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Hadi Al Amiri, président de l'organisation BADR (Irak) : « Nous devons tout faire pour éviter l'enlisement »
Publié dans El Watan le 24 - 09 - 2017

En 2014, Hadi Al Amiri alors ministre irakien des Transports a endossé le treillis militaire pour se joindre aux forces irakiennes et combattre Daech. Dans cet entretien, il nous livre sa crainte de voir son pays « exsangue » sombrer dans la guerre civile si le référendum décidé par Barzani est maintenu. Il revient sur « l'Après-Daech » et rappelle à ce propos que 30 mille enfants nés de viols et de mariages de jouissance en Irak et en Syrie ne sont toujours pas inscrits sur le fichier d'état civil.

Que pensez-vous du référendum qui doit se tenir demain au Kurdistan ? Directement concernée par la question d'indépendance du Kurdistan, la Turquie voisine, a-t-elle exercé des pressions pour empêcher sa tenue ?
Nous pensions que la Turquie serait le premier pays à exercer une pression sur le gouvernement régional du Kurdistan même si les échanges commerciaux entre les deux, Câd le Kurdistan et la Turquie sont importants et que l'indépendance du Kurdistan profiterait aux Turcs. Bien qu' Erdogan ait, dans une déclaration officielle, fait part de son refus de soutenir l'idée d'un référendum, selon les informations qui me sont parvenues de mes amis Kurdes, les deux pays qui s'opposent fermement au référendum sont les Etats-Unis et l'Iran.
Les Turcs pour leur part, attendent que l'Irak durcisse sa position. Il faut savoir que la tenue de ces élections signifierait d'une part la cessation des échanges commerciaux avec l'Irak, d'autre part, l'indépendance du Kurdistan ne sera pas sans conséquences sur la Turquie et ne laissera pas indifférents les Kurdes de Turquie majoritaires dans la région. En effet, leur nombre dépasse les 20 millions alors qu'ils sont moins nombreux en Syrie et en Iran, on estime leur nombre en Irak entre 4 et 5 millions. Je me rappelle de la réponse qu'avait donnée Camille Chamoune, Ex- Président de la République du Liban quant à une éventuelle division du pays du Cèdre, dans les années quatre-vingt, il avait répondu que le Liban ne sera divisé que lorsque le plus grand pays (Akbar baled) qui est l'Irak le sera.
La partition de l'Irak est la clé pour reconfigurer toute la région. Si l'Irak est partagé, il s'en suivra sans nul doute la partition de l'Arabie saoudite ! J'ajouterai que si les Irakiens sont dans leur majorité contre l'indépendance du Kurdistan, notamment en cette conjoncture difficile, les politiques mettent de l'huile sur le feu. Aucun parti, qu'il soit chiite ou sunnite, n'est aujourd'hui indifférent face au risque de démantèlement de l'Irak.

La bataille de Hawija qui est le dernier bastion des terroristes de Daech a commencé, le Hachd (mobilisation populaire) et les forces armées irakiennes combinées ont reconquis des villes stratégiques.. Mais alors que vous êtes au bout du tunnel, il est déjà question de l'indépendance du Kurdistan et du référendum qui doit se tenir ces jours-ci et que vous juger inopportun. Menace-t-il selon vous l'unité nationale ?
Je ne vous cache pas que ma crainte est de voir le pays démantelé. Personne ne souhaite que son pays le soit. La stabilité de l'Irak est aujourd'hui menacée. Or, notre plus grande peur est de glisser vers la guerre civile, l'expérience yougoslave est éloquente. Pas plus tard qu'hier je discutais avec un haut responsable yougoslave qui m'a raconté qu'avant l'effondrement de son pays, les dirigeants et les responsables de partis excluaient de fait l'idée d'un conflit armé. Au final, la guerre a eu lieu et a fait des milliers de victimes… Qu'on se batte contre Daech ou contre un envahisseur, c'est logique mais nous battre contre nos frères Kurdes, c'est tout simplement inacceptable.
Le problème qui se pose aujourd'hui est qu'il n'y a aucune coordination entre le gouvernement fédéral et les dirigeants kurdes. En 2010, Massoud Al Barzani, le Chef du Parti démocratique du Kurdistan d'Irak a dans l'un de ses discours souligné que ni lui ni Jalal Talabani (Chef de l'Union patriotique du Kurdistan) n'étaient à l'origine du conflit survenu dans les années 90 entre les deux factions kurdes, conflit qui a fait plus de 3500 morts. Il a décliné toute responsabilité, précisant que lui et Talabani ont été dépassés par les événements et qu'ils se sont retrouvés au cœur d'un conflit non prémédité.
Lors d'une récente rencontre à Baghdad, j'ai demandé aux membres de la délégation Kurde : « Qu'est ce qui garantit que cette fois les mêmes conditions qui vous ont conduits à la guerre ne seraient pas de nouveau réunies ? » On m'a répondu : « aucune ! ». A leur place, je serais prêt à dissoudre mon parti pour préserver l'unité de l'Irak et éviter l'effusion de sang ! C'est pourquoi, je pense qu'il est impératif de déployer tous les efforts et moyens possibles pour empêcher la tenue de ce référendum.
Il faut privilégier le dialogue avec le gouvernement central et reporter ce scrutin. Les dissensions qui existent entre Jalal Talabani lequel s'oppose à ce référendum et Al Barzani les mèneront droit vers la guerre qui les opposera d'abord et nous entrainera ensuite.

Daech a subi de lourdes pertes en Irak et en Syrie, sa fin est proche mais selon vous, Daech constituera-il encore longtemps une menace ?
Daech que j'ai personnellement combattu possède, en termes de munitions, l'équivalent d'une ville. Ils ont une organisation spécifique. Si nous oublions de contrôler un village libéré, ils tentent de le reprendre pour se réorganiser. Les américains parlent des « alone wolf » que j'appellerai « alone dogs », c'est-à-dire que même dispersés, ils peuvent toujours se redéployer. Pour parer à cette éventualité, en 2014 déjà j'avais fait part de la nécessité de ratisser en permanence et sans relâche les zones libérées.
Et à chaque fois, nous retrouvions en effet des terroristes embusqués. Tous les ambassadeurs européens que j'ai eu à rencontrer ont reconnu avoir des terroristes (parmi leurs ressortissants, ndlr) en Syrie et en Irak. Néanmoins, Daech tentera très certainement de se redéployer notamment dans les pays du Maghreb. Il est affaibli, certes, mais la menace est réelle. Il faut savoir que Daech n'a plus besoin de TNT, etc. ou de gros moyens pour fabriquer des bombes, il recourt désormais aux engrais chimiques. Sa capacité de nuisance n'est pas pour autant annihilée.
Je vais vous raconter une anecdote, l'an dernier au mois d'août, nous nous apprêtions à lancer une bataille dans une région appelée Jazirat Al Khalidiya. Les forces de sécurité avaient avancé le chiffre de 50 terroristes actifs, les autochtones ont quant à eux parlé de 500 terroristes. Nous avons nettoyé toute la région, il ne restait plus qu'un village dont la superficie ne dépasse pas 1 kilomètre carré. Nous pensions en finir le lendemain : la bataille a duré 25 jours.
Nous avions proposé aux terroristes étrangers, au nombre de 270 de se rendre, en vain. Comme les civils avaient fui, nous avions pu évoluer facilement. A la fin de la bataille, nous avons recensé 650 terroristes tués, il y avait même des chinois parmi eux !!

Combien va encore durer la guerre contre Daech, est-ce une question de jours, de mois ?
Sur le plan militaire, je pense que la guerre contre Daech devrait prendre fin d'ici la fin de l'année. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura plus de cellules dormantes et plus d'attentats. Mais l'urgence est de sensibiliser les jeunes, c'est le rôle des médias, des penseurs et des universités notamment dans les pays musulmans pour contrer l'extrémisme. L'attrait des jeunes pour les armes est indéniable et grandissant. Il faut être très vigilant.
Par ailleurs, il reste à Hawija et ses alentours autour de 200 terroristes (étrangers et locaux). La première bataille devrait être de courte durée, si Dieu veut, nous la mèneront aux côtés de l'armée, de la police et des autres forces paramilitaires. Elle aura lieu en deux temps. La deuxième se déroulera pas loin de la frontière syrienne. Cette zone est sensible du fait qu'elle permet le déplacement des terroristes entre la Syrie et l'Irak, c'est pourquoi nous avons convenu avec les forces syriennes de mutualiser nos efforts pour mener une opération conjointe. Les syriens auront à combattre Daech entre Deir Ezzor et Boukamel et nous les persécuteront entre Kama, Rawa et la frontière.
Il faut savoir qu'aujourd'hui les forces irakiennes et syriennes sont rompues à la guerre urbaine. Ce qui s'est passé ne se reproduira plus. Aujourd'hui aussi le Hachd est présent partout, il existe une grande entente et une coordination sans faille avec l'armée, la police irakiennes et la lutte contre le terrorisme. Le Hachd est partie intégrante de l'institution sécuritaire irakienne. Il regroupe des militants chiite, sunnite, des Chrétiens et des Peshmerga.
Le Conseil des ministres a à juste titre voté en faveur de son maintien, d'autant que l'armée reconnaît en le Hachd un soutien indéniable. Personnellement, moi qui suis un homme d'Etat, je suis soucieux du respect de la Constitution et je suis contre les milices. Nos armes, nos salaires, tout nous est fourni par l'Etat irakien. Nous devons placer l'Irak au dessus de nos différences et de nos divergences.


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