Guerre des mémoires ou réactions épidermiques ? Dans le débat très passionné autour de la mémoire entre la France et l'Algérie, le film Hors-La-loi, de Rachid Bouchareb, une fiction historique a vite dépassé son cadre cinématographique, culturel pour être “traîné” sur le terrain politique, un terrain déjà miné par les diatribes des lobbies nostalgiques de l'Algérie française autour desquels gravitent pieds-noirs et harkis et leurs relais au sein des institutions françaises. À peine la brouille de la repentance clamée que la salve retentit au cœur du Parlement français qui descend en flammes le film accusé de “déformer la vérité historique”, d'“accabler la France” coloniale. Dans le rétroviseur apparaît clairement la loi du 23 février. Hors-la-loi est présenté jusque-là comme une production française. Sauf que, sans que personne ne l'ait encore vu, il a suscité une polémique aiguë qui s'exacerba avec l'approche du Festival de Cannes où il est nominé. Les attaques dans l'Hexagone montent crescendo. Côté algérien, on fait de même. On défend le film que personne n'a vu, on répond aux attaques avec au centre de la problématique, la mémoire, la reconnaissance des crimes coloniaux et la demande de repentance de la France. Un projet de loi en ce sens est présenté pour examen à l'Exécutif. Cette initiative participe de la démarche du FLN qui en a fait une sorte d'étape stratégique alors que le ciel algéro-français ne cesse de s'embrumer. Si au niveau officiel, on observe un silence lourd et gêné, les acteurs politiques n'ont raté aucune occasion de réagir. À peine sorti d'un congrès à haut risque, Abdelaziz Belkhadem a rajouté à son discours déjà empreint de rhétorique liée à l'histoire. “C'est une campagne enragée menée contre tout ce qui relève de vérités historiques et qui condamne les crimes du colonialisme contre le peuple algérien”, rétorque le patron du FLN à la campagne hystérique initiée par des responsables français. Il ira loin dans sa dénonciation de la campagne contre le film rappelant les 132 ans d'occupation, la pacification, le napalm et les abominables crimes. “Ces pratiques et les drames qu'ils ont entraînés sont marqués à jamais dans la mémoire des générations. C'est un héritage national et qui ne va pas s'estomper sauf si l'on reconnait le crime, l'on demande des excuses et l'on répare”, dit-il encore en réaction à cette campagne “enragée”. Combat d'arrière-garde, pour certains, histoire falsifiée, pour les radicaux embusqués de l'UMP, Hors-la-loi, projeté à Alger en même temps qu'à Cannes où les “protestataires” ont réussi néanmoins à lui enlever le label “film français” dans la course à la Palme d'Or, (le film est financé à + de 50% par la France), les voix de la sagesse n'ont pu avoir place. S'étonne-t-on d'ailleurs de son intensité alors que ses acteurs avouent n'avoir pas encore vu le film. Le RND, pour sa part, ne s'étale pas sur la chose. Il a d'autres préoccupations, d'autres missions à travers le territoire national. Loin de l'aventure comme au FLN, le RND préfère la mesure. Contrairement aux habituelles sorties tonitruantes des islamistes. D'El-Islah au MSP, on ne s'encombre pas de détail pour fustiger l'ancienne puissance coloniale qui, durant sa présence en Algérie, a déculturé la nation, porté atteinte à sa religion, sa langue et son identité. La réaction est démagogique, populiste, avoisinant celle du FLN qui par sa persistance ressemble à un tapage médiatique. “Qu'en penseront ces inconscients si nous ouvrons nos archives pour dévoiler ce qu'a fait la colonisation de peuplement en Algérie ? Ce qu'ils ont fait ? De l'extermination organisée, la torture, l'effacement des signes de l'identité... Ils ne pourront pas changer l'histoire. Ni la génération de Novembre, ni les générations qui viendront après, elles ne l'oublierons pas. La page ne sera pas déchirée”, clame Belkhadem là où les islamistes adoptent des positions “extrêmes” mais qui demeurent cependant épidermiques. La famille révolutionnaire dans sa globalité a refusé de s'aventurer dans ce détail de l'histoire, détail qui n'est pas une histoire en elle-même. Elle reste toutefois attachée à l'exigence d'excuses officielles et de repentance de la France. Evidemment, les organisations de cette famille semblent jouer plus haut que les partis… d'ailleurs, Hors-la-loi est à peine évoqué lors de la célébration des massacres du 8 Mai 45, à peine évoqué dans le film.