Ahmed Abdull Hafeeth Mesleh, 25 ans, travaille sur un projet de centre éducatif pour les jeunes à Ramallah. Pour ce jeune photographe palestinien, l'objectif de son appareil, aiguisé sur les réalités de l'apartheid israélien, est une arme de résistance. Comment vivre dans une zone politiquement instable et pratiquer un art ? En Palestine, il n'est pas facile de faire exister l'art car les réalités ne le permettent pas. Ceci dit, les projets de chacun ne doivent pas dépendre de cette situation, sinon on se condamne nous-mêmes. A deux reprises, j'ai été touché par les balles des soldats de l'occupation israélienne lors de mes prises de vue et cela ne m'a pas découragé. Le danger est permanent, j'en suis bien conscient, mais le monde doit voir la sombre réalité, qu'importe le danger. Si c'est à travers l'art de la photographie que cela doit se faire, alors j'irai au bout de mes convictions. Quel a été l'impact de la dernière Intifadha sur votre personnalité et sur votre travail ? L'Intifadha a changé ma vie. Je rentrai de l'étranger quand les événements ont commencé et j'ai perdu deux membres de ma famille à Naplouse. Ce fut un choc terrible, cela m'a émotionnellement affecté, mon futur était incertain comme pour beaucoup de jeunes. C'est aussi à ce moment que j'ai reçu ma première leçon de vie, résister encore et encore. Depuis c'est devenu ma devise, dans mon travail, mon quotidien et mes autres actions. La photographie est un acte de résistance à part entière. Que pensez-vous de la judaïsation culturelle d'Al Qods ? Le souvenir que je garde d'Al Qods est flou. Je m'y suis rendu très jeune avec mes parents mais je n'ai jamais pu y remettre les pieds à cause de l'interdiction des forces d'occupation. La mosquée d'Al Aqsa est en danger et son dôme est actuellement endommagé, d'après un ami photographe qui a pu voir les dégâts. Les Israéliens gomment notre culture, prennent nos terres et nous jettent dans des ghettos afin de nous maintenir sous une pression permanente, les dernières déclarations de Netanyahu à Washington sont la preuve de cette judaïsation forcée. Ne nous pouvons plus se taire à ce stade. Trouvez-vous que l'Union arabe agisse sérieusement pour protéger Al Qods ? Le monde arabe n'a jamais affiché une volonté concrète pour la Palestine. Quand je regarde la télé et que je vois les politiques arabes discourir sur notre situation, je finis par éteindre. Ce ne sont que des mots qui me font réaliser que les seuls sauveurs de la Palestine sont les Palestiniens eux-mêmes. Nous devons comme les autres peuples du monde engager notre révolution et provoquer notre indépendance. L'art de la photographie est-il une arme tangible contre le désastre en Palestine ? C'est même une arme redoutable et subtile puisque chaque photographie raconte une histoire, un fait triste mais réel. Mes photos sont les témoins des crimes de la machine sanguinaire israélienne. Les personnes qui me permettent de prendre des photos ont conscience que le monde verra ce qu'ils subissent au quotidien. Je ne montre pas que la détresse de mes compatriotes, je prends des photos d'enfants souriants, en famille, autour d'un repas ou dans la cour d'une maison, et je partage sur des réseaux sociaux. Les gens sont très réceptifs et envoient beaucoup de courriels. Les manifestations artistiques pour la Palestine sont-elles de vaines actions ? L'effet de l'artistique sur une affaire aussi complexe est de courte durée. Quand les gouvernements complices contrôlent les médias et taisent les importants soutiens, les événements artistiques en faveur de la Palestine n'ont pas de poids. Les médias arabes se souviennent de la Palestine dès qu'il y a un sommet ou une rencontre internationale, la crise remplit les feuilles de route des gouvernements. L'art peut-il changer les mentalités ? Certainement, d'après mon expérience personnelle et les courriels que je reçois de personnes qui ne savent rien de la situation en Palestine et qui, à travers les photos publiées, découvrent pour la première fois la réalité d'un pays occupé en direct d'un écran. Des gens me disent qu'ils sont devenus militants dans leurs pays pour la cause palestinienne, le jour où ils sont tombés sur des photos publiées sur Facebook. C'est la preuve que l'art change les mentalités. Mieux, il les fait évoluer. Biographie : Né en 1985 à Amman (Jordanie), Ahmed revient très jeune en Palestine avec ses parents instituteurs. Il réussit à mener ses études entre l'instabilité et la volonté de réussir. En 2003, il entame des études en informatique à l'université de Najah. Il réside actuellement à Ramallah. Pour voir ses photos : http://ahmadmesleh.wordpress.com.