa «capacité» à tout assumer. Mais par dessus tout, avec ce changement gouvernemental en cours de route, le régime renvoie l'image d'instabilité institutionnelle chronique au sommet de l'Etat, alors que le pays est soumis aux multiples et inextricables difficultés.