A Paris, on croit à la passion pas au romantisme. Passion liée à une histoire particulière avec l'Algérie. Histoire chargée de dits et de non-dits. La récente reconnaissance par la France des crimes commis par l'armée coloniale en mai 1945 apparaît comme un pas important. On n'en est plus à « la pacification » qui, selon les historiens, a fait 45 000 morts. « L'envie de construire un espace paisible existe », nous déclare Hamlaoui Mekachera, ministre délégué aux Anciens combattants. Il n'y a plus de tabous à partir du moment qu'on est des amis (...) », ajoute-t-il. L'allusion est clairement faite au traité d'amitié que l'Algérie et la France vont signer au cours de cette année. Un traité qui ressemble, du moins dans sa philosophie, à celui signé à l'Elysée en 1963, consacrant la réconciliation franco-allemande après la Seconde Guerre mondiale. Sauf que l'Algérie n'a pas fait la guerre à la France. Les Algériens étaient obligés de s'armer et de lutter pour libérer leurs terres de l'occupation française. Cette différence est évoquée par Luis Martinez, chercheur au Centre d'études et de recherches internationales (CERI), qui estime nécessaire « le travail » de mémoire. Il ne croit pas à « l'amnésie mécanique » que peut déclencher un traité. Au ministère des Affaires étrangères, où les aspects techniques du traité d'amitié sont en préparation, on écarte l'idée de mentionner la question des harkis dans ce document. « Il faut travailler sur le passé, un travail de mémoire, pour mieux préparer à l'avenir », estime-t-on. « Le traité définira le cadre institutionnel des relations entre les deux pays », précise-t-on. L'importance de ce traité est souligné par cet universitaire qui travaille sur l'Algérie et la Libye depuis des années. « L'Algérie aura un pays partenaire ami en Europe et la France un pays partenaire ami dans le monde arabe », relève Luis Martinez. Au ministère des Affaires étrangères, le message est clair : le traité va rétablir « une confiance durable » entre les deux pays. Un responsable au Quai d'Orsay, au fait du dossier maghrébin, parle ouvertement de « relance spectaculaire » des relations entre Alger et Paris ces dernières années et de « l'intensification du dialogue politique à haut niveau ». Un argument : 6 visites présidentielles et 22 visites ministérielles entre les deux pays depuis 2000. Thierry Breton, ministre de l'Economie, successeur de Nicolas Sarkozy, viendra bientôt en Algérie. Les ministres de l'Education et de la Culture ont programmé des déplacements à Alger les prochains mois. On souligne que l'Algérie a bénéficié, en 2003, d'une aide au développement de 110 millions d'euros. On n'évite pas de souligner le processus engagé pour la conversion de la dette algérienne en investissements (un total de 287,8 millions d'euros). Et on n'omet pas de rappeler la signature, en juillet 2004, d'un aide-mémoire « sur le partenariat pour la croissance et le développement ». Ce document est porteur de dispositions devant faciliter « la présence économique française » en Algérie. Deux milliards d'euros sont prévus à cet effet. Bureaucratie Oui, mais où en sont les investissements directs (IDE) français en Algérie ? Yves-Thibault de Silguy, chargé du dossier Algérie au Mouvement des entreprises de France (Medef) et délégué général du groupe Suez, reconnaît la faiblesse des IDE. Parlant de la dernière « mission d'information » du Medef en Algérie, il évoque la présence de 150 entreprises dans la délégation. « Et on a refusé du monde », annonce-t-il. Pour 2005, Yves-Thibault de Silguy, ancien négociateur européen, est optimiste. « Il y aura plus d'opérations », dit-il. Il cite l'exemple de la chaîne Accor, intéressée par la construction d'une trentaine hôtels sous le label Ibis, et de Suez en discussion avec l'Algérienne des eaux (ADE) pour un contrat de management et de remise à niveau et pour « améliorer » la gestion de cette ressource au niveau de la capitale (nous y reviendrons dans notre prochain supplément économique). Selon le responsable du Medef, les blocages sérieux à l'investissement en Algérie se situent au niveau de l'administration « trop bureaucratique » et au niveau du système bancaire. Justement, la mauvaise réputation de ce système vaut à l'Algérie le classement parmi les pays à risque par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et par la Coface (filiale de Natexis Banques populaires et du Groupe Banque populaire). C'est du moins ce qu'explique Sylvia Greisman, sous-directrice chargée du Risque pays à la Coface. « Les banques en Algérie sont un souci majeur pour nous », dit-elle. La Coface, qui assure les échanges commerciaux, prend en compte plusieurs critères pour les notations @rating (risque). Il s'agit, entre autres, de la