Le mausolée du ‘'Vieux'' sera prêt le 11 novembre. Ne vous inquiétez pas, nous terminerons le chantier à temps », promet Al Hakim, agent de sécurité de l'Autorité palestinienne. Ramallah : De nos envoyés spéciaux Le jeune soldat en tenue kaki, large d'épaules et sourire pincé, est planté comme un piquet devant un énorme poster de Yasser Arafat. Il est le gardien du temple, en construction depuis un an et demi à Ramallah, consacré à l'ancien raïs. Nous sommes au cœur de la Mouqataâ, sur les hauteurs de la capitale d'un Etat palestinien qui n'existe pas encore. Là où repose la dépouille de l'ancien dirigeant. Là où le président Mahmoud Abbas a ses bureaux et ministères. Le moins que l'on puisse dire, c'est que le temps presse. La Mouqataâ vit au rythme d'un ballet minuté de grosses limousines aux vitres teintées, sur un côté de la grande place bétonnée, et de pelleteuses, bulldozers et camions sur l'autre côté, dans un nuage de poussière. Un mur de quatre mètres de haut, jumeau du mur israélien qui divise désormais juifs et arabes, les sépare. « Le chantier est interdit au public et aux médias normalement », explique Nesser, l'autre garde, comme pour souligner l'honneur qu'il nous fait. Le secteur est sous bonne garde : de discrètes caméras veillent au grain. A quelques mètres, des hommes armés paradent, un ouvrier transporte une plaque de marbre à bout de bras. Et plus loin, une goudronneuse s'apprête à entrer en action devant la lourde barrière métallique de l'entrée. « Tout le symbole est là » Et que cache le mur ? Au centre, un cube en marbre de 11 mètres de côté. De larges ouvertures sont découpées dans le mausolée entouré d'un bassin et des versets coraniques courent sur son sommet. C'est comme à la Kaâba. Un hasard ? « Non, bien vu, tout le symbole est là », répond Al Hakim, un brin de fierté dans la voix. « Arafat représente encore aujourd'hui le dernier carré de l'unité palestinienne, notre ciment. Trois ans après sa mort, nous avons besoin d'un symbole très fort pour nous ressouder. Le mausolée représentera le lieu de l'unité entre ceux de Ghaza et nous, à Ramallah. C'est notre dernière chance. » Un jeune jardinier plante des fleurs et des carrés de gazon sur la terre caillouteuse. Les Palestiniens pourront aussi visiter un musée qui exposera les objets ayant appartenu au patron de l'OLP. « Il y aura ses pistolets, ses keffiehs, ses tenues militaires, ses livres, son mobilier », énumère Al Hakim. Comme s'il s'agissait d'autant de reliques d'un saint. Un autre garde, chargeurs de kalachnikov plein les poches, s'approche : « C'est important de montrer à la nouvelle génération qui était Arafat. Sa mémoire, c'est notre unité, notre force. » Puis, se rapprochant, il chuchote : « Personne n'a remplacé le Vieux. Ni Abbas, ni Dahlan (chef de la sécurité), ni Haniyeh (chef du Hamas à Ghaza) ne sont dignes de lui. Heureusement, il y aura aussi une mosquée de 200 places où l'on pourra prier pour un avenir meilleur. » Un minaret se dresse en effet sur le site de deux hectares, emmuré et surveillé 24 heures sur 24. Le budget global, assuré par des dons et l'argent de l'Autorité, est tenu secret. Au sommet du minaret, « un laser pointera chaque nuit la mosquée d'Al Aqsa à Al Qods, là où Arafat souhaitait être enterré. Mais les Israéliens ont refusé », poursuit Al Hakim. Mohammed, menuisier au chômage, fait la moue en observant toute cette frénésie sur l'esplanade pavée de marbre. Pour lui, toute cette richesse sonne faux dans une ville aux murs miséreux. « Un mausolée n'est pas la première des priorités pour le peuple. Le mur de séparation construit par Israël a rendu notre vie impossible. Arafat garde notre respect mais les millions de dollars investis ici auraient été plus utiles pour aider les vivants. » Ce père de famille, la cinquantaine, gagne sa vie en multipliant les emplois (peintre, chauffeur de taxi, maçon, boulanger). Il déplore : « Les Israéliens construisent sur nos terres leur autoroute 443 réservée aux seuls Israéliens et nous, on bâtit une esplanade pour venir pleurer. Nos dirigeants font toujours les mauvais choix. Ils feraient mieux de se battre contre l'apartheid qui nous touche. » D'autres voix, à Ramallah et en Cisjordanie mais aussi à Ghaza, dénoncent ces travaux pharaoniques. Beaucoup parlent de corruption. Pour le plus grand plaisir des Israéliens qui se délectent des divisions palestiniennes. Abbas joue très gros Le président Abbas n'a pas fait hier qu'inaugurer le mausolée d'Arafat. Il en profita pour affirmer haut et fort qu'il est l'héritier légitime du « Vieux », le seul apte à négocier l'avenir des Palestiniens avec les Israéliens à Annapolis (USA) à la fin du mois. Un rendez-vous historique : c'est la troisième grande conférence de paix après celles de Madrid (1991) et d'Oslo (1993). Pour le président de l'Autorité, rassembler les siens autour du symbole Arafat, c'est aussi une façon d'isoler les dirigeants du Hamas à Ghaza qui lui contestent le droit de les représenter. Pour Khaled Mechaâl, chef du bureau politique du Hamas, « les Palestiniens, divisés, n'ont mandaté personne pour les représenter et parler en leur nom à Annapolis ». A ses yeux, « cette conférence est un grand mensonge destiné à faire diversion pour permettre aux Etats-Unis de préparer leur guerre contre l'Iran et la Syrie. L'objectif réel de cette conférence est de consacrer les divisions inter-palestiniennes et affaiblir la résistance. » Patrick Vallélian, Sid Ahmed Hammouche