– Que représente le projet CapDel pour l'Union européenne et la coopération avec l'Algérie ? Nous misons beaucoup sur le projet CapDel, tout comme sur d'autres programmes qui visent également l'appui à la gouvernance locale, la démocratie participative et le développement économique. L'économie algérienne fait face aujourd'hui à des défis et l'Union européenne a répondu présent, aux côtés du gouvernement algérien pour l'appuyer dans les réformes entreprises. Nous pensons que cela passera dans une grande mesure par la dynamisation des communautés «locales», qu'il s'agisse des communes ou des wilayas, en les aidant à prendre en charge leur propre développement. L'expérience européenne est très forte en la matière : nous avons constaté que ce n'est pas toujours au niveau central que les meilleures décisions sur les investissements sont prises. Plus la décision est proche des citoyens où l'activité économique se déroule, mieux elle est prise et suivie. Le programme CapDel répond tout à fait à cette démarche. Il va sans dire que des réformes sont aussi à mener au niveau central afin d'appuyer la diversification de l'économie et la modernisation de l'administration afin qu'elle réponde mieux aux attentes des citoyens, et nous ne sommes pas absents de ces chantiers-là non plus. Il reste que nous avons en tant qu'Européens une expérience très positive de la dynamisation territoriale et sommes ravis de pouvoir la partager avec nos partenaires algériens. – Autrement dit, il serait utile de se départir du jacobinisme qui a montré ses limites ? A mon avis, il est essentiel de donner une marge de décision au niveau local. Il s'agit de définir de façon appropriée quelles sont les décisions qui peuvent de manière efficace et bénéfique être prises au niveau local et quelles sont celles qui doivent être guidées par le centre. Il n'existe pas de règle générale dans ce domaine, à chaque Etat de décider dans quelle mesure il veut décentraliser certaines décisions. Lorsque l'on veut faire des investissements structurants, un réseau autoroutier par exemple, la décision est souvent mieux prise au centre. D'autres types d'investissements sont au contraire mieux définis au niveau local, et parfois à un niveau intermédiaire. – Quelle évaluation faites-vous de la coopération entre l'UE et l'Algérie, notamment dans le cadre de la politique de bon voisinage ? Nous sommes satisfaits de la dynamique qui s'est installée depuis quelques années pour mieux prendre en compte les besoins et les priorités des deux parties, une démarche vers un partenariat à la fois plus complet et plus équilibré. Evidemment, lorsque l'on vient aux détails, il est toujours nécessaire de dialoguer. Nous avons des différends commerciaux, nous avons peut-être des différences d'approches dans la sphère économique, nous avons aussi des perspectives différentes sur le phénomène migratoire, mais tout ceci, je pense, nous pousse à plus de dialogue pour une meilleure compréhension des enjeux pour les uns et les autres et une réponse mieux concertée aux défis que nous rencontrons. Si l'Accord d'association qui nous guide comporte un élément commercial très important, ce ne sont pas les questions commerciales qui font le socle de nos relations. Le monde est en pleine mutation, les questions migratoires, de sécurité et de coopération politique sont au plus haut point importantes. De surcroît, il serait insensé de chercher à obtenir le maximum de bénéfices sur le plan commercial si c'est au dépend de la bonne santé de l'économie algérienne. Ce n'est qu'avec un partenaire dont l'économie se porte bien que l'on peut avoir des relations commerciales saines et durables. – En tant que partenaire de l'Algérie, comment percevez-vous ces changements successifs des équipes gouvernementales ? Nous respectons la souveraineté algérienne et son ordre constitutionnel. Nous n'avons pas à apporter de commentaire. Ce qui nous importe, c'est la continuité de notre dialogue et de notre coopération et je n'ai pas constaté que les gouvernements successifs algériens aient remis en cause cette orientation principale et structurante. L'Algérie est bien consciente du défi de s'affranchir de la dépendance aux hydrocarbures, et nous sommes là pour accompagner les démarches qui seront entreprises dans cette direction du mieux que nous pouvons. – L'Union européenne avait fortement critiqué les mesures liées à l'instauration des licences d'importation. Est-ce que tout est rentré dans l'ordre aujourd'hui ? Je ne peux pas dire que tout est rentré dans l'ordre parce que je ne connais pas encore dans le détail la politique qui sera menée, les modalités de sa mise en œuvre, et nos opérateurs économiques ne savent toujours pas comment ils devront se positionner sur le marché algérien. En effet, il y a eu des situations où nous avons appris par voie de presse certains développements qui touchaient justement au régime des licences d'importation. C'est pourquoi nous voudrions obtenir plus de lisibilité et de transparence par la voie du dialogue. L'Algérie est un pays souverain, et notre intention en entrant dans le dialogue n'est pas de lui forcer la main. Mais nous avons notre expérience à faire valoir pour avertir de certains écueils à éviter, pour proposer des approches alternatives. – Pensez-vous que c'est un partenaire méfiant ? Si méfiance il y a, il faudrait évidemment s'interroger quant aux raisons pour lesquelles cette méfiance s'est installée. Cependant, je crois que le plus important aujourd'hui est de se projeter en avant, en cherchant ce qu'il faudrait faire ensemble pour affronter les défis communs. – Assainir le climat des affaires en serait un premier pas ? Le climat des affaires est très important car pour diversifier l'économie, il faut attirer des investissements algériens et étrangers. Les investissements étrangers ont parfois une certaine plus-value à apporter (eg., le transfert de technologie), mais pour les attirer, il faut faire face à une concurrence mondiale : le secteur privé décide de son propre chef où il va investir. Les investisseurs ont également différents calculs et différents appétits pour le risque, différentes stratégies ; à chaque pays de décider quel type d'investisseur il veut attirer. – Vous avez évoqué une divergence de vue dans la gestion de la question migratoire. Où se situe cette divergence ? Il n'y a pas nécessairement une divergence mais une différence de perspective. Nous (l'Europe) sommes depuis déjà quelques années une zone de destination de la migration, l'Algérie, et jusqu'à récemment, était un pays de transit (même si les flux migratoires traversant l'Algérie vers l'Europe restent très faibles). Aujourd'hui, cette distinction devient de plus en plus floue. Je crois que nous avons tout à gagner à discuter des questions migratoires et voir où sont les points communs et les possibilités de coopération. L'approche que nous prônons est celle de démanteler les réseaux de trafic humain qui opèrent au détriment de la sécurité des personnes qui entrent dans ces filières. Les problèmes de migration passent aussi par une bonne gestion des frontières, mais ne sont pas simplement réductibles à cette approche-là. Il faut également se pencher sur les phénomènes qui poussent les gens à la migration (la guerre, l'instabilité, la pauvreté…) et il ne faut pas voir la migration seulement comme un problème, ce qu'elle peut être si elle est incontrôlée. La migration peut être également une opportunité. Je crois que cette approche est largement partagée par l'Algérie.