vulnérabilité de la conjoncture, de la fragilité du secteur bancaire et du comportement de paiement des entreprises. « Il n'existe pas de clarté sur la situation financière des banques », précise la responsable de la Coface. La question de la présence de créances douteuses est particulièrement soulignée. Le rythme des « réformes » économiques suscite également l'inquiétude à la Coface. Aussi, l'Algérie pourrait bien être notée au point 4 sur les 7 que retient la Coface. Le point 4 ? « Le comportement de paiement souvent assez moyen pourrait, en outre, être affecté par un environnement économique et politique qui pourrait se détériorer, la probabilité que celui-ci conduise à un défaut de paiement reste acceptable », est-il précisé dans la note de la Coface. La Coface qui a ouvert une enveloppe supplémentaire d'un montant d'un milliard d'euros pour garantir des crédits destinés à couvrir de futurs contrats, dans, entre autres, les secteurs des transports, de l'habitat, de l'électricité et des hydrocarbures. A Matignon, siège du Premier ministère, le ton est à la confiance. Les échanges commerciaux entre l'Algérie et la France sont qualifiés de denses. « Les entreprises françaises sont intéressées par l'investissement en Algérie où l'on sent qu'il y a du répondant (...). Il faut être attractif », souligne-t-on. On constate des « progrès » dans le domaine de la coopération universitaire. Au Quai d'Orsay, on souligne bien la question des réseaux de partenariat entre universités algériennes et françaises. Un partenariat qui semble, selon Luis Martinez, fonctionner à un rythme lent. « La coopération universitaire n'a pas vraiment démarré. Au CERI, on commence à ressentir les retombées des dix ans de ‘'fermeture'' sur l'université algérienne et sur la recherche », relève ce chercheur. Le CERI, qui emploie 110 chercheurs, alimente en études le Centre d'analyse et de perspectives (CAP) qui relève directement du Quai d'Orsay. Fin janvier 2005, le Haut Conseil franco-algérien universitaire et de recherche a tenu une deuxième réunion. Xavier Darcos, ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie, a souligné l'importance de cette structure. « Nous avons mis en place un instrument qui est d'abord un facilitateur. Jetant un pont entre les deux rives de la Méditerranée, il doit permettre cette ouverture qui est nécessaire pour le système universitaire algérien comme pour tout système universitaire, si on le veut stimulant et performant. Ouverture sur la France bien sûr, puisque nous travaillons dans un cadre bilatéral, mais aussi sur l'Europe, l'entreprise et la vie économique en général », a-t-il déclaré dans une allocution. Pas d'accès « libre » Est-ce que le traité d'amitié va permettre la délivrance de plus de visas aux Algériens ? « Ce n'est pas automatique », répond un responsable du Quai d'Orsay. Son argument est que si les vannes sont ouvertes, les Algériens vont débarquer en grand nombre. Thèse classique. « La France n'est pas un eldorado », ajoute ce même responsable. On relève que les jeunes Algériens, qui regardent les chaînes satellitaires françaises et européennes, manquent de débouchés. Officiellement, Paris est disposé à améliorer les procédures de délivrance de visas. Mais pas question d'un accès libre. D'abord, parce que cet aspect des choses est commandé par les impératifs européens de l'espace Schengen. « Cela ne se décide plus au niveau bilatéral », indique-t-on. « Il serait utopique de revenir à la situation d'avant-1986 sur la libre circulation », ajoute-t-on. On souligne la qualité de la coopération algéro-française en matière de lutte contre l'immigration clandestine. Et on annonce que 561 000 Algériens vivent en situation légale en France. Officiellement, l'Algérie a toujours annoncé que la taille de la communauté algérienne est estimée à plus de deux millions de personnes. La différence entre les deux chiffres est évidente. Selon le commissaire Louis Berretti, responsable du « pool » immigration à la préfecture de police de Paris, les Algériens ne posent pas trop de problèmes. « C'est une immigration classique. Il y a des va-et-vient. En règle générale, les Algériens se débrouillent bien. On garde un œil vigilant sur les extrémistes. A ce titre, il faut citer les Pakistanais et les Marocains », dit-il. Chaque jour, les policiers de Paris reconduisent aux frontières 7 à 8 personnes. Les Roumains semblent poser plus de problèmes. La non-reconnaissance par les consulats, comme celui d'Inde ou du Pakistan, est un autre casse-tête. Il n'existe, selon Louis Berretti, pas de difficultés avec le consulat d'Algérie à Paris. Au Quai d'Orsay, on souligne qu'en termes de menace, l'immigration issue de l'Afrique subsaharienne et des Balkans arrive en première position.