Nourreddine Saoudi est né en 1954 au sein d'une famille de mélomanes. Il s'est intéressé très jeune à tout ce qui touche de près ou de loin aux arts. Il avoue qu'il a beaucoup dessiné dans sa vie. « Il y a, dit-il, un concours de circonstances qui fait qu'on choisit la musique ou c'est elle qui nous choisit. » Il a eu un environnement familial favorable avec cette chance d'avoir comme voisin et professeur au conservatoire d'Alger le grand maître Abdelkrim Mhamsadji. Il reconnaît que quand il était gamin, son oreille était collée au TSF. Il se délectait des derniers tubes de l'époque qui oscillaient entre les musiques égyptienne et châabie. Ce n'est, donc, qu'à l'âge de dix ans qu'il rejoint les bancs du conservatoire d'Alger pour percer les secrets de la musique andalouse. Il a eu pour principaux maîtres Abdelkrim Dali, Belhocine, Abderrazek Fakhardji. L'année 1974 sera couronnée de deux succès inoubliables. Il obtient le premier prix du conservatoire d'Alger et décroche haut la main son baccalauréat série géologie-morphologie. A la question de savoir si cela a été difficile de concilier le volet musical et les études, il répond : « Je n'ai pas l'impression d'avoir eu un fardeau d'un côté comme de l'autre. Au contraire, cela a été une complémentarité. Je n'ai pas de problème fondamental. Je me sens appartenir à ces deux dimensions. » Il obtient en 1978 un DES. Il entame en même temps un DEA, suivi d'une postgraduation à Marseille. En février 1982, il soutient un doctorat troisième cycle. En 1981, il fonde avec des copains l'association El Fakhardjia du vivant du maître. En même temps, il enseigne au niveau d'une classe qu'on appelait à l'époque la classe moyenne. Il eut de nombreux élèves tels que Naïma El Djazaïra, Mourad Djaâfri, Radia Adda, Bahdja Rahal... qui comptent actuellement parmi les meilleurs dans leur domaine. En 1986, est créée l'association Essendoussia dont Nourreddine Saoudi est l'initiateur. Avec cette association, il donne le meilleur de lui-même. Il enseigne et a pour élèves entre autres Lamia Maâdini, Zahia Tara Turki. Il participe à deux reprises au festival du printemps musical. Il décroche en 1977 avec Essendoussia le premier prix. NOUBA D'ZIRIA En 1992, il décide de plonger un peu plus dans son domaine professionnel qu'il n'a en fait jamais abandonné. En 1994, il est nommé directeur du centre de recherche préhistorique-anthropologique au Musée du Bardo. Il décide d'arrêter ses activités dans le mouvement associatif, préférant ainsi travailler en free-lance. « Je suis très déçu par le mouvement associatif. C'est une partie de ma vie où j'ai beaucoup donné de moi-même sans rien demander en contrepartie sauf peut-être la magie du moment. Je trouvais que les associations étaient un petit peu en dehors des missions assignées. » Il décide donc de ne plus continuer et de s'adonner en solo à l'enregistrement de quelques noubate : El Zidane, El Ghrib, El H'çine, El-Dil et Ramla maya, éditées par le Club du disque arabe. Concernant la présentation de sa dernière nouba D'ziria, il clame avec modestie que sa création a été construite sur la tradition de la Sanâa avec tous les mouvements qu'elles supposent. Certaines personnes ont réfuté ce terme de nouba alors que « j'avais dit qu'on était en train de s'attacher à l'histoire des mots. L'essentiel réside dans l'écriture de l'histoire ». Selon lui, il ne lui appartient pas de dire que sa nouba fait partie des 13 ou 25 noubate. C'est l'histoire qui pourra consacrer ou pas toute création individuelle ou autres. Ayant puisé dans la pratique de la tradition Sanâa, il a, à son humble avis, mis le doigt sur des choses qui pourraient être réajustées. « Je sais que ceux qui m'ont précédé ont fait cela, d'abord en intégrant par exemple de nouveaux instruments tels que le Oûd, le luth oriental, le violon alto. Il y a 70 ans, c'était une hérésie d'avoir une mandoline. Or, aujourd'hui, il est tout à fait normal d'avoir un orchestre avec derbouka, violon... » Notre interlocuteur estime qu'il a essayé de faire des recherches sur le plan orchestral, de voir quelle pourrait être la manière actuelle de restituer le meilleur son. Ainsi, dans la nouba D'Ziria, il introduit la basse pour sa base de la construction, l'accordéon pour le son classique qu'il ramène, la guitare classique pour son jeu en arpège. Pour le reste, il a fait appel à l'orchestre classique avec le qanoun, les violons, le oûd, derbouka et tar. Il y a eu des modifications au niveau du jeu. Ce dernier, Nourreddine Saoudi l'a voulu un peu plus moderne. « C'est difficile d'en parler, il faut l'écouter », dit-il. Plusieurs personnes lui ont affirmé que son approche était en accord avec ce nouveau son. Il a, en outre, choisi le mode sahli qui est très utilisé par le châabi. Ce mode se caractérise par une brillance particulière qui nous invite à toutes les senteurs de la Méditerranée. Par honnêteté, il n'a pas voulu choisir un mode de la tradition andalouse pour ne pas faire l'amalgame avec sa nouba. S'il avait choisi le modèle Zidane, il aurait été au rabais par rapport à ce qui a été inventé dans un environnement précis. Dans des mélodies assez longues, le mode sahli donne des choses sublimes, c'est du moins ce qu'affirme le musicologue. La composante orchestrale a englobé de grands talents qui ont adhéré à l'idée, mais chacun était un élément de lumière. Cela a donné lieu à deux concerts qui n'ont pas laissé indifférents les mélomanes. Le choix de l'appellation de sa nouba D'ziria n'est pas fortuit. Comme il le dit si bien, il se sent appartenir à cette ville qu'est D'zaïr. Cette dernière est un réceptacle de beaucoup d'influences africaines, orientales, autochtones et méditerranéennes. D'zirïa est en fait un voyage initiatique où toutes les mélodies plurielles sont présentes. Il a été très difficile, pour lui, de concilier le travail, la composition et le financement du spectacle. Il ne cache pas son envie de montrer cette expérience à un public plus large et de récolter aussi toutes les critiques possibles dans ce domaine. A défaut de moyens, il est dans l'attente de pouvoir remonter sur scène... très prochainement. Concernant la polémique nourrie par certains spécialistes de la musique andalouse suite à la présentation de sa nouba D'ziria, Nourreddine Saoudi tient à préciser que les compositions sont totalement inédites et que la musique se décline en plusieurs séquences : m'çadar, btayhi, daredj, insiraf et laklass. Dans chacune de ses œuvres, il y a des petites séquences. Sur un ton réfléchi, il affirme qu'il y a toujours eu un conflit de générations entre conservateurs : « Les choses nouvelles nous embêtent parce qu'on n'arrive pas à suivre la cadence. Rappelons-nous de Zyriab qui a été obligé de se sauver parce qu'il avait apporté des choses nouvelles. » D'où la question suivante : doit-on aujourd'hui en 2004 rester figés sur un patrimoine qui a été légué ou faut-il aller de l'avant ? Il répond : « Si on était restés au chant grégorien, où serait la sublime cinquième symphonie de Beethoven, la merveilleuse œuvre de Tchaïkovski ou encore les remarquables œuvres de Mozart et de Chopin. » UN PETIT ESSAI Sans vouloir se mettre dans la peau de ces grands hommes, il pense que ce qu'il a fait est uniquement un petit essai. « On ne sait pas grand-chose sur la musique andalouse. On transpose ses propres hobbies pour en faire des critiques acerbes, et ce, tout en passant pour des gens savants. Les connaisseurs ont porté un jugement tout à fait différent. Il est à noter que le raï s'est imposé par la force des choses et du travail, surtout qu'au départ il était haï et honni. » Sa nouba bien qu'étant controversée, martèle-t-il, obéit à toute création. Il y a une grande satisfaction personnelle. Et la plus grande satisfaction émane des connaisseurs, lesquels lui ont conseillé de jouer sa nouba en symphonie. En parfait connaisseur, Nourred-dine Saoudi demeure persuadé que cette musique mérite d'être dépoussiérée : « On ne fait que répéter ce qui s'est fait depuis des générations et parfois, on le fait au rabais. Peut-être que ceux qui nous ont précédés avaient une voix beaucoup plus sublime que ce que nous faisons actuellement. Nous nous sommes cantonnés dans la même approche en occultant la partie civilisationnelle. » Et d'ajouter : « Les gens de l'époque faisaient de la musique tout en vivant à l'intérieur d'une sphère civilisationnelle. Or, aujourd'hui, les choses sont cloisonnées. On fait de la musique sans vivre de la musique. » Ses maîtres, confie-t-il, dégageaient une aura qui n'était que raffinement. Ils m'ont marqué durablement. A titre d'exemple, Mhamsadji m'a marqué parce que c'était le départ, Abdelkrim Dali parce qu'il m' a fait aimer cette musique avec sa voix sublime, Belhocine parce qu'il m'a montré l'esprit critique, Fakhardji pour son raffinement et son esprit encyclopédique. Mais peut-être que l'un de ses maîtres serait aussi ses élèves à travers lesquels il a pu transcender un certain nombre d'obstacles qui ont entravé sa route. « Je rends hommage à tous ces élèves confondus ». Concernant sa participation dans le cadre de l'Année de l'Algérie en France, Nourreddine Saoudi révèle que cela a été une expérience sublime et une aventure exceptionnelle. Il était loin de savoir que l'Algérie recelait autant de nuances dans les richesses. En plus d'être directeur du département musique, il a animé un concert avec Amin Kouider. Autre moment fort que Nourreddine a voulu évoquer, c'est celui de sa contribution dans le cadre des rencontres du dialogue des cultures, organisées lors l'exposition universelle de Lisbonne en 1999 où il a formé un duo avec la diva du fado Philipa Alpaiche. A propos de son appréciation sur la pratique actuelle de la musique andalouse, l'artiste estime que très peu de travaux sont consacrés du point de vue académique. On pratique la musique andalouse sans la connaître vraiment. « Nos aînés, confie-t-il ont pratiqué la musique par autodéfense, mais aujourd'hui, nous n'avons pas le droit de la pratiquer de cette manière. Il faut absolument revenir à des choses simples, faire des études, connaître les notes musicales et surtout se familiariser avec son instrument... Actuellement, ce sont les mêmes pratiques usitées. Il y a le cheikh qui chante et les élèves qui répètent. Actuellement, nous sommes comme une sorte de zombies. On vit de la musique, mais à côté nous faisons autre chose. Il pense que la multiplicité des choses nuit à la qualité. Il faut instaurer une politique musicale, replacer cette musique dans son cadre institutionnel et l'enseigner aux générations futures. » Abordant le volet de ses projets, Nourreddine Saoudi avoue qu'il s'est découvert une passion : aller de l'avant, composer et exhumer de grands anonymes. C'est l'effort qui est important. « J'ai un projet grandiose que j'espère mener à son terme. Je n'en dis pas plus, cela sera une nouveauté. » Il est à noter que Nourreddine Saoudi a publié deux ouvrages. L'un sur La géologie de la région d'Alger, histoire récente (SNED-1989) et le second sur Les temps préhistoriques en Algérie (Dalimen-2002).