Organisées à l'appel de l'initiative citoyenne, «Parlem ? Hablemos ?» (On se parle?, en catalan et en espagnol), ces manifestations interviennent alors que les séparatistes envisagent de déclarer l'indépendance unilatérale de leur région dans les prochains jours. Entre-temps, une autre marche, «patriotique», rassemblait à la même heure, dans le centre de Madrid, des milliers de personnes pour «défendre l'unité de l'Espagne». Une autre manifestation «pour retrouver la sagesse » est prévue aujourd'hui à Barcelone. L'écrivain Mario Vargas Llosa, prix Nobel de littérature de nationalités péruvienne et espagnole, qui a qualifié l'indépendantisme catalan de «maladie», y sera présent. Des signes d'apaisement sont apparus récemment. Le préfet, principal représentant de l'Etat en Catalogne, a pour la première fois présenté des excuses au nom des forces de l'ordre, vendredi, pour les violences policières qui ont émaillé le référendum interdit de dimanche, faisant au moins 92 blessés et scandalisant l'opinion. De son côté, le président catalan, Carles Puigdemont, a annoncé qu'il repoussait son intervention devant le Parlement catalan, prévue demain. Les séparatistes envisageaient d'y prononcer une déclaration d'indépendance unilatérale. La nouvelle séance est prévue mardi, l'ordre du jour porte sur la «situation politique». La loi sur le référendum d'autodétermination adoptée le 6 septembre par le Parlement catalan, où les séparatistes sont majoritaires, prévoit que la victoire du «oui» entraîne «l'indépendance de la Catalogne». Selon les résultats définitifs de la consultation publiés vendredi, le «oui» l'a emporté à 90,18% avec un taux de participation de 43,03%. Mercredi, à l'appel des principaux syndicats de la région catalane, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté à Barcelone en marge d'une grève générale. Cette mobilisation populaire vise à dénoncer les violences policières qui ont marqué l'organisation du référendum.
De Charybde en Scylla Il y a eu la réconciliation entre Paris et Madrid lors du traité des Pyrénées (1659), la guerre de Succession d'Espagne (1701–1714), l'éphémère République catalane proclamée en 1934. Au début du XXe siècle, la Catalogne, devenue la grande région industrielle d'Espagne, constitue le berceau des luttes politiques et ouvrières. Elle subit la répression policière de la monarchie. En 1932, sous la Seconde République, le Parlement espagnol vote un statut d'autonomie pour la région. Le castillan et le catalan sont placés à égalité comme langues officielles. La guerre civile (1936-1939) se solde par la défaite républicaine et la victoire du général Franco. Le castillan est devenu obligatoire, et la langue catalane est interdite. Le 20 novembre 1975, c'est la chute du régime du dictateur, le nouveau roi d'Espagne, Juan Carlos, désigné par le Caudillo, fait passer en quelques mois le pays dans le camp des démocraties. Le gouvernement régional de Catalogne est rétabli provisoirement en 1977. La Constitution démocratique de 1978 fait de l'Espagne un pays composé de dix-sept communautés autonomes. Trois d'entre elles ont un statut particulier : le Pays basque, la Galice et la Catalogne. Celle-ci obtient un nouveau statut d'autonomie régionale. Ce statut lui confère notamment des compétences en matière d'éducation, de santé ou encore de politique linguistique et permet de créer une police autonome. En mars 2006, un vote au Parlement espagnol, qui définit la région comme une «nation» dans l'Etat espagnol, vient conforter l'autonomie de la Catalogne. Avec ce nouveau statut plus avantageux, approuvé par la population, les Catalans disposent officiellement d'un drapeau national, d'un hymne et de fêtes populaires. A ces symboles nationaux, s'ajoute l'usage de la langue catalane qui devient un droit et un devoir en Catalogne. Après la victoire du Parti populaire (PP) de José María Aznar en 2000, les relations avec Madrid se durcissent. Pour les Catalans, le chef du gouvernement incarne par sa politique affirmant le nationalisme espagnol. Les élites politiques locales dénoncent les limites de la Constitution de 1978 et proposent un nouveau statut pour la Catalogne : l'Estatut. Ce texte reprend des revendications exprimées par Jordi Pujol, président emblématique de la Generalitat de 1980 à 2003. Il prévoit notamment la fin de la solidarité fiscale à l'égard du pouvoir central, qui pénaliserait l'économie catalane. Le PP de Mariano Rajoy, alors dans l'opposition, conteste le nouveau statut devant la Cour constitutionnelle. Ce dernier le qualifie d'«antichambre du démembrement de l'Espagne». En juin 2010, la Cour constitutionnelle annule une partie du statut catalan. Elle conclut que la référence à la Catalogne comme «nation» n'a «aucune valeur juridique». Elle rejette l'usage du catalan comme langue «préférentielle» dans les administrations et les médias. Le mois suivant, des centaines de milliers de Catalans manifestent aux cris de : «Nous sommes une nation, nous décidons.» Le chef du gouvernement Mariano Rajoy refuse de négocier avec le président catalan, Artur Mas, une plus grande autonomie budgétaire de la Catalogne, souhaitant le même cadre fiscal que le Pays basque et la Navarre qui gèrent entièrement leurs impôts. Ce dernier remporte ensuite les élections régionales anticipées de novembre en promettant un référendum d'autodétermination. Le 9 novembre 2014, la Catalogne organise une consultation symbolique, déclarée anticonstitutionnelle. Le taux de participation est d'environ 35%. Près de 80% des votants, soit 1,8 million de Catalans, se prononcent pour l'indépendance. Un an après, le Parlement catalan adopte une résolution déclarant le lancement d'un processus devant aboutir à la création d'«un Etat catalan indépendant prenant la forme d'une république» au plus tard en 2017. La Cour constitutionnelle l'annulera. En janvier 2016, Carles Puigdemont devient président de la région et annonce la tenue d'un référendum d'autodétermination le 1er octobre 2017 en dépit de son interdiction, posant la question : «Voulez-vous que la Catalogne soit un Etat indépendant sous forme de république?» En cas de victoire du «oui», et si le taux de participation n'est pas «ridicule», selon lui, la région amorcera la «déconnexion» avec l'Espagne. Madrid assure que le référendum ne se tiendra pas. Le 6 septembre dernier le Parlement régional adopte la loi organisant le référendum et Puigdemont le convoque, pour le 1er octobre. Les jours suivants sont marqués par des tensions. En effet, la Cour constitutionnelle accepte la demande du gouvernement de «suspendre» la loi, le parquet catalan ordonne à la police d'empêcher le référendum en saisissant urnes, bulletins, propagande électorale et le parquet général menace d'arrestation les maires disposés à organiser le référendum. Les forces de l'ordre multiplient les perquisitions et saisies de matériel électoral en Catalogne. Le 20 septembre, 14 hauts responsables catalans sont arrêtés, des millions de bulletins de vote saisis, ce qui déclenche des manifestations spontanées de plusieurs milliers de Catalans. Une autre pierre dans le jardin de l'Europe Une «République catalane» serait en effet automatiquement exclue de l'Union européenne (UE). D'où les appels à une médiation internationale pour sortir de la crise, lancés par C. Puigdemont et le président de l'association indépendantiste, Omnium Jordi Cuixart. «Nous savons et nous sommes convaincus que, sans reconnaissance internationale, ce que nous accomplissons va faire long feu», a observé hier J. Cuixart sur une radio catalane. Les tensions et la perspective d'une Catalogne indépendante effrayent les milieux économiques. Plusieurs entreprises, dont les banques centenaires CaixaBank et Banco de Sabadell, ont déjà décidé de transférer leurs sièges sociaux hors de Catalogne. Le responsable des Entreprises au sein du gouvernement catalan, Santi Vila, a réclamé un «cessez-le-feu». «Cela signifie que dans les prochaines heures et jours, nous ne prenions pas des décisions qui pourraient être irréparables», a-t-il indiqué. L'UE a survécu à la crise bancaire mondiale de 2007, puis aux crises de la dette qui ont failli voir la Grèce quitter la zone euro en 2015. Elle ne s'est pas encore tout à fait remise de la profonde crise de solidarité européenne apparue avec la crise migratoire. Comme elle mène des négociations complexes avec le Royaume-Uni en vue de sa sortie de l'UE en 2019. Mais l'UE, dirigée par ses 28 Etats membres, est tenue de respecter la Constitution de chacun de ses pays. Le référendum d'indépendance écossais en 2014 qui s'est soldé par 55% de «non» a été organisé avec l'aval de Londres. Aux yeux des indépendantistes catalans, Bruxelles n'en a pas moins perdu sa «crédibilité». Ils reprochent à la Commission d'avoir engagé un bras de fer avec la Pologne sur l'Etat droit, d'abandonner la Catalogne dont «les droits fondamentaux, notamment le droit d'expression» auraient été bafoués. Elle a demandé lundi au gouvernement espagnol de dialoguer avec l'Exécutif catalan, qui menace de faire une déclaration unilatérale dans les prochains jours, faute de négociations. «Personne en Europe ne peut demander au gouvernement de dialoguer sans respecter la Constitution», a déclaré le porte-parole du gouvernement espagnol, Inigo Mendez de Vigo. Et d'ajouter : «Personne dans l'UE n'a accepté cette consultation qui s'est déroulée dimanche, parce qu'ils savaient qu'elle allait contre la Constitution et les lois.» De son côté, Madrid invoque régulièrement l'article 4.2 du traité sur l'UE, qui stipule que l'Union doit respecter «l'intégrité territoriale de ses membres».