Les décharges sauvages prolifèrent et se comptent désormais par centaines. «Béjaïa va finir par obtenir la palme de la wilaya la plus salle», ironise un citoyen. La direction de la santé de Béjaïa a recensé, en 2016, 500 décharges sauvages, 131 dépôts intermédiaires (dépôt de moyenne importance) et 653 dépôts de fumier qui sont autant de viviers de bactéries et de mouches. Il va sans dire que ces données ne rendent pas exhaustivement compte de l'ampleur de la situation, beaucoup plus dramatique. Les images, devenues monnaie courante, de villes, de plages, d'accotements, de ravins, de buissons… jonchés d'ordures qui macèrent dans l'indifférence totale des autorités et des citoyens, crèvent le cœur. Les décharges publiques, toutes illégales du point e vue de la loi, débordent alors que d'autres, «sauvages», se forment à tour de bras.
Point intolérable Le constat est là, alarmant, mais les autorités donnent l'impression de ne pas être inquiétées outre mesure par ce danger éminent qui souille l'environnement et l'image de la wilaya. «Qu'attendent les pouvoirs publics pour faire quelque chose ? Notre wilaya est très sale. J'ai visité plusieurs régions, de la pollution il y en a certes, mais pas autant qu'ici. C'est comme si on voulait salir l'image de la région en la laissant moisir sous les déchets», maugrée un habitant de Béjaïa-ville. «Vous avez peut-être remarqué qu'il n'y a pas beaucoup de touristes qui se sont rendus cette année à Béjaïa. Malgré tout le potentiel qu'elle recèle, notre région commence à être boudée par les touristes et toute cette pollution n'y est pas pour rien, à mon avis. Qui souhaiterait se promener ou bronzer au milieu de la pourriture», ajoute-t-il, dépité. Sur le plan sanitaire, les répercussions pourraient être fâcheuses. «Sur le plan sanitaire, toute décharge représente un danger dans la mesure où elle pollue l'air, l'eau et même les nappes phréatiques. Des études ont montré qu'il y a un lien épidémiologique entre la proximité avec les décharges et certaines maladies graves comme le cancer. La situation dans notre wilaya a atteint un point intolérable. Si on ne fait rien en urgence, les conséquences sanitaires peuvent être très graves», met en garde le docteur Aïssat. Le mal est tel qu'on ne peut l'imputer au seul incivisme, prétexte fourre-tout que certains officiels dégainent pour camoufler leur incurie. Car plusieurs facteurs entrent en jeu et se conjuguent pour rendre l'équation des déchets plus complexe. La nécessité de mettre en place une stratégie globale pour gérer les déchets d'une manière efficiente ne s'est jamais faite aussi pressante. Le temps des demi-mesures est révolu. La situation invite à penser global et intelligent. L'heure est aux méthodes modernes de gestion des déchets, seule solution pour faire face à des volumes d'ordures qui croissent en même temps que la démographie. Dès 2001, l'Etat, à travers son Plan national de gestion des déchets dénommé Progdem, s'est inscrit dans cette optique, mais force est de constater que la faillite de sa stratégie est quasi-totale. L'ambitieux plan national de gestion des déchets, qui prend racine de la loi de 2001 portant sur la gestion des déchets, n'a pas donné le fruit escompté. Irréprochable en théorie, sa pratique sur le terrain rencontre des difficultés insurmontables.
Stratégie intégrée Ce programme a comme but, en théorie, d'instaurer une gestion intégrée des déchets, de manière à mettre à contribution les citoyens, les collectivités locales, les opérateurs privés pour la sous-traitance de certains services, les directions de l'environnement, etc. Sur le plan technique, le programme consiste notamment à l'implantation de Centres d'enfouissement technique (CET) dont la réalisation échoit aux directions de l'environnement, et l'acquisition de matériel de collecte. Une fois implantés, la gestion des CET est confiée à des Epic de wilaya rattachés au ministère de l'Intérieur. Les collectivités locales sont appelées, quant à elles, à mieux gérer le ramassage et le transport des ordures, tandis que devait être lancé le tri à la source. 16 ans après, les dispositions du Progdem peinent à se concrétiser. Si le tri sélectif est quasi inexistant, de toute évidence, les APC auxquelles est dévolu l'enlèvement et le transport des ordures ont montré leurs limites en la matière et le font savoir. C'est le cas de Toudja, dont le P/APC est monté récemment au créneau pour admettre l'incapacité de ses services à affronter l'amoncellement des ordures dans sa circonscription. «Toutes les APC se plaignent du manque de moyens matériels et humains permettant le ramassage et le transport des ordures», confie le directeur de l'environnement de Béjaïa, Habet Delmy Halim. Pour ce qui est des CET, aucun n'a pu être installé dans la wilaya pour cause d'oppositions citoyennes, comme c'est le cas de celui de Oued Ghir ou comme il est de vigueur depuis l'année 2014, à cause de l'austérité budgétaire prônée l'Etat ayant conduit au gel de plusieurs projets structurants pour la wilaya, dont les CET.
Faillite «Le problème à Béjaïa est que nous avons un seul CET réalisé mais qui est bloqué à cause des oppositions. Si on avait réalisé les CET inscrits à temps, on serait plus avancés aujourd'hui en matière de gestion des déchets», regrette Habet Delmy Halim. Qu'en est-il de l'intégration des privés dans le circuit de gestion des déchets ? Béjaïa n'en est pas mieux lotie puisque, selon la direction de l'environnement, il n'y a aucune installation privée opérationnelle dans la wilaya. Deux projets sont toutefois en cours, dont un a reçu toutes les autorisations, indique le directeur de l'environnement. Celui-ci affirme à ce propos : «Nous faisons tout pour rendre Béjaïa attractive pour les investisseurs privés.» Mais pour l'instant, les porteurs de projets environnementaux ne se bousculent pas au portillon. «Il y a de l'intérêt pour la wilaya mais pas une réelle dynamique», regrette le responsable. Issad Rebrab, le PDG de Cevital, avait ,il y a quelques mois, déclaré dans deux conférences à Akbou et Béjaïa, qu'il était prêt à mettre 100 milliards de centimes sur la table pour la réalisation d'une déchèterie. A notre question de savoir si un dossier a été déposé dans ce sens par le groupe agroalimentaire, le directeur de l'environnement répond par la négative. Il en est de même, selon le directeur, pour le controversé projet de dépollution de l'association des entrepreneurs franco-algériens Club 92 dont rien de concret n'est mis en marche pour le moment. Estimant que «le problème de la pollution n'est pas que l'affaire de la direction de l'environnement», M. Habet Delmy est de ceux qui voient le salut dans l'implication des privés. «Il n'y a pas de solution sans la valorisation des déchets par les privés», soutient-il. Mais faudrait-il, conditionne-t-il, qu'il y ait des avantages incitatifs pour attirer les porteurs de projets et les possesseurs de fonds à investir dans le créneau des ordures.