Lors du dernier Conseil des ministres (mercredi 6 septembre), il a été décidé d'amender la loi sur la monnaie et le crédit pour faire en sorte que la Banque d'Algérie puisse «prêter directement au Trésor public, afin de permettre à ce dernier de financer les déficits du budget de l'Etat, financer la dette publique interne, et d'allouer des ressources au Fonds national de l'investissement (communiqué de la Présidence sanctionnant la réunion du Conseil des ministres)». Il a été question de l'introduction dans la loi de nouveaux instruments de financement interne de l'économie, dits financement interne non conventionnel, pour une période transitoire de 5 ans. Quelle signification donner à cet amendement de la loi et quel sera son impact à terme au double plan économique et politique ? La loi sur la monnaie et le crédit a été faite par le gouvernement Hamrouche en 1992 quand il a engagé la politique de libéralisation économique du pays. Elle avait pour fonction de débureaucratiser la Banque centrale et de la libérer de l'Exécutif et des injonctions du politique dans une Algérie qui a vécu plus de 20 ans dans une sorte de capitalisme d'Etat paré d'une enveloppe socialisante, où le pouvoir politique décidait centralement, et sans aucun contrôle, du sort des finances publiques alimentées par la rente pétrolière. La Banque centrale algérienne devait revenir à une orthodoxie financière et économique dont les règles sont établies par les institutions financières internationales sous pression de la finance mondiale qui pilote la mondialisation d'aujourd'hui. Cette démarche devait atténuer les manipulations politiques des finances publiques et surtout limiter les mécanismes insidieux de détournement de l'argent public par des forces économiques et sociales, pas toujours visibles. Cette loi a perdu ses «qualités» depuis longtemps du fait que la banque centrale ne s'est pas autonomisée des décideurs politiques comme elle n'a pas pu empêcher le détournement privatif de ressources financières publiques massives au profit de «nouveaux riches» identifiés comme les nouveaux oligarques (référence à la bourgeoisie arriviste russe qui s'est enrichie à la faveur de la transition à l'économie de marché menée à pas forcés par l'alcoolique Eltsine). Donc, l'amendement de cette loi par le gouvernement n'est pas une nouveauté. Il est l'expression d'une Banque centrale privatisée par l'Etat, lui-même privatisé par un clan porté par une bourgeoisie algérienne arriviste et prédatrice aux contours économiques et sociologiques encore très flous. La nouveauté d'Ouyahia est de se ramener avec un amendement «assassin» qui, dans ce contexte de fragilisation interne et externe de l'économie algérienne et d'une gouvernance politique aléatoire, peut engager l'économie dans des incertitudes insoutenables pour le pays et sa population. L'amendement de la loi se résume clairement à autoriser l'Exécutif à fabriquer de la monnaie administrativement et non par une dynamique de production et de croissance qui crée des richesses et de la valeur équivalente à la monnaie émise. La crise de liquidités étant de plus en plus structurelle, l'Exécutif se trouve confronté à une pénurie d'argent public pour alimenter le budget de fonctionnement et payer les fonctionnaires, mais aussi une pénurie qui impacte négativement les projets d'équipement. Sachant que l'essentiel des entreprises privées vivent des marchés publics et se font rémunérer par l'argent de l'Etat, sachant aussi que les entreprises publiques se retrouveront avec des ressources diminuées et des dotations de l'Etat revues largement à la baisse, sans oublier une dévalorisation presque exponentielle du dinar et une inflation potentiellement forte, nous entrerons dans une courbe de crises successives touchant l'investissement, les salaires, l'emploi et le pouvoir d'achat. Ce scénario sombre est une possibilité réelle mais tempéré par des redevances pétrolières encore importantes tant qu'elles ne descendent pas trop au-dessous des 50 dollars. Ouyahia est le joker choisi par le clan hégémonique au pouvoir pour empêcher un scénario noir plus proche du syndrome vénézuélien (au niveau économique, s'entend car la situation politique n'est pas de même nature) que de la classique crise de 1929 et son fameux «jeudi noir». La planche à billets sollicitée pour 5 ans par le plan d'action du gouvernement n'est pas en soi une tragédie. Ce n'est qu'un outil utilisable par les politiques keynésiennes, par des Banques centrales de pays développés pour relancer une croissance en crise ou par des pays sous-développés en manque de ressources financières. Sa fonction est multiple, en particulier relancer la consommation pour re-stimuler l'investissement, développer la production et enclencher l'emploi. En gros, rétablir un circuit économique paralysé conjoncturellement. La planche à billets n'est pas «l'arme de destruction massive» pour reprendre la formule de l'ex-ministre du Trésor, aujourd'hui versé dans le monde de la finance internationale. Celui-ci exprime très bien les règles configurées par le BCE, la Fed, le FMI et la BIRD, institutions en phase avec les marchés financiers et leurs acteurs : orthodoxie monétaire et budgétaire, libéralisation totale des flux financiers et de capitaux, réduction des fonctions de souveraineté des Banques centrales, etc. L'arme de destruction massive, c'est cette politique de libéralisation débridée de l'économie algérienne, entamée dès les années 1990 et amplifiée sous le règne de Bouteflika, qui a permis des privatisations insensées, une désindustrialisation tous azimuts, une dévaluation continue du dinar, une financiarisation de l'économie selon des règles d'extraversion de l'économie dictées par le FMI et son plan d'ajustement structurel et l'entame d'une politique anti-sociale qui installe la flexibilité du travail, réforme le système des retraites et celui de la sécurité sociale. Avec la manne pétrolière, Bouteflika y a ajouté la politique de distribution la plus inégalitaire qu'a vécue le pays en permettant au privé oligarque de squatter les marchés publics et de pomper l'argent de l'Etat, en permettant des transferts financiers substantiels aux firmes étrangères sous forme de profits et de dividendes financiers, en favorisant la reconversion, versus réconciliation nationale, dans le commerce intérieur et d'importation des responsables directs de la décennie noire et leurs subalternes et en développement la corruption à l'échelle de masse (couches moyennes, bourgeoisie commerçante et bourgeoisie relais de la mondialisation). En parallèle à la décision de recours à la planche à billets, il a été aussi question lors du dernier Conseil du gouvernement de la mise en œuvre d'un «programme de réformes structurelles économiques et financières destinées à rétablir l'équilibre des finances publiques ainsi que l'équilibre de la balance des paiements». Le gouvernement n'est-il pas en train de reprendre à son compte le bréviaire cher aux institutions financières internationales ? Autrement dit, l'Algérie n'est-elle pas en train d'anticiper sur les injonctions et desiderata du FMI et BM… de faire dans «l'ajustement structurel» avant l'heure ? La planche à billets, un faux débat dans la mesure où cela occulte le vrai débat, celui qui détermine les choix économiques stratégiques de notre pays, soit la nature politique et sociale de la politique de développement à mettre en place d'ici 2030, échéancier du plan d'action ! En fait, on nous branche sur un débat techniciste zappant l'enjeu premier qui est «le modèle économique» enfanté par les conseillers de Sellal, repris par le plan d'action d'Ouyahia et avalisé dans l'indifférence générale. Au fond, le plan d'action d'Ouyahia est un nouveau plan d'ajustement structurel qui a la particularité de légitimer les options retenues par l'impératif sécuritaire au sens où les inquiétudes liées à la géostratégie régionale se conjuguent avec celles d'un tsunami social. Ce plan cherche à «améliorer le climat des affaires» et rétablir la courbe de la croissance ! Derrière ces généralités affirmées depuis longtemps, Ouyahia a pour mission de «casser» l'Etat social ! Bien qu'empreint de populisme, cet «Etat social» recouvre des acquis sociaux largement érodés par les mécanismes du marché. Attaquer les transferts sociaux, la politique de subventions, le système de retraites (sans toucher à celui de la nomenklatura) et lâcher le système de protection sociale, est un risque majeur de paupérisation ! En plus, le plan d'action a une odeur d'autoritarisme bien singulière ! Les ingrédients sont là, mais les mesures d'Ouyahia, et à travers lui les décideurs politiques peuvent accélérer une rupture incontrôlée qui peut emporter l'hégémonie d'un clan et nourrir les velléités d'une élite politique en jachère ! La planche à billets est une sorte d'anticipation à ce scénario «déstabilisateur» ! Il est clair que l'utilisation de la planche à billets dans un contexte de luttes politiques très opaques et de libéral-oligarchisation économique favorisera potentiellement toutes les dérives, surtout que la gouvernance démocratique est encore une utopie en Algérie. La parenthèse courte de Tebboune vite refermée, le nouveau gouvernement Ouyahia ne cherchera pas l'argent qui lui manque là il se trouve, soit dans le tiroirs-caisses des oligarques, les comptes des sociétés offshore de hauts responsables algériens, la centaine de milliards de dollars d'impôts non recouvrés, de surfacturations et des crédits non remboursés, etc., mais dans les poches de l'Algérien lambda taxé, lui, à la source. Dans son plan d'action, Ouyahia annonce entre autres la «réforme de la politique de subvention» et un train de mesures d'austérité touchant plusieurs secteurs de la dépense publique, avec des coupes sévères dans le budget social de l'Etat et la réduction drastique des transferts sociaux. Ces choix sont-ils aussi indispensables que le gouvernement veut bien les présenter ? L'Algérie a la possibilité de faire d'autres choix. Contrôler démocratiquement et de façon transparente les ressources financières du pays, débattre des comptes publics dans les institutions de représentation politique et sociale, privilégier l'impôt sur les fortunes et un système fiscal criminalisant la fraude et une fiscalité généralisée aux capitaux informels, une réindustrialisation par la substitution d'importation et une réactivation d'une industrie manufacturière y compris par la renationalisation d'entreprises privatisées, aujourd'hui à l'abandon, un recentrage des capitaux des firmes étrangères sur des activités de partage technologique et financier, une mise au travail de la population active jeune sur des grands projets (agriculture, tourisme, services technologiques,…). Un échantillon de mesures qui n'ont de sens que si la gouvernance politique change de main et que les forces actives de la société sont impliquées de façon démocratique ! Sans débat et sans participation de la société, à travers ses mouvements sociaux, son élite marginalisée et des acteurs économiques industrialistes et technologiques et loin d'une représentation parlementaire alibi, le devenir économique et social de notre Algérie reste bien hypothétique